The Dark Knight Rises – Christopher Nolan
The Dark Knight Rises. 2012Origine : États-Unis
|
Huit ans après la mort d’Harvey Dent, Gotham City vit une période faste, ses rues n’étant plus gangrenées par le crime. Batman lui-même a disparu de la circulation, sa présence n’étant plus nécessaire dans une ville désormais pacifiée. Du moins en surface, car comme le découvrira le commissaire Gordon, un bataillon d’hommes lourdement armés aux ordres de l’impitoyable Bane peuplent les égouts, attendant le moment propice pour mener leur révolution. Alerté par ce qu’il se trame, Bruce Wayne sort de sa réserve et rendosse son costume de justicier, bien décidé à circonscrire la menace.
Énorme succès à sortie, The Dark Knight pouvait alors être perçu comme un aboutissement. Jamais avant lui, un film de super-héros n’avait suscité un tel engouement public, auquel s’ajoutait une presse quasi unanime. Le déferlement d’éloges à son endroit était tel, qu’il n’était pas rare de lui voir attribué le statut de « film de superhéros ultime ». Il convient néanmoins de nuancer ces dithyrambes. Précédé d’une campagne de presse tapageuse à laquelle était rattaché le décès récent de Heath Ledger, The Dark Knight a bénéficié d’une sorte de curiosité morbide de la part d’une frange du public pas forcément acquise à la cause de Batman. Cette mort prématurée d’un jeune acteur promis à un brillant avenir émut à ce point l’opinion qu’il obtint l’Oscar posthume du meilleur second rôle. Sans faire injure à la prestation du comédien, plutôt bonne au demeurant, sa performance ne méritait pas d’être plus mise en avant qu’une autre. En outre, cette récompense apporta du crédit à Christopher Nolan qui par son intermédiaire est parvenu à sortir son film de super-héros du ghetto des prix techniques auxquels le genre se retrouve d’ordinaire cantonné. Une réelle ambition pour lui qui a justement fourni tant d’efforts pour rendre l’univers de Batman réaliste, notamment en l’ancrant pleinement dans l’Amérique post 11 septembre 2001. Un sous texte sociopolitique qui n’est pas étranger à la bonne appréciation de ces Batman, apportant une dimension nouvelle aux agissements des divers personnages propres au comic, en sus d’une grille de lecture toute faite. Pour ma part, je trouve que ce procédé fait office de cache-misère, de nombreux divertissements y allant dès lors de leur citation plus ou moins directe (La Guerre des mondes version Spielberg, par exemple) comme pour se donner bonne conscience. Genre « nous avons toujours l’ambition de nous remplir les poches mais voyez comme nous prenons aussi conscience que la situation a évolué » ! Il en va bien évidemment ainsi de The Dark Knight Rises, Christopher Nolan ne pouvant s’empêcher d’imbriquer l’actualité au devenir de son Batman.
Nous découvrons donc une Gotham City comme nous ne l’avions jamais vue, pacifiée, traversant une période de paix prompte à pousser le maire à se débarrasser des derniers vestiges de la guerre contre le crime tel le commissaire Gordon. Une bien piètre façon de remercier cet homme, qui par son silence a justement contribué à l’assainissement de la ville. Conformément au souhait de Batman, Harvey Dent a été érigé en martyr mort sur l’autel de la lutte contre la pègre, passant sous silence sa courte période homicide sous les traits de Double-Face. En sa mémoire, les édiles de Gotham ont donc voté le Dent Act, une loi vouée à éradiquer le crime. Toute ressemblance avec le Patriot Act est bien évidemment purement volontaire. Christopher Nolan sous-entend ainsi que la paix des habitants s’est établie au détriment de leurs libertés fondamentales. Étrangement, alors que Gotham est souvent évoquée comme une entité qu’il faut au choix, détruire car pervertie, ou sauver car méritante, ses composantes ne sont pas mises en avant. Le bon peuple de Gotham se retrouve aux abonnés absents alors même que le temps du discours extrêmement populiste de Bane, il est mis en avant comme un enjeu capital. Or, devant déjà brasser une multitude de personnages, Christopher Nolan se désintéresse totalement de tout habitant de Gotham qui n’est ni un agent assermenté des services de police, ni un délinquant. En dehors de ces deux pôles, point de salut. De fait, le siège de Gotham est observé par le petit bout de la lorgnette, se limitant au manichéen combat du Bien contre le Mal. En soi, le discours de Bane n’a pour seule vocation que d’établir un parallèle entre les événements du film et les mouvements des Indignés qui fleurissent un peu partout depuis la crise économique qui secoue le monde. En mode héraut populaire, Bane clame sa haine des nantis qui croient détenir le pouvoir sous prétexte qu’ils possèdent toutes les richesses, et exhorte le peuple à se soulever, à faire entendre sa voix auprès de ces classes dirigeantes trop longtemps terrées dans leurs tours d’ivoire. Sa présence alliée à celle de Selina Kyle, une cambrioleuse de charme qui se réclame davantage de Robin des Bois que de Catwoman, dont le nom ne sera jamais prononcé en dépit de peu subtiles allusions, donne un tour très social à ce troisième acte. Une dimension sociale quelque peu forcée, et qui vole en éclat lors d’un retournement de situation digne des pires feuilletons. Ce « twist » est révélateur d’un récit moins bien charpenté qu’à l’accoutumée, plus propice aux trous scénaristiques caractérisés par les nombreuses ellipses du film, et guère avare en grosses ficelles. Une instabilité qui renvoie à la précarité de la paix retrouvée à Gotham qui, comme un symbole, verra la résurgence du Mal jaillir des entrailles de la Terre, des égouts mêmes de la ville où se cachent tous les exclus de la société. Un autre exclu brille par son absence, nul autre que Batman, ombre parmi les ombres dont le souvenir est toujours présent dans certains esprits.
