The Vampire Lovers – Roy Ward Baker
The Vampire Lovers. 1970Origine : Royaume-Uni / États-Unis
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De son vrai prénom Carmilla, Marcilla Karnstein est une jeune vampire promenée de foyer en foyer par un tandem composé d’une soi-disante comtesse et d’un sombre cavalier. Le trait commun de ces points de chute est d’abriter une jeune femme dont Marcilla se fera l’amie intime pour mieux se nourrir d’elle jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cette fois, ses tuteurs vampiriques réussissent à la caser chez le Général von Spielsdorf, père de Laura.
Premier né d’une nouvelle saga vampirique qui donnera finalement trois films officiels et deux autres qui s’y rattacheront plus ou moins, The Vampire Lovers marque une évidente volonté d’adaptation de la part d’une Hammer luttant vaillamment contre la ringardisation sans pour autant tout à fait renoncer à ses spécificités. La même tentative était alors en cours avec l’emblématique saga des Dracula, mais la longévité de celle-ci (dont le premier opus est tout de même apparu en 1958) ne pouvait que constituer un frein dans la tête des spectateurs, à une époque où les figures classiques de l’épouvante retournaient gentiment dans l’ombre. Des tentatives plus ou moins hasardeuses de réorientation seront tout de même lancées, mais l’inspiration n’y est plus vraiment. D’où ce Vampire Lovers venant remettre les compteurs du vampirisme à zéro en créant un nouveau thème tout adapté à l’ère du temps. Et pourtant, à bien regarder les noms au casting, le renouvellement est loin d’être évident : le réalisateur Roy Ward Baker est déjà un vétéran. C’est pourtant à lui que la Hammer confie la lourde tâche d’entreprendre cette nouvelle saga et de relancer celle de Dracula (Les Cicatrices de Dracula sorti la même année), tout comme il avait essayé de relancer trois ans plus tôt celle de Quatermass. Au casting, la présence du vénérable Peter Cushing est encore moins surprenante, tandis que l’absence de Christopher Lee n’est due qu’au refus de celui-ci de tourner un nouveau film de vampire alors qu’il rechignait déjà de plus en plus à reprendre la cape de Dracula. Enfin, cerise sur le gâteau, le roman sur lequel se base le film est encore plus ancien que celui de Stoker. Le Carmilla de Sheridan Le Fanu date de 1872… Tout semblait réuni pour plomber le renouvellement tant attendu. Sauf peut-être un nom : Tudor Gates, venu tout droit de deux des films les plus étranges récemment sortis : le Danger Diabolik de Mario Bava et le Barbarella de Roger Vadim. Deux œuvres à l’esprit BD affirmé, bariolés et aux personnages ostensiblement hors-normes. Dans les deux cas, Marisa Mell et Jane Fonda marquèrent les esprits par leurs poses lascives et leur personnalité résolument moderne. C’est précisément cette capacité à créer des sex symbols entreprenants qui ont valu à Gates d’être invité par les pontes de la Hammer, qui se souviennent encore qu’eux-mêmes furent naguère à la pointe de l’érotisation.
Des éléments marquants des précédents films de Tudor Gates, seul l’élément féminin a donc joué, le scénario lui réservant une place centrale. Et cela va au-delà du simple déshabillage des actrices duquel se contenteront globalement les nouveaux Dracula. Carmilla Karnstein se livre sans retenue au lesbianisme, profitant de l’amitié qu’elle a su gagner chez ses jeunes hôtesses. A première vue, cela pourrait être comparé à ce que faisait le Dracula de Christopher Lee, c’est à dire subjuguer des jeunes vierges et profiter d’elles. Mais à bien y regarder, Carmilla va au-delà : non seulement l’acte physique dépasse la simple symbolique de la morsure, mais il y a derrière cela toute une forme de perversion se faisant un malin plaisir d’exploiter ces jeunes filles de bonnes familles qui n’ont aucune éducation sexuelle et se complaisent dans un monde romancé. En d’autres termes, ses victimes ne voient strictement rien venir, ne perçoivent rien d’autre dans les câlins que leur fait Carmilla que des marques d’amitié poussées, et même à l’article de la mort elles n’ont toujours rien compris. Quant aux morsures de la vampire, elles se résignent à les interpréter comme des cauchemars faute de trouver une quelconque explication à ces évènements se produisant durant leur sommeil et prenant la forme tantôt d’un félin, tantôt celle de Carmilla. Là où Dracula venait brutalement faire ressurgir une volonté sexuée enfouie, Carmilla incarne la corruption de l’innocence de manière plus feutrée. Elle profite à la fois des envies sexuelles de ses proies, mais aussi de leurs manières et de leur éducation défaillante. C’est ainsi que contrairement au comte elle parvient à se faire accepter de l’environnement