Moonwalker – Jerry Kramer et Colin Chilvers
Moonwalker. 1988.Origine : États-Unis
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Depuis que Michael Jackson a été enterré en grandes pompes sous les yeux embués du monde entier, les choses sont à peu près revenues à la normale sur la plupart des grandes chaînes. Arte a quant à elle souhaité jouer les prolongations en lui consacrant une ultime soirée hommage à base de documentaires inédits et en ressortant des placards Moonwalker, le caprice cinématographique de la star. Par le passé, le King of the pop avait déjà été approché par le septième art, jouant l’épouvantail dans une version très « blaxploitation » du Magicien d’Oz, The Wiz de Sidney Lumet (1978). A l’époque, Off the wall était encore dans les tiroirs et Michael Jackson un chanteur certes talentueux mais au rayonnement encore restreint. Par la suite, il ne réitéra pas l’expérience, du moins pas de manière formelle. Dans le sillage du raz de marée Thriller, le clip éponyme signé John Landis lui permit une incursion dans quelques salles de cinéma. Et puis un an après la sortie de Purple Rain, film à la gloire de Prince, son concurrent direct sur la scène musicale d’alors, il participe au moyen-métrage Captain Eo réalisé par Francis Ford Coppola pour les parcs d’attractions Eurodisney. Et si l’on excepte l’arlésienne Peter Pan qu’il aurait dû tourner sous la direction de Steven Spielberg (et qui verra finalement le jour sans lui en 1992), Michael Jackson n’a toujours aucun projet cinématographique viable à se mettre sous la dent. Sans doute lassé d’attendre, il décide de s’offrir lui-même cette opportunité via ce Moonwalker qui, plutôt qu’un film, s’apparente davantage à un énorme clip promotionnel faisant suite à son dernier album Bad, sorti en 1987.
Pour résumer, Moonwalker se compose en trois parties d’inégales longueurs et dont seule la dernière repose sur une ébauche de scénario. Le film démarre sur des images de la star en concert chantant “Man in the mirror” avec force détails sur une foule en transe où il n’est pas rare de voir certains fans frôler l’évanouissement devant ses déhanchés. Petit à petit, les images de concerts alternent avec des images des grands de ce monde (Martin Luther King, John Fitzgerald Kennedy, Mère Térésa,…) histoire que nous comprenions bien l’importance que Michael Jackson s’accorde. N’oublions pas qu’il fut à l’origine (avec Lionel Richie) de la chanson collective “We are the world” dont le but était de récolter des fonds pour lutter contre la famine en Éthiopie. De toute manière, pour ceux qui ont la mémoire courte, la suite du programme se charge de le leur rappeler au cours d’une rétrospective de la carrière de la star, de ses débuts au sein des Jackson Five jusqu’à l’apogée de sa gloire. C’est que sous ses airs de jeune garçon timide et innocent se cache un véritable mégalomane qui se permet toutes les excentricités. Et Moonwalker en est une parmi d’autres.
