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Psychout for Murder – Rossano Brazzi

Salvare la faccia. 1969

Origine : Italie
Genre : Drame giallesque
Réalisation : Rossano Brazzi
Avec : Adrienne Larussa, Rossano Brazzi, Paola Pitagora, Alberto de Mendoza…

Grand jour pour le riche industriel Marco Brignoli ! Aujourd’hui, on inaugure en fanfare sa nouvelle usine. La couverture médiatique s’annonce d’autant plus conséquente que les politiciens ambitieux seront aussi au rendez-vous. Mais pas de bol, le jour même, sa fille Licia est prise en flagrant délit d’encanaillement aux bras de son petit copain Mario dans un hôtel de passes. Le scandale pouvant nuire aux intérêts de la famille Brignoli, décision est prise de faire passer Licia pour folle et de l’envoyer quelques temps en asile. A sa sortie, la jeune femme traumatisée n’a d’autre ambition que de se venger là où ça fait mal au paternel : l’image publique.

A ses belles heures, Rossano Brazzi apparaissait dans du David Lean (Vacances à Venise, 1955), du Mankiewicz (La Comtesse aux pieds nus, 1954) ou du Abel Gance (Austerlitz, 1960). A ses heures creuses, on le voyait plutôt frayer dans du feuilleton (La Croisière s’amuse, Pour l’amour du risque) voire dans de l’exploitation bas de gamme (Le Château de Frankenstein). Bref, sa carrière a connu son heure de gloire avant de lentement décliner. Entre les deux, et peut-être pour éviter de glisser irrémédiablement sur la mauvaise pente, l’acteur se sera essayé à trois reprises à la réalisation dans son pays natal sans que cela ne suffise à le relancer d’un côté ou de l’autre de la caméra. N’empêche qu’avec Salvare la faccia, alias Psychout for Murder, il s’est réellement donné les moyens de réaliser quelque chose de personnel mais qui ne saurait non plus être réduit à un pensum d’auteur. Sur un scénario signé de lui-même, et avec une production due à son frère Oscar, il s’aventura en effet dans le film soixante-huitard militant, le tout porté par des codes narratifs inspirés par les recettes du giallo naissant… voire du “rape and revenge” encore à venir. C’est que nous sommes ici dans une intrigue articulée autour d’une sombre machination dans le milieu de la haute société (élément typique du giallo), mais que pourtant il ne s’y trouve aucun tueur ganté, et même aucun meurtre direct : la sanction tombe la plupart du temps sous la forme du discrédit. Le coupable ne demeure mystérieux qu’aux yeux des infortunés, puisque le spectateur sait bien qu’il s’agit de Licia Brignoli, pour laquelle il prend fait et cause. C’est en cela que Psychout for Murder est digne d’un “rape and revenge” : après nous avoir montré la manière dont une femme fut bafouée, il nous invite à suivre sa vengeance non sans une certaine délectation d’autant plus prononcée qu’elle ne s’exprime pas sur le mode de la violence ouverte. Brazzi ne cherche aucunement à choquer, évite de jouer sur les bas instincts, et son film ne s’inscrit définitivement pas dans la radicalité qui sera celle des années 70. Il n’use même pas de la sophistication graphique du giallo, ou de quelconques effets psychédéliques. Pourtant il fait malgré tout son petit effet, ce que l’on doit à la malignité de son héroïne. C’est que Licia aime à tromper son monde en se faisant passer pour une jeune frivole se tenant à l’écart des préoccupations affairistes de son entourage pour revêtir les habits à la mode de la jeune mondaine que tout le monde, et son entourage au premier chef, croit qu’elle est. Prise pour une cruche, elle peut ainsi détourner les soupçons pour faire tanguer le bateau familial. C’est ainsi qu’elle aime à s’afficher candidement en petite tenue -voire sans tenue du tout- face à son beau-frère, histoire non seulement de le corrompre, mais également de briser le couple de sa propre sœur, laquelle prend alors conscience qu’elle ne fut pour son mari qu’une marche vers le succès. Ou encore, lorsque son père cherche à flatter l’influent curé de la paroisse en lui projetant le film d’un récent pèlerinage, remplace-t-elle la bobine par la nettement moins bien reçue “sex tape” du même paternel. La revanche est vacharde, mais non dépourvue d’ironie et d’intelligence. En soi, cela seul aurait pu suffire à faire tenir le film sur la durée. Brazzi avait pourtant d’autres idées en tête, et un constat social à faire passer.

Sans être tout à fait digne des films d’Elio Petri, que ce soit dans leur forme vindicative (La Classe ouvrière va au paradis, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon) ou dans leur forme surréaliste (Un coin tranquille à la campagne), Psychout for Murder revendique tout du long un engagement marqué. Un engagement qui s’attarde sur les répercussions d’une vie entièrement consacrée à la réussite sociale, avec ce que cela témoigne de l’humanité de ceux qui se sont engagés dans cette voie. L’introduction -le sacrifice de Licia- donne le ton : plutôt que de défendre l’incriminée, il s’agit de préserver une image de marque sans pourtant donner l’impression d’agir dans cette optique. L’asile est une solution logique : il donne ainsi l’impression que la famille prend ses distances avec l’acte incriminé (par moralisme) tout en n’abandonnant pas la brebis galeuse. Ceci relève d’un froid calcul élaboré par le père Brignoli avec ses conseillers. Toute la vengeance de Licia se résumera donc à faire ressortir l’hypocrisie de cette famille de la grande bourgeoisie en cheville avec un monde politique dont elle obtient les faveurs (des terres constructibles) en échange d’un soutien sans faille. Licia n’épargnera pas non plus le petit ami avec lequel elle fut prise la main dans le sac, qui lui aussi s’imagine déjà accéder à la belle vie en monnayant son silence sur la présumé “folie” de Licia. Plus que les individus, les concepts incarnés de corruption, d’arrivisme et d’affairisme semblent être les cibles de la jeune femme. Sa vengeance a donc une claire tonalité politico-sociale que l’absence de toute radicalité graphique ne fait que préserver. Elle ne fait en fait que mettre crûment en évidence les contradictions d’un discours public lissé. L’exemple du bon chrétien qui tourne des “sex tapes” est éloquent. Le titre Salvare la faccia (ou “Sauver la face”) se montre donc profondément adapté, en cela qu’au gré des éclats vengeurs de Licia, son père cherche à préserver son image, et partant ses perspectives d’avenir, plutôt que d’assumer des vices qu’il a toujours cherché à étouffer. La radicalité atteindra aussi les personnages secondaires, soumis au patriarche et à sa vision : c’est le cas de Giovanna, la sœur de Licia, et de son mariage aveugle avec un opportuniste de première. Bien qu’elle n’ait elle-même qu’une responsabilité moindre (celle du silence) dans l’internement de Licia, Giovanna est malgré tout coupable de n’avoir jamais su s’affranchir de l’influence paternelle, pensant y obtenir une vie aisée caractérisée par un conformisme typiquement bourgeois : mari aimant et aisance financière, voilà qui suffisait à la combler. Les actes de sa sœur lui démontreront pourtant la fausseté de la première assertion, et les contreparties de la seconde, tout en lui renvoyant au visage son propre aveuglement.

Au-delà de ce qu’elle met en évidence, Licia Brignoli fait également mouche par le fait qu’elle-même n’est pas sortie indemne de son internement en asile. Juste avant d’incarner pour Lucio Fulci une Beatrice Cenci écrasée par l’hypocrisie de l’Eglise, Adrienne Larussa adopte ici un rôle semblable, celui d’une femme qu’une puissance sociale cherche à écraser. Dans un film comme dans l’autre, elle endosse le rôle avec brio, et pas uniquement parce que son physique avenant (sur lequel Brazzi comme Fulci mettent l’accent) et ses grands yeux de biches séduisent le spectateur. Dans Psychout for Murder, l’actrice peut également compter sur son metteur en scène, qui a la bonne idée de lui réserver des scènes d’intimité dans lesquelles elle tombe le masque de la jeune délurée pour illustrer la folie inoculée par son séjour à l’asile. Car si elle n’était pas folle en y entrant, elle l’est en sortant. Ou tout du moins un peu, car ses crises de larmes ou de fous rires en solitaire, ses fantomatiques déambulations dans les vastes couloirs vides relèvent plus de la faiblesse mentale que de la folie furieuse. La nature feutrée de sa vengeance témoigne d’une intelligence préservée, mais aussi d’un certain désarroi personnel, puisqu’elle-même sera en dernier ressort atteinte par la chute de sa famille. La solitude, le désespoir voire même une certaine forme de haine dissimulée apparaissent en filigrane derrière cette vengeance qui par son ironie n’est pourtant pas dénuée d’un subtil humour noir. Licia Brignoli est donc un personnage assez profond, sorte de martyr d’une société déshumanisée depuis sa sphère politique jusqu’à la sphère familiale. Il va donc sans dire que l’on compatit grandement avec elle, et qu’Adrienne Larussa se montre ici aussi touchante qu’elle le sera dans Beatrice Cenci. Étonnamment, elle qui partait sur de si bonnes bases (avant ce tandem de films elle n’était apparue au cinéma que dans une comédie aux côtés de Vittorio Gassman) ne brillera plus guère en quittant l’Italie pour retourner sur ses terres américaines natales. Un rôle secondaire dans L’Homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg, quelques épisodes de séries télévisées (L’Age de cristal, The Amazing Spider-Man, Drôles de dames…) et un mariage-éclair avec Steven Seagal dans les années 80 seront ses seuls faits d’armes.

Peut-être desservi par un certain académisme formel malvenu à l’aube du giallo, coincé entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire dont ce même giallo faisait partie Psychout for Murder reste méconnu. Et c’est bien dommage : Rossano Brazzi a pondu là quelque chose d’intelligent, de fin et de suffisamment original pour ne pas lui trouver d’équivalent évident. Si ce n’est évidemment Beatrice Cenci, mais Lucio Fulci sut dans celui-ci se montrer bien plus à l’aise dans la forme, ne lésinant pas sur la violence (non gratuite cependant) pour marquer les esprits.

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