Fountain Society – Wes Craven
Fountain Society. 2000Origine : États-Unis
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A la tête d’une équipe de scientifiques travaillant pour le compte de l’armée américaine, Peter Jance n’est pas loin de finaliser l’élaboration du Marteau. Lorsqu’elle sera totalement viable, cette arme révolutionnaire et top secrète pourra désintégrer n’importe quoi en n’importe quel point du globe. Mais Peter est atteint d’un cancer à un stade bien avancé et risque de ne pas pouvoir mener le projet à son terme. La seule solution est de le confier aux bons soins de son collègue et ami Frederick Wolfe, lui aussi scientifique de génie et lui aussi à la tête de recherches top secrètes bien avancées. Wolfe et son équipe, dont Béatrice, la femme de Peter, travaille à la réussite de la Fountain Society dont l’objectif est de réussir la greffe d’un cerveau dans un corps sain. En guise de receveur du cerveau de Jance, le choix s’est porté sur Hans Brickman, un athlétique financier suisse. La disparition de ce dernier, que les autorités font passer pour mort, éveille les soupçons de Elizabeth Parker, maîtresse de Brickman qui va bientôt recevoir un indice la conduisant sur l’île de Vieques, là où se trouvent les bases militaires abritant les projets de Jance et de Wolfe…
Wes Craven se sent pousser des ailes en cette fin de XXe siècle : le triomphe de Scream et de sa séquelle l’a ramené sur le devant de la scène, et il en a profité pour négocier la mise en chantier de La Musique de mon cœur, le mélodrame auquel il aspirait. Autre espérance comblée, celle de la rédaction d’un roman qui, à en croire sa dédicace (“Pour Esther Lurie, guide et amie, qui m’a poussé il y a tant d’années à coucher cette histoire par écrit“) avait été lui aussi mûri de longue date. Peut-être à l’époque de L’Amie mortelle, puisque le sujet de celui-ci et celui de Fountain Society sont assez similaires. Dans un cas il y a la greffe du microprocesseur d’un regretté robot domestique dans le crâne d’une défunte voisine non moins regrettée, et dans l’autre celui du cerveau d’un scientifique dans le crâne d’un athlète, tous deux regrettés même si ce n’est cette fois pas par la même personne. Il faut toutefois convenir que Fountain Society se montre bien plus élaboré que le film de 1986, ce qui provient peut-être de la plus grande liberté offerte par un roman par rapport à un film à petit budget. Craven peut passer outre les limitations budgétaires, technologiques et même narratives. Car il n’est pas peu dire que l’exposition de son roman se fait avec minutie… Adoptant un style qui est notamment fort usité par Michael Crichton, spécialiste ès thriller technologique, Craven adopte un ton volontiers professoral faisant la part belle à la tentative de crédibilisation de son postulat. Ainsi, le procédé par lequel Wolfe compte préserver la matière grise de son collègue dans un nouveau corps est détaillé avec suffisamment de termes connotés “savants” pour faire illusion auprès d’un lectorat qui a de grandes chances de ne pas avoir de qualification scientifique particulière (et qui a aussi de grandes chances de se lasser de la lenteur avec laquelle les choses se mettent en place). De même, les préparatifs de l’opération et son suivi font aussi partie de cette course au réalisme et réquisitionnent nombre de pages. L’objectif de cette illusion ? Enraciner l’intrigue du roman dans un terreau d’où devra germer un certain questionnement vis-à-vis de la science. Non que Craven considère celle-ci négativement, mais il s’interroge en tous cas sur la philosophie sur laquelle elle repose. Contrôlée par l’armée, motivée en partie par une question d’ego (Wolfe rêve depuis longtemps d’attirer à lui Béatrice, la femme de Peter Jance, et il espère que les différences physiques vont faire leur œuvre), elle n’est clairement plus au service de l’humanité toute entière. Il en allait d’ailleurs de même avec le projet couvé par Jance, cette arme de destruction apocalyptique qui a rendu nécessaire la survie de son principal artisan. Cette science est donc au service de machinations pilotées par de grands méchants pas beaux… Car si Craven a voulu s’appliquer pour le volet “scientifique”, du côté des idées il s’est en revanche bel et bien laissé allé à un tour de force qui pour le coup ne fait guère sérieux et ruine ses efforts. Ce n’est pas tant la condamnation de l’armée (scientifiques inclus) qui pose problème que le procédé avec lequel Craven opère. Entre l’arme de destruction massive ultime, l’usage de prisonniers politiques en guise de cobayes, les assassinats déguisés, le colonel colérique et ses nervis ultra-violents, le docteur Wolfe dont la prétention n’a d’égale que la mesquinerie, sans parler des secrets révélés au fil de l’intrigue, nous sommes face à une avalanche d’excès typiques des séries B… Ou, encore une fois, des romans ratés de Michael Crichton.