A quoi ressemblerait un superhéros s’il n’avait plus de crimes à éradiquer ? Sans doute à ce Bruce Wayne que nous retrouvons reclus au fin fond de son manoir, ne conservant comme seul lien avec le monde extérieur que ce bon vieil Alfred, toujours fidèle à son maître. Désœuvré, il vit en ermite, cassé par ses combats passés, dans une posture qui renvoie ostensiblement à la vision du Batman vieillissant dessiné par Frank Miller dans son célèbre Batman : The Dark Knight Returns. Pourtant, ce n’est pas la fin de ses activités de justicier que pleure Bruce Wayne, mais la mort de son amour de toujours Rachel Dawes, qu’il n’a pu empêcher. Sa profonde culpabilité le pousse à l’auto apitoiement, posture dans laquelle il se complait avec un bel entrain. Pourtant, si de prime abord Christopher Nolan semble vouloir écorner l’image de son héros, c’est pour mieux la magnifier par la suite. On ne se proclame pas héros, on le devient. Et plus l’adversité est grande, le chemin long et semé d’embûches, plus l’aura héroïque sera grande. En conséquence, il lui confectionne un parcours sur-mesure qui le propulsera du fond du gouffre au sommet de sa gloire. Et que celui-ci épouse les grandes lignes d’un fleuron du cinéma décérébré des années 80 tel Rocky III, confine à l’hilarité. Toutefois, Sylvester Stallone parvenait malgré tout à conférer à son film une once d’émotion là où le film de Nolan en est totalement dépourvu. D’ailleurs, de manière générale, l’émotion affleure rarement de l’œuvre de Christopher Nolan. Ses films ont un côté froid que leur mécanique trop bien huilée ne rend que plus prégnant. Un défaut dommageable dont pâtit la scène-clé du film, à savoir la déroute de Batman, broyé par le démolisseur Bane. En dépit de sa volonté de se passer d’un réalisateur de seconde équipe, Christopher Nolan ne s’est jamais montré très à son aise avec les scènes d’action. Le combat Bane-Batman ne déroge pas à la règle, le premier d’entre eux –le plus important– souffrant d’un cadrage trop serré, à tel point qu’on ne peut guère apprécier l’ampleur de la rouste reçue par le justicier masqué. Pis, sa conclusion apparaît totalement dépassionnée, un comble alors qu’il s’agit ni plus moins que de la chute de Batman. Mais sans doute la raison est à chercher dans la propension qu’a eu Nolan en l’espace de trois films à s’intéresser davantage à l’homme derrière le masque –Bruce Wayne–, qu’au justicier. En creux, The Dark Knight Rises laisse entendre que Batman n’est qu’un symbole que chacun pourrait s’approprier (incarner) pour peu qu’il en ait la motivation. Le but du film est donc double : redorer le blason de l’icône Batman afin qu’il ne soit plus considéré comme l’égal de ceux qu’il pourchasse, et permettre à Bruce Wayne de s’accomplir dans sa vie d’homme. Un double enjeu qui ne fait vraiment sens qu’à la faveur d’un final assez navrant où se dispute tout à la fois coup de coude à l’attention des fans (Oh, il s’appelle Robin !), et émotion compassée digne d’une comédie romantique.
The Dark Knight Rises se devait de conclure la trilogie en apothéose, il fait office de pétard mouillé. Toujours empreint d’un trop grand sérieux, Christopher Nolan échoue à conférer l’ampleur nécessaire à ses scènes d’action, lorsque celles-ci ne s’avèrent pas tout bonnement ridicules (l’assaut kamikaze des forces de police demeure un grand moment de n’importe quoi), et plombe considérablement ses ambitions par des dialogues sentencieux. Trop pensé pour faire sens, The Dark Knight Rises se retrouve piégé par sa prétention sans paradoxalement jamais se montrer à la hauteur de celle-ci.
Vous etes un peu dur avec le film, mais vous visez deux défauts dans le cinéma de Nolan, le manque d’emotion, et les problèmes de cohérences dans cette trilogie de Batman, et puis aussi ce besoin de symbolisme un peu lourdingue. J’ai néamoins aimé ce film et j’espere avoir votre analyse ou celle de Loic Blavier, sur les films de Snyder, qui je pense ne vous plaira pas plus.
Au vu de la qualité de votre critiques et analyses et du travail que vous effectuez, je regrette sincerement que celui ci ne soit pas plus reconnu.