Tucker et Dale fightent le mal – Eli Craig
Tucker and Dale vs Evil. 2010Origine : Canada
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Un groupe d’étudiants vient passer du bon temps au bord d’un lac. Au cours d’un bain de minuit fort chaste (tout le monde conserve ses sous-vêtements), l’une d’entre eux prend peur en apercevant deux types en train de pêcher au clair de lune, et tombe à l’eau. Elle est repêchée sans connaissance par les deux hommes, sous les regards terrorisés de ses amis. Persuadés qu’ils vont la tuer, ils s’empressent de partir à leur recherche sous l’impulsion de Chad, qui s’improvise chef de meute pour l’occasion. Loin de se douter de ce qui se trame, les deux hommes – Tucker et Dale – vaquent à leurs occupations, le premier en coupant du bois et le second en soignant la jeune femme repêchée.
Usés jusqu’à la corde, slashers et survivals n’en finissent pourtant plus de fleurir sur nos écrans. Enfin, surtout sur nos petits écrans, leur âge d’or étant depuis longtemps révolu, nonobstant un léger sursaut de la fin des années 90 au mitan des années 2000. La raison en est simple : ces deux branches de l’arbre horrifique présentent l’avantage de requérir à de faibles budgets et donc la garantie d’un retour sur investissement quasiment assuré. Car ne nous leurrons pas, quand on aime ces petites bandes horrifiques, difficile de ne pas se laisser tenter devant une offre pléthorique, quand bien même celle-ci souffrirait d’un manque latent d’imagination, la plupart étant dues à des réalisateurs en devenir qui ploient sous le poids des sempiternelles mêmes références et d’un cahier des charges trop étriqué. Et puis nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise, dans l’espoir secret de découvrir un film qui tirerait le meilleur parti de sa déférence tout en proposant quelque chose de neuf et d’honnête, c’est-à-dire sans jouer au petit malin donneur de (mauvaises) leçons, à la manière du combo Kevin Williamson-Wes Craven sur les Scream. Tucker et Dale fightent le mal aurait pu être celui-là si son réalisateur – Eli Craig – avait un tant soit peu assumé sa bonne idée de départ.
Tucker et Dale fightent le mal s’articule tout entier autour de la notion de peur. Aussi bien la peur de ce qui nous est étranger, corollaire évident à la paranoïa qui s’est emparée des États-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001, que celle – moins dangereuse – de déplaire. Tucker et Dale incarnent l’archétype du bouseux fruste et primaire, tout droit sorti de Délivrance. Leur simple présence mutique suffit à véhiculer tout un flot d’images à la sauvagerie latente, amplifié par la scène de la station-service, l’incontournable dernier bastion de civilisation avant la plongée dans la barbarie. Or ce tableau se retrouve hâtivement altéré par les échanges entre les deux amis durant lesquels ils nous apparaissent comme de bons bougres aux préoccupations prosaïques. Les intentions d’Eli Craig brillent par leur limpidité, aller au-delà des apparences tout en prenant le genre à rebours. La romance entre Allison et Dale participe de cette volonté en créant une porosité entre des catégories sociales qui campent habituellement fièrement sur leurs positions. Une romance vue sous le prisme de la belle et le bête en quelque sorte, qui se retrouve dans la manière d’appréhender la menace. Celle-ci n’est plus aussi évidente, émanant davantage des idées reçues d’esprits prétendument sains et éclairés que d’individus aux idées courtes mais avant tout rationnels et dénués de toute méchanceté. En somme, le film narre l’histoire de deux bons gars dont le quotidien se trouve perturbé par une bande d’étudiants en mal de sensations fortes et dont la vision binaire du monde les amène à voir le mal partout. Eli Craig dispose donc de tous les ingrédients propices à un humour caustique, sans se départir d’une certaine déférence au genre puisque par leur entêtement nimbé de suffisance ces étudiants se révèlent aussi stupides que leurs homologues des années 80… voire davantage. Sauf qu’à la causticité, il a préféré la distanciation, comme si sa bonne idée de départ ne pouvait se développer au premier degré.
De fait, Tucker et Dale fightent le mal se présente très vite sous son jour le plus caricatural, dispensant un humour lourdaud (les quiproquos autour de l’homosexualité supposée de Tucker et Dale), lorsqu’il ne s’avère pas tout simplement trop téléphoné. Assez tôt, les subterfuges employés par le réalisateur pour créer le doute dans l’esprit des étudiants souffrent de leur artificialité. Même lorsque l’un d’entre eux fonctionne – Tucker faisant irruption devant les étudiants, sa tronçonneuse à la main qu’il fait tournoyer au-dessus de sa tête pour évincer les abeilles qui l’assaillent après qu’il ait malencontreusement détruit leur ruche – Eli Craig le rend inefficace en l’étirant en longueur. Au lieu de cultiver l’ambiguïté autour de ses personnages, il s’échine à les maintenir dans des cases à l’instar du tout-venant des slashers/survivals, démontrant une réelle incapacité à exploiter correctement son postulat de départ. En dépit de données inversées, le film s’enlise dans un parfait manichéisme, et cède à la routine d’une litanie de morts plus grotesques les unes que les autres. Pour contrecarrer l’essoufflement progressif de son intrigue, Eli Craig tente à mi-parcours de créer un véritable antagoniste à ses deux héros, qui doit censément représenter le « mal » du titre. Un pauvre type traumatisé par le décès de ses parents, massacrés par une horde de bouseux en rut et contre lesquels il voue désormais une haine farouche. Le traitement ne différant pas du reste – toujours cette pesante distanciation prompte à annihiler toute ébauche de malaise –, l’idée tourne vite au ridicule à grand renfort de plans outrageusement iconiques, qu’un incompréhensible prologue sous la forme d’un flash-forward aura en partie éventé.
Précédé d’une flatteuse réputation et de quelques prix glanés au fil des festivals (meilleur réalisateur à Fantasia, et meilleur film dans la section Panorama à Sitges), Tucker et Dale fightent le mal déçoit plus qu’il n’éblouit. A ne pas vouloir prendre le genre à bras le corps, Eli Craig a pondu une comédie qui vire à la mauvaise parodie, déséquilibrée de surcroît par l’interprétation aléatoire des acteurs (de bonne tenue en ce qui concerne le duo vedette et aux confins de la nullité du côté de la jeunesse). Le film réussit par instant à faire sourire, notamment via l’hypothèse émise par Tucker pour expliquer que tous ces jeunes se tuent sous leurs yeux (un suicide collectif), mais navre le plus souvent par son incapacité à s’extraire des clichés autrement que par l’humour potache. Il serait question ces temps-ci de la mise en chantier d’un Tucker and Dale vs Evil 2. Le postulat de départ étant déjà trop court pour la durée d’un film, cette suite a tout de la mauvaise idée mercantile. Après tout, cela reste conforme à leur démarche de coller à un genre plutôt généreux en la matière.