Trio de terreur – Sidney Salkow
Twice-Told Tales. 1963Origine : Etats-Unis
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En ce début des années 60, l’épouvante gothique a le vent en poupe et Vincent Price fait figure d’icône américaine du genre. Les adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman y étant pour beaucoup, de par leur nombre et de par leur qualité générale. En 1963, à la sortie de ce Trio de terreur, le cycle compte déjà six films, dont cinq avec Price… Le chemin a donc été largement balisé, et les collègues de Corman auraient tort de ne pas s’y aventurer. C’est ainsi que naît Trio de terreur, film à sketchs s’inscrivant dans la lignée de L’Empire de la terreur, à ceci près qu’au lieu d’aller chercher l’inspiration chez Edgar Poe, il la puise chez cet autre écrivain emblématique de la littérature américaine qu’est Nathaniel Hawthorne, contemporain de Poe avec lequel il entretenait plus ou moins une sorte de rivalité, Poe l’accusant de s’inspirer de ses propres écrits et lui reprochant son inclination à la morale puritaine. Mais un siècle plus tard, cette querelle de précurseurs est devenue purement académique et ne saurait perturber Sidney Salkow, qui n’a pas vraiment pour objectif de la reproduire à l’écran. Faire comme Corman, voilà son objectif, et pour ce faire il reprend deux nouvelles de Hawthorne (dont une seule a été publiée dans le recueil Twice-Told Tales) et un roman, ces trois histoires étant reliées par la voix off de Vincent Price et par le bras d’un squelette tournant les pages d’un livre.
“L’Experience du Dr. Heidegger” nous raconte l’histoire de ce brave Heidegger (Sebastian Cabot), qui depuis 35 ans et la mort de sa fiancée Sylvia la veille de leur mariage vit comme un reclus, avec pour seul compagnie son ami Alex Medbourne (Vincent Price). Par une nuit pluvieuse, la porte du caveau où repose Sylvia s’ouvre, et les deux hommes s’y précipitent pour découvrir que le corps de la jeune femme est resté intact. Visiblement grâce à l’eau qui ruisselle du plafond et que Heidegger voit déjà comme une fontaine de jouvence, et comme le moyen de faire revivre purement et simplement sa promise.
Un vieux manoir, un caveau poussiéreux, la pluie, un ermite brisé par la vie portant un toast à sa fiancée décédée, une expérience scientifique défiant dieu et un secret tragique derrière toute l’affaire… Tout le cinéma gothique américain réuni dans une trentaine de minutes pendant lesquelles Sebastian Cabot vole la vedette à Vincent Price, tant son rôle lui permet de faire étalage d’une variété d’émotions (mélancolie, stupeur, espoir, excitation…) concentrées en peu de temps, auxquelles le plus froid Medbourne ne saurait prétendre, lui qui se montre d’abord assez passif, puis réticent aux expériences qui s’annoncent, dissimulant il faut bien le dire assez mal un certain côté cynique voire calculateur dont il n’est pas bien difficile de deviner la raison. Ce sketch manque singulièrement de surprises, son développement est cousu de fil blanc, tout s’y enchaîne un peu trop vite et Vincent Price n’y est pas utilisé à très bon escient. Et pourtant, il n’est pas déplaisant. Ce qui provient en grande partie de l’atmosphère qui s’en dégage, vue et revue, un peu moins bien soignée que dans les films de Corman, mais dans laquelle il est bon de se plonger de temps à autres. Il s’agit d’une forme d’épouvante minimaliste et très typée, qui se révèle malgré tout chaleureuse. Le casting très réduit et le fait que l’intrigue se déroule en vase clos participent à une immersion dans cet univers empreint d’une théâtralité que l’usage des clichés ne fait que renforcer et qui permet d’atteindre une certaine forme d’humour. De quoi poser des bases solides et saines pour un film qui ne s’annonce pas révolutionnaire, mais capable de fournir ce que l’on attend de lui.
Et il en fournit même plus avec le second sketch, “La Fille de Rappaccini”, qui a le grand mérite de vouloir préserver les ingrédients du cinéma gothique tout en le déplaçant dans un cadre inédit. Celui du jardin fleuri de Giacomo Rappaccini (Vincent Price), scientifique reclus maintenant sa fille Beatrice dans cet isolement floral duquel son voisin et prétendant Giovanni Guasconti aimerait bien la sortir. Le pauvre amoureux ne sait pas que Beatrice est tout aussi toxique que la plus grande des plantes du jardin. Elle ne saurait toucher un être vivant sans le faire périr. Le résultat des expériences de Rappaccini, bien décidé à la préserver du monde extérieur, pour lequel il n’a que mépris depuis que sa femme est partie avec un autre homme.
