Un fauteuil pour deux – John Landis
Trading Places. 1983Origine : États-Unis
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Il existe deux John Landis. Le premier aime à rire noir sous couvert de cinéma plus ou moins horrifique (Shlock, Le Loup-Garou de Londres et même le clip Thriller de Michael Jackson). Le second se veut plus familial, suivant les pas du Saturday Night Live et de quelques un de ses ressortissants, tels que John Belusci ou Dan Aykroyd, avec lesquels le cinéaste connu la gloire pour Les Blues Brothers. Trois ans après ce qui reste comme son film le plus connu, le cinéaste est dans un cycle “horrifique”, avec son loup-garou, son clip, sa participation à La Quatrième dimension, le film et même un documentaire tourné et écrit avec l’aide d’un certain Mick Garris (qui se souviendra plus tard de son vieil ami Landis). Alors au sommet, ce dernier ne rechigne pourtant pas à servir une nouvelle fois la soupe à son pote Dan Aykroyd, qui figure pratiquement dans tous ses films de l’époque. Il continue même à faire copain-copain avec le staff du Saturday Night Live, débauchant un autre des rigolos de l’émission, à savoir Eddie Murphy, qui n’avait jusqu’à présent tourné qu’un seul film. Les deux acteurs remplacent un autre tandem, Gene Wilder et Richard Pryor, tellement habitués à tourner ensemble que quand l’un quitta la production, l’autre ne mit pas beaucoup de temps à suivre. Le remplacement de deux acteurs confirmés au profit de deux trublions de la télé cherchant à se faire une place à Hollywood aurait pu constituer un mauvais signe de dégénérescence commerciale. C’est du moins ainsi que l’on peut raisonner 25 ans plus tard, alors que les transfuges télé finissent souvent dans des films dédiés à leur gloire. Mais au début des années 80, le Saturday Night Live n’est pas n’importe quoi, John Landis n’est pas n’importe qui et Dan Aykroyd ne fait pas n’importe quoi. De quoi espérer.
Les frères Duke sont à la tête d’un empire financier construit sur la spéculation des denrées agricoles. Dans le métier depuis 40 ans, ils sont sûrs d’eux mêmes, et au cours d’un pari stupide qu’ils se lancent l’un à l’autre, ils prévoient de faire choir leur trader vedette Louis Winthrope III (Dan Aykroyd) au plus bas de l’échelle sociale, tandis que Billy Ray Valentine (Eddie Murphy), petit escroc des bas quartiers, prendra sa place dans la société. L’objectif est de voir si les deux cobayes vont s’adapter à leur nouvelle vie, ce qui permettra de trancher le fameux débat de l’inné sur l’acquis. Quel cynisme !
A l’aune de ce sujet, deux extrêmes sont envisageables. Ou bien Un Fauteuil pour deux sera l’ancêtre de l’émission Vis ma vie, ou bien il sera un traité philosophique réfléchissant au matérialisme et à son contraire, l’idéalisme. Avec l’échange de classe sociale qui constitue le destin des deux protagonistes principaux, le film aurait même de quoi aborder l’opposition entre Marx et Hegel ! Ne doutons pas que si le film avait été produit cinq ou dix ans plus tard, l’option “Vis ma vie” aurait été de mise. Mais en 1983, Landis et ses acteurs n’ont pas encore tout à fait versé dans la démagogie. Le sous-texte philosophique existe bel et bien, amené principalement au début du film, à tel point que l’on se prend à croire que le pari des frères Duke ne sert que de prétexte à une illustration partisane. Au fur et à mesure du film, il devient évident que le sujet se contentera d’être traité superficiellement, aucun soin particulier n’étant apporté au matérialisme qui constitue la préférence de Landis. Il ne faut que très peu de temps à Valentine pour s’adapter à son nouveau milieu et renier toutes ses origines sociales, de même que Winthrope passe très vite du rang de bourgeois méprisant à celui d’ivrogne sous-prolétaire (au sens marxiste du terme, c’est à dire un exclu de la société, ne disposant d’aucune conscience de classe et n’aspirant pas à en avoir). Aucune étude n’est faite des conditions particulières d’existence susceptibles de transformer un être humain, le film se contentant d’aligner les gags un peu faciles mais parfois réussis portant sur le contraste de vie des deux personnages.
Celui de Dan Aykroyd passe ainsi du luxe à la misère, sa petite amie bourgeoise étant remplacée par la bonne âme d’une prostituée incarnée par Jamie Lee Curtis. Ses mésaventures prennent tout de même une légère allure de satire sur l’attitude sectaire de la classe bourgeoise. Landis fait d’ailleurs payer son Winthrope III pour ce qu’il a été, son ancien mode de vie se retournant contre lui. Bien maigre, mais il faut bien s’en contenter. La même facilité s’applique à Valentine, qui avec ses manières un peu rudes peine à comprendre les mœurs de la bourgeoisie, invitant par exemple ses amis taulards dans sa nouvelle crèche de luxe. Notons au passage la relative sobriété d’Eddie Murphy, qui pour une fois ne vampirise pas tout le film en se livrant au lourd surjeu dont il a le secret. Landis cherche de toute évidence à ne faire ni trop compliqué, ni trop simple.
Le résultat est donc assez mitigé, même si la vengeance des deux cobayes aurait tendance à tirer le tout dans la mauvaise direction en arrêtant définitivement de débattre de l’inné et de l’acquis. Ce retour de bâton pour les frères Duke donne lieu d’abord à une dispensable scène de déguisement qui permet aux acteurs de verser dans la surenchère qu’ils avaient jusque là su éviter. Pis, elle fait de Winthrope et de Valentine (accompagnés de la prostituée et du gentil majordome) de sympathiques capitalistes, qui rétablissent la juste morale du marché en prenant les Duke à leurs propres jeux de magouilles, tout en s’enrichissant eux-mêmes. Tel est l’idéal-libéral américain, que Landis flatte avec une élégance toute commerciale. Plus tard dans sa carrière, au détour d’une scène d’Un Prince à New York, il réhabilitera même les frères Duke par le biais de la générosité d’Eddie Murphy. Un clin d’œil qui apparaîtra dans le prolongement logique d’Un Fauteuil pour deux, film dont l’intérêt va décroissant au fur et à mesure qu’il progresse. Sans être le premier échec de Landis, il pose tout de même les bases d’un récurrent penchant au divertissement formaté qui le mènera parfois bien bas.