de leurs victimes, corrompant également au passage (mais cette fois sans vampirisme aucun, simplement en misant sur le côté sexuel) ceux qui pouvaient lui faire obstacle : ici une gouvernante, là un serviteur… Quant aux pères, eux aussi tardent à comprendre ce qui se trame dans la chambre de leurs filles qu’ils ont eux-mêmes façonnées dans un idéal de pureté qui justement les laissent vulnérables face à Carmilla. Leur condition aristocratique ne les a pas plus préparés à la corruption de leurs filles qu’à l’existence de vampires, pas une seule fois envisagée avant que la vérité ne s’impose par l’entremise d’une vieille gloire grisonnante qui a naguère combattu les Karnstein (dans le prologue). The Vampire Lovers n’a aucun véritable héros comme l’était Van Helsing. Le combat avec le vampire sera un non-évènement, l’essentiel se déroulant sans la présence de Carmilla via un procédé venant rompre avec la mythologie classique du vampire. Là-dedans, Peter Cushing est l’un de ces pères de famille trop guindés, trop aveuglés par les valeurs élevées de sa condition. A bien y regarder, la figure la plus alerte est encore celle de ce serviteur qui, une fois livré à lui-même, tente de résister aux pressions de la gouvernante -alors alliée de Carmilla- pour retirer l’ail et le crucifix de la chambre de sa maîtresse. Ses soupçons sur le vampirisme auront été éveillés par les villageois, traditionnelles figures apeurées qui ici, bien qu’en ne formant guère plus qu’une foule terrifiée entrevue dans une ou deux scènes, détiennent ce qu’il faut bien appeler le bon sens. Roy Ward Baker n’en fait nullement l’éloge mais -chose très intelligente dans un film Hammer “modernisé”- il met en avant l’idée que des maux supposés disparaître avec l’abandon des superstitions ne font au contraire que bénéficier de ce nouveau contexte.
The Vampire Lovers avait vraiment le potentiel pour être un nouveau pic qualitatif de la Hammer. Ce qu’il n’est pas devenu, et à juste titre. Ce qui l’en empêche ? Fait assez surprenant, il pêche là où le studio excellait jusque là. En premier lieu, le choix de la tête d’affiche… Faute de héros, c’est bien Ingrid Pitt qui occupe cette place. Or, elle n’a pas vraiment les épaules pour. Son physique bien trop plantureux est un argument de vente qui ne cadre pas vraiment avec son rôle, pour lequel une actrice à la silhouette moins typée “playmette” aurait été mieux adaptée. Et surtout, aucun charisme ne ressort de sa Carmilla. Ce n’est pas que Pitt joue particulièrement mal, mais son jeu manque clairement de conviction. Elle aurait été très bien pour jouer l’une des “vampirettes” de Dracula, mais de là à lui succéder comme figure de proue de la Hammer, il y a de la marge. Christopher Lee lui-même avait droit à la concurrence de Peter Cushing, tandis Ingrid Pitt se retrouve livrée à elle-même. Ce n’était pas un cadeau à lui faire, et là-dessus on ne peut qu’en conclure que les cadres de la Hammer ont voulu jouer la sécurité en abusant des recettes typiques du cinéma d’exploitation. Un peu comme s’ils avaient manqué de confiance. La même impression se retrouve dans cette autre grande déception que constitue l’esthétique générale. Sans être bâclée, elle est bien loin de la flamboyance des œuvres produites à l’âge d’or du studio. L’opulence des châteaux aristocratiques ne remplace pas les bons vieux décors gothiques qui se limitent ici à quelques plans machinaux de cimetières (quelques croix et des fumigènes), à de la pleine lune et à un château abandonné. L’éclairage est quelconque, foulant aux pieds une tradition d’excellence visuelle qui, par l’irréalité qu’elle portait était peut-être considérée comme surannée à cette époque où le réalisme cru revenait en force. Le comble de la laideur est même atteint dans les séquences de cauchemars, passant carrément en noir et blanc pour incorporer des surimpressions en gros plan. Pour le coup, non seulement ça tape à côté de la modernité mais on croirait même voir un sous-produit du cinéma d’épouvante des années 30. Incompréhensible. Ces défauts peuvent paraître anodins face à l’intelligent scénario, mais ce n’est pas le cas. Ils le ternissent jusqu’à la fadeur et font par conséquent ressurgir la gratuité des éléments purement commerciaux auxquels la Hammer n’a jamais vraiment su s’habituer (sans parler de rivaliser avec la concurrence américaine ou italienne). Mais d’un autre côté, procéder autrement n’aurait du coup pas vraiment aidé à remettre le studio au goût du jour. On en vient à se dire qu’aussi triste que cela puisse paraître, la Hammer (ou tout du moins la conception de l’épouvante qu’elle a véhiculée à son âge d’or) avait tout simplement fait son temps et qu’elle devait laisser la place.