Voici un épisode qui ne manque donc pas de couleurs, paradoxalement associées à la mort. Et c’est bien là le drame que connaît l’étudiant Giovanni, qui ne peut se résoudre à l’idée qu’enlacer sa pimpante voisine lui est impossible… Laquelle voisine ne supporte plus de vivre ainsi, sans amour, et préférerait la mort, tandis que Rappaccini est sincèrement persuadé qu’en la préservant de la société il ne fait que lui rendre service. Autant dire qu’ici, tout le monde est tourmenté et que ce bucolique petit jardin de Padoue est voué à être le théâtre d’une tragédie shakespearienne. Comme dans le sketch précédent, nous nous trouvons face à un scientifique qui pour défier les lois de la vie s’est aventuré dans un territoire inconnu, voué à faire le malheur autour de lui. Si toutefois Trio de terreur devait afficher son lien avec Nathaniel Hawthorne, ce serait par ce biais, celui du respect des règles divines. L’homme n’a pas à vouloir dépasser son rang, sous peine de grands malheurs… Et de fait, c’est effectivement ce qui ressort avant tout de ce sketch qui s’apparente en fait plus à un drame qu’à un sketch d’épouvante. Il n’y a du moins pas les passages obligés du genre. Pas de squelette, de nuit brumeuse, de crypte… Tout se concentre dans l’aspect humain des choses, non sans une certaine poésie reposant sur la parenté de Beatrice avec les fleurs qu’elles est la seule à pouvoir approcher. Cette beauté empoisonnée est tout autant une demoiselle en détresse qu’un personnage maudit, emprisonné physiquement et émotionnellement, incapable de recevoir de l’amour par la faute même de son géniteur. Tout cela ressemble quelque peu à Frankenstein, à ceci près que le géniteur est fier de sa création et que la “créature” n’a rien de repoussant. Ces différences donnent une perspective intéressante au récit, et auraient d’ailleurs très bien pu servir de base à un long métrage qui aurait permis d’aller un peu plus loin dans l’étude des personnages et des interrogations allant de pair avec leur condition. Mais ne boudons pas notre plaisir : il s’agit très certainement du meilleur sketch, et Vincent Price y excelle dans le rôle ambiguë du savant fou n’ayant plus le sens des réalités humaines.
Retour à du gothique plus traditionnel pour le troisième et dernier sketch, inspiré non par une nouvelle mais par un roman. “La Maison aux sept pignons” (déjà adapté en 1940, et déjà avec Vincent Price -quoique dans un rôle différent-) raconte le retour de Gerald Pyncheon (Price donc) à la demeure familiale, 17 ans après l’avoir quitté. Il y retrouve sa sœur Hannah et y amène son épouse Alice, bravant la malédiction qui pèse sur les mâles Pyncheon depuis 150 ans, époque à laquelle un forgeron du nom de Matthew Maulle fut victime des manœuvres du Pyncheon d’alors pour le faire déguerpir pour de bon. Gerald quant à lui ne s’intéresse pas à la bâtisse mais au trésor qui y est dissimulé et que seuls les Maulle pourraient retrouver. Or, Jonathan Maulle, descendant de Matthew, n’entend pas enterrer la hache de guerre. Pendant ce temps Alice Pyncheon est victime de possession, de toute évidence suscitée par l’esprit de Matthew Maulle…
Assez dense, comme intrigue ! Mais finalement le traitement qu’en fait Sidney Salkow s’en accommode fort bien, puisqu’elle lui laisse toute latitude pour retrouver les recettes habituelles du cinéma gothique. Une louche de maison hantée, un brin de malédiction ancestrale, quelques secrets bien gardés, et bien entendu Vincent Price en avide châtelain bien décidé à ne pas s’en laisser compter, quand bien même le portrait de son aïeul se mettrait à pisser le sang, sort qui lui est lui-même promis… Tout ceci dans le cadre sinistre habituel. Sans parler de raté, il s’agit tout de même certainement du sketch le moins réussi du lot, car cette fois, si les clichés sont de mise, l’impression dominante est celle d’un trop grand premier degré. Price est fidèle à lui-même, mais il n’y a pas de personnage qui, à l’instar du Heidegger du premier sketch, permettrait vraiment de retrouver cette ambiance à la fois macabre et bon enfant. Par contre, il y a une amourette naissante entre la femme de Pyncheon et l’héritier Maulle, ceci à l’initiative du fantôme du vieux Maulle… Ce qui n’est certainement pas un gain très appréciable. Il faut donc se concentrer sur cette intrigue un peu trop riche et traitée par dessus la jambe par un réalisateur peu inspiré (la fameuse cachette recherchée par des générations de Pyncheon est franchement risible), ne sachant en fait pas vraiment à quoi se raccrocher. Il se disperse, devient brouillon et ne s’en remet plus qu’à ses acteurs et à quelques effets spéciaux pas forcément très convaincants.
Pas trop mal tout de même, ce Trio de terreur. Pas de quoi faire de l’ombre au cycle Poe, ni aux meilleures productions gothiques venues d’Italie ou d’Angleterre, mais pour un film n’ayant d’autre ambition que de surfer sur cette vague, il ne s’en tire pas trop mal et a même su faire un peu preuve d’originalité lors du second sketch. Pour ainsi dire, son inégalité reflète l’état de ce style d’épouvante à cette époque donnée : du traditionnel sympathique, du mémorable et du machinal vite oublié.