La Piscine – Jacques Deray
La Piscine. 1969Origine : France
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Dans la torpeur estivale d’une villa grand luxe aux abords de St Tropez s’ébattent Marianne (Romy Schneider) et Jean-Paul (Alain Delon), un couple à qui tout paraît sourire. Or, la venue impromptue de Harry (Maurice Ronet), ancien amant de Marianne, accompagné de sa fille Pénélope (Jane Birkin), contribue à raviver d’anciennes tensions. Rapidement, la vie à la villa devient étouffante et les sourires laissent place à une crispation de plus en plus palpable.
Qu’ils paraissent loin les heurts et les slogans de mai 68 ! Soleil à son zénith, ciel bleu azur au diapason de l’imposante piscine qui trône fièrement au sein d’un jardin somptueux, joli point de vue sur la campagne varoise, … tout concorde pour nous inviter à la farniente. Et ce qui suit ne dément pas cette impression de douce félicité, digne d’un reportage people pour Paris-Match. Imaginez un peu… Alain Delon allongé au bord de la piscine, portant nonchalamment un verre à sa bouche dans un état de demi-sommeil. Soudain, des éclaboussures le sortent de sa torpeur sous l’effet du plongeon de Romy Schneider. La scène vous parle ? Normal, elle a servi d’habillage à une campagne de pub pour le parfum d’une marque prestigieuse. Et du prestige, le film n’en manque pas à commencer par son couple vedette, à nouveau réuni à l’écran alors que les aléas du quotidien les avaient séparés à la ville. A l’époque, on atteignait là les sommets du glamour. Et pourtant, leur réunion n’était pas acquise d’avance, Alain Delon ayant à plusieurs reprises refusé le rôle avant de se raviser. Une fois son accord donné, c’est lui-même qui proposa à Romy Schneider de tenir le rôle de Marianne. Fatalement, leur vécu nourrit incontestablement le film, pas tant sur le plan du bonheur quasi enfantin qui semble régir leur couple lors des premières scènes (ça se court après pour mieux finir enlacés l’un à l’autre) qu’au niveau du malaise qui s’installe progressivement entre eux consécutivement à l’arrivée de Harry et de sa fille. La Piscine est un film faussement lumineux qui s’ingénie tout du long à gratter le vernis des apparences. Tout n’est donc pas rose chez les bourgeois.
Comme souvent à cette période de sa carrière, Alain Delon trouve en Jean-Paul un personnage fragile et ambigu. Lorsqu’il se trouve seul en compagnie de Marianne, Jean-Paul est le plus heureux des hommes. Cette villa, gracieusement prêtée par des amis à eux, sert de refuge à un amour d’autant plus total qu’il ne souffre pas du regard des autres. Ils limitent leurs contacts avec l’extérieur aux courses alimentaires, évitant comme la peste la ferveur de Saint-Tropez. De fait, hormis une courte virée de Jean-Paul au volant du bolide de Harry dans la campagne environnante, nous ne sortons pas de la propriété. C’est même le tumulte de Saint-Tropez qui l’espace d’une nuit s’invite dans la villa, par l’entremise de ce diable de Harry, jamais avare en coup de Trafalgar. Harry, justement, se pose en exact contraire de Jean-Paul. Aussi loquace, sûr de lui et vibrionnant que Jean-Paul est mutique, angoissé et d’un calme olympien, Harry agit en chien dans un jeu de quilles, bouleversant le train-train des deux amoureux. En outre, il ne rate jamais une occasion de rappeler à Jean-Paul qu’il a connu intimement Marianne avant lui, et à quel point elle a changé depuis qu’ils sont ensemble, comme autant de piques vouées à blesser son amour-propre. De l’amitié entre eux, on en voit plus beaucoup, leurs relations tendant davantage vers la confrontation. Une confrontation qui demeure feutrée, les deux hommes n’étant pas du genre à en venir aux mains. Et puis aucun d’eux n’aimerait froisser Marianne par un comportement puéril. Néanmoins, il y a une forme de mépris dans cette manière sournoise qu’à Harry de rabaisser constamment Jean-Paul, qui n’est pas sans rappeler Plein soleil, film dans lequel les deux acteurs s’opposaient déjà dans un mélange d’amour-haine mal digéré.
En retrait du duo, Marianne n’en est pas moins importante pour ce qu’elle concentre des désirs et des frustrations de l’un et de l’autre. Elle ne se doute pourtant pas de l’inimitié grandissante entre les deux hommes, ou en tout cas n’en laisse rien paraître, s’affirmant comme la plus mature du trio. Elle a l’esprit clair, sait où elle en est et où elle veut aller. C’est un roc quasi inébranlable qui saura très vite reprendre ses esprits suite aux aveux de Jean-Paul. Elle incarne la femme dans toute sa splendeur, sensuelle et rayonnante, intimidante parfois. A tel point que Jean-Paul se tourne vers la jeune et frêle Pénélope, non seulement pour atteindre Harry dans sa fibre paternelle mais aussi pour pouvoir s’affirmer en tant qu’homme. A ce propos, Jacques Deray maintient la relation Pénélope / Jean-Paul dans le flou, restant discret sur la question. Cela participe de son approche plus psychologique des événements qui à terme contribue à transformer la villa et ses locataires en cocotte-minute prête à exploser. Jacques Deray gère la tension en orfèvre jusqu’à son point de rupture. Par la suite, le film perd en saveur, même si le réalisateur se garde bien de nous emmener vers une fin confortable. Disons que la partie policière apparaît superflue, un comble lorsqu’on connaît les antécédents du bonhomme.
Jusqu’alors plus enclin aux polars nerveux sur le modèle des séries B américaines, Jacques Deray s’essaie à un autre registre avec La Piscine, un huis clos psychologique et ensoleillé. Essai concluant puisque le réalisateur s’y révèle tout aussi à l’aise. Tout juste regretterais-je cette impression de froideur qui se dégage du film. Tout paraît trop beau, trop parfait. Nous sommes face à un film à la qualité indéniable mais trop hermétique pour emporter totalement l’adhésion.