Looker – Michael Crichton
Looker. 1981Origine : États-Unis
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Chirurgien émérite spécialisé dans l’esthétisme, le docteur Larry Roberts voit les nuages s’amonceler au-dessus de sa tête lorsque le lieutenant de police Masters lui apprend les décès de deux de ses patientes. Ce dernier avoue au praticien qu’il croit peu à la thèse retenue du suicide et qu’il penche davantage pour des meurtres. Témoin impuissant du « suicide » d’une troisième patiente, le Dr. Roberts décide de mener l’enquête, d’autant plus motivé que le Lieutenant Masters le soupçonne gentiment. Il joue donc les chevaliers servants auprès de Cindy Beaumont, amie des trois autres femmes, et qui elle aussi a eu recours à ses soins en vue d’un contrat publicitaire.
Alors que le cinéma commençait à s’intéresser à ses ouvrages (Le Mystère Andromède de Robert Wise, 1971), Michael Crichton s’est, parallèlement à sa carrière d’écrivain, lui aussi penché sur le médium en s’essayant à la réalisation sur la base de scénarios inédits. Que ce soit à travers ses romans ou ses films, Michael Crichton cultive une défiance vis à vis des dérives de la science et du mauvais usage que l’homme en fait. Après le récréatif La Grande attaque du train d’or, l’écrivain-réalisateur renoue avec ses obsessions à la faveur d’un Looker prophétique à bien des égards.
Avec Looker, Michael Crichton donne d’une certaine manière le « la » d’une décennie réputée chic et toc. Dès les premières images, tout y est : une jolie femme en tenue légère fait la réclame pour un parfum dont la fragrance doit la rendre irrésistible. En moins de 2 minutes, la sophistication se mêle à la superficialité. Une superficialité poussée à l’extrême lorsque le mannequin de la publicité demande quelques infimes retouches à son chirurgien esthétique alors qu’elle est déjà parfaite (ah, Terri Welles!). Le film navigue alors dans les eaux troubles du culte de la beauté relayé par les messages publicitaires. Un culte d’autant plus excessif qu’il concerne des femmes déjà magnifiques au départ mais auxquelles il est demandé d’atteindre une forme de perfection. Quelques instantanés sur les différentes étapes postopératoires donnent à ces femmes des airs de suppliciées, sacrifiées sur l’autel de la beauté éternelle en une illustration littérale de l’adage « il faut souffrir pour être belle ». Michael Crichton baigne tout ça d’une bonne couche de cynisme à l’image de son héros , un chirurgien esthétique qui préfère effectuer lui-même le travail – même s’il ne comprend pas bien la démarche – plutôt que laisser l’un de ses collègues empocher la monnaie. Loin d’être un mauvais bougre pour autant – il travaille à la création d’un service pour les grands brûlés – le docteur Roberts ne peut néanmoins empêcher quelques élans paternalistes à l’attention de ses patientes. Homme d’âge mûr, il se gargarise d’être l’ « amoureux » de ces dames, lesