Kichiku – Kazuyoshi Kumakiri
Kichiku dai enkai. 1997Origine : Japon
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Ce film méconnu au nom étrange nous vient du Japon. En occident, il doit sa maigre renommée à ses effets gorasses qui ont la réputation d’être particulièrement vomitifs et dégueulasses…
Et bien à la vision de l’objet en question, on est bien loin de remettre en cause la réputation desdits effets gores. Pourtant Kichiku n’est pas un de ces films outrancièrement gore comme il y en a tant, qui sacrifient scénario et mise en scène au profit des seuls effets sanglants. Au contraire c’est une œuvre intense dont l’impact très fort doit autant aux maquillages et aux effets spéciaux qu’au scénario et aux acteurs.
Le synopsis est pourtant très simple : Dans les années 70, un groupe d’étudiants d’extrême gauche, dont le leader est en prison, est en proie à des luttes intestines entre les différents membres avides de pouvoir.
Comme on peut s’y attendre, ces luttes s’intensifieront au point de virer à la folie meurtrière pure.
Quelque part, il s’agit évidemment d’un scénario prétexte à montrer les excès barbares des personnages, parce que, pour son premier film, Kazuyoshi Kumakiri ne s’intéresse que très peu aux actes politiques du groupe. Pour autant cette dimension n’est pas complètement absente du film. En effet Kichiku s’ouvre par une sorte de long prologue ayant pour but de nous présenter les différents membres du groupe, leurs motivations et leurs personnalités. Loin d’être innocent, ce prologue baigne déjà dans une réalité malsaine et glauque qui augure les débordements de violence qui vont suivre et en même temps leur donne un cachet réaliste et les ancre dans un contexte social troublant. Les personnages, incarnés pour la plupart par des acteurs amateurs et des amis du réalisateur, ont tous l’air vrai. On est bien loin des personnages stéréotypés et idiots des films gores qu’on a l’habitude de voir. Et cette particularité exacerbe la dimension tragique que prend le film.
Autre originalité, Kichiku est un film d’étudiant. Kumariki est encore étudiant à l’Université des Arts de Osaka quand il réalise ce premier long métrage avec 30 000 dollars en poche. Le réalisateur affirme fréquenter l’université uniquement pour disposer du matériel qu’elle offre. Il ira même jusqu’à redoubler intentionnellement sa dernière année pour finir le film. Et ce qui est déjà impressionnant à ce stade, c’est l’utilisation judicieuse que Kumariki fait de son maigre budget. L’image tournée en 16 mm possède ce grain si particulier qui ajoute ici a l’atmosphère pesante du film. Les décors (des chambres d’étudiants, une forêt et une usine désaffectée qui sert de squat) possèdent ce même coté triste et sale qui pourrait faire passer Kichiku pour un film tourné dans les années 70.
C’est également à l’université que Kumariki récupère les bandes d’archives des manifestations étudiantes au Japon dans les années 70 qui serviront pour le générique du film.
Celles-ci jouent aussi un rôle dans l’origine même du film. Le réalisateur y trouve son inspiration, de même que dans ce qu’on nomme « l’incident Asama Sanso » qui s’est déroulé en février 72 : des membres de l’Armée rouge unifiée (Rengô sekigun), un groupuscule terroriste d’extrême gauche, prennent en otage une femme et se barricadent dans une maison en montagne. La police japonaise finira par donner l’assaut et tuer les terroristes.
Mais ce qui semble finalement le plus pertinent, c’est sa rupture récente avec sa petite amie d’alors. En effet le film prend une dimension cathartique assez forte.
Car si le background politique est bien présent au début du film, Kumakiri ne s’y attardera que très peu. Ce qui l’intéresse davantage c’est de montrer comment le groupe finit par se disloquer et tomber dans l’ultra violence. Il entend ainsi mettre en garde contre les dangers des systèmes hiérarchiques et l’obéissance aveugle à un leader unique.
Or dans le film, ce leader est une femme. La seule femme du casting, et qui se révèle être une véritable salope manipulatrice, qui couchera avec tous les membres du groupe avant de sombrer dans une démence psychotique atrocement sanglante.
A n’en pas douter, Kichiku est un film assez misogyne, ce qui accentue encore le malaise qu’il produit chez le spectateur.
Et c’est donc dans ce contexte très lourd et pesant qu’éclate finalement la violence la plus brute. Une fois son atmosphère installée, Kumariki fait alors un étalage complaisant d’une violence brutale et gore, qui n’a en aucun cas le caractère réjouissant ou parodique de films qu’ont les Guinea Pig (autre monuments gores du cinéma nippon) ou Braindead (la comédie riche en décapitations et démembrements de Peter Jackson). Ici la violence est montrée de manière directe et frontale, sans détour. Le spectateur assiste à d’interminables tabassages à coups de poings et de pieds, à de complaisantes décapitations, à des castrations et à des atrocités pires encore. Le film prend aux tripes et le gore choque. Rarement une telle intensité aura été atteinte dans la violence tant graphique que psychologique. Les coups et les mutilations subies par les victimes s’accompagnent d’humiliations et de railleries sinistres.
Le but d’un film comme Kichiku est clairement de choquer et de mettre mal à l’aise, et le film remplit pleinement son office.
Le ton sérieux, la qualité de la mise en scène et le réalisme général du film installent ainsi l’ambiance propice pour que l’impact et la force des images gores soit la plus forte possible. Kichiku est une sorte de montagne russe vicieuse, avec pleins de virages et de descentes auxquels on ne s’attend pas. Un film coup de poing qui met mal à l’aise et remue l’estomac. A réserver aux amateurs de sensations fortes exclusivement.