Après la rétrospective, place à un appel à la tranquillité. Comme toutes les stars, voire même davantage, Michael Jackson vit en permanence sous le feu des caméras, le moindre de ses mouvements étant épié, analysé puis rapporté. Il en nourrit une profonde lassitude qu’il se permet ici de mettre en scène. Ainsi, nous le voyons quitter le tournage d’un clip pour ensuite être pris en chasse par une horde de fans déchaînés. Mais attention, pas n’importe quels fans ! Il s’agit ici d’individus surmontés d’une tête hypertrophiée et constitués en argile selon une technique d’animation issue des pays de l’est, la claymation. Affublé d’un costume de lapin, le chanteur s’enfuit aussi loin qu’il peut dans un mélange de plans réels et de figurines animées pour un résultat guère convaincant. Mais Michael Jackson n’en a cure puisque sur fond de “Leave me alone”, il souhaite avant tout faire passer un message à tous ses contempteurs. Sous couvert d’autodérision (il danse avec le squelette d’un homme éléphant, son corps sert de support à un parc d’attractions), il fustige cette presse prompte à s’intéresser d’un peu trop près à sa personne en reprenant quelques unes des nouvelles les plus fameuses entendues à son sujet. Tout y passe : ses multiples opérations chirurgicales, sa brûlure au cuir chevelu sur le tournage d’une pub, sa dévotion pour Elizabeth Taylor, l’achat du corps de Elephant man ou encore ses nuits passées dans un caisson cryogénique. En plus de confirmer cette image d’un homme totalement à part, qui s’autorise tous les excès, ce passage montre à quel point Michael Jackson s’en amuse, trouvant tout cela normal et finalement bien inoffensif. En un sens, il n’a pas tort, un peu d’excentricité ne faisant de mal à personne. Il est vrai qu’à l’époque, la star n’était encore décrite que comme un doux dingue, les soupçons portant sur sa pédophilie n’étant pas encore de mise. Michael Jackson avait encore cette image de grand ami des enfants, lui-même en étant encore un, prisonnier dans un corps d’adulte sur lequel il s’efforce d’effacer les outrages du temps. Une image que Moonwalker ne se prive pas de véhiculer, tout d’abord par l’entremise d’une parodie du clip “Bad” interprété par des enfants qui s’en donnent à cœur joie dans l’imitation de leur idole, puis lors du dernier acte du film qui assoit Michael Jackson en ultime rempart entre les enfants et la perversité du monde incarnée par le cabotin Joe Pesci.
Dans ce dernier acte, Michael Jackson pose en preux chevalier blanc luttant corps et âme contre le diabolique Mister Big, dont le but avoué est d’inoculer sa drogue dans les veines des pauvres petits enfants. Vous comprendrez donc aisément que le sang de la star ne fasse qu’un tour. Tournée uniquement en studio, dans des décors labyrinthiques et baignant dans la pénombre, cette partie se donne des faux airs de Brazil pour ce qui n’est qu’une banale lutte entre le Bien (Michael dans toute sa splendeur) et le Mal. Voulue comme le plus spectaculaire du film (mémorable séquence chorégraphique autour de “Smooth criminal”, transformation de la star en robot gigantesque puis en vaisseau spatial), ce dernier acte correspond davantage à son versant le plus puéril. L’infantilisme de Michael Jackson y brille de mille feux, lui qui peut se transformer comme bon lui semble par la grâce de vœux adressés aux étoiles filantes (et cette nuit-là, elles ne cessent de filer !). Aux yeux des enfants du film, et par extension ceux du monde entier, il incarne une sorte de perfection en qui ils peuvent avoir toute confiance car il sera toujours là pour les protéger. Détail amusant, il ne le fait qu’après mutation, comme pour illustrer celles qui jalonnent les différentes étapes de sa carrière. Cette fois-ci, c’est avéré, Michael Jackson n’est plus un homme, c’est un fantasme apte à habiter le moindre rôle qu’on souhaite lui faire jouer, pour peu que nous soyons un enfant. Dans Moonwalker, Michael Jackson ne sauve pas le monde mais son monde. Et dans son monde, tout est bien qui finit bien lorsqu’on peut assister à l’un de ses concerts.
Film indigeste et parfois franchement embarrassant dans sa niaiserie, Moonwalker n’en demeure pas moins un témoignage frappant de l’ambivalence de la star. Michael Jackson se montre aussi timide et emprunté en public qu’il est sûr de lui et provocateur sur scène. On sent que c’est sur scène, où il peut s’exprimer librement, qu’il parvient à être vraiment lui-même. Ailleurs, il redevient cet enfant qu’il n’a jamais cessé d’être, ayant presque l’air de s’excuser d’être là. Par la suite, ses frasques se poursuivront, tombant dans le sordide. Et pourtant, jamais il ne perdra cette profonde naïveté qui a fait de lui cet être à part, à la fois fascinant et effrayant. Une chose est néanmoins certaine, c’est l’empreinte indélébile qu’il aura laissé sur le paysage musical. Le reste, comme on dit, n’est que littérature.