Du côté des “gentils”, Craven se montre toutefois un peu plus inspiré. Non pas que le côté justicier soit totalement absent, mais il n’est en tous cas pas aussi immédiat que la vilénie des militaires. Les hésitations des époux Jance, avant et après l’opération, ainsi que le lien subsistant entre la copine de feu Hans Brickman et le nouveau Peter Jance, lui permettent d’explorer un versant philosophico-psychologique qui a le mérite de rompre un peu avec le manichéisme ambiant. Comment Béatrice va-t-elle vivre le rajeunissement de son mari, et comment celui-ci va-t-il se comporter à l’égard d’une femme qui physiquement, pourrait être sa mère ? Quel rôle le corps joue-t-il dans le lien amoureux ? Et le cerveau ? Le triangle amoureux Béatrice-Peter-Elizabeth lui permet de répondre à ces questions qui pour les intéressés, en viennent à avoir plus d’importance que toutes les manœuvres scientifiques et militaires gravitant autour d’eux. D’où la rupture avec les tenanciers de la Foutain Society, qui en bons méchants qu’ils sont ne veulent pas entendre parler des sentiments humains induits par la situation exceptionnelle qu’ils ont chapeautée. Il n’y a guère que Wolfe pour s’en préoccuper d’une façon intéressée, escomptant que son collègue délaissera sa femme pour profiter au mieux de sa jeunesse retrouvée. Et il n’a pas tort, mais pas forcément dans le sens qu’il envisageait. Si Peter Jance nouvelle formule aime exploiter la souplesse de son corps, il n’est pas franchement attiré par les femmes de son âge physique. Par contre, il établit la preuve de la “mémoire cellulaire”, la théorie adoptée par Craven postulant que le corps garde une trace de ce qu’il a connu, y compris pour les émotions. Ainsi Jance se sent attiré par Elizabeth alors qu’il ne l’a jamais vue autrement que dans des rêves visiblement dictés par son corps. Mais allez faire comprendre cela à Béatrice, qui adopte pour le coup le regard jaloux de l’épouse délaissée plus que l’observation compréhensive de la scientifique curieuse. Et de son côté, allez faire comprendre à Elizabeth que l’homme qu’elle croit aimer n’est pas le même homme mais un vieux scientifique dans un jeune corps. La situation n’est pas simple et Craven, une fois ces questions existentielles passées, cède à la facilité en bidouillant de telle manière qu’au final aucun des trois personnages ne sera mis de côté au cours d’une dernière ligne droite qui joue la carte du thriller d’action à la James Bond (époque Pierce Brosnan plus que Sean Connery, sans parler de Ian Fleming), faisant ainsi retomber le livre dans la superficialité de la série B littéraire. Mais qui cette fois se lit plutôt bien, après avoir été si agaçante au cours des chapitres purement “militaires”.
Peut-être grisé par la possibilité qui lui fut offerte d’écrire un roman, Wes Craven a eu les yeux plus gros que le ventre et les idées aussi inégales que les films de sa filmographie. En résumé, on a une exposition scientifique lassante à force de se prendre au sérieux, une période de réflexion sur la psychologie humaine (le point fort, qui aurait gagné à être davantage développé), des aperçus ponctuels et stéréotypés des dangers de la toute-puissance du militarisme et une frénésie finale à grand spectacle. Cela fait beaucoup pour un seul roman, écrit par ailleurs dans un style assez quelconque. Foutain Society part un peu dans tous les sens et use ainsi la patience du lecteur. Pas jusqu’à le mener à la rupture, mais on ne peut tout de même pas affirmer que cela soit une grande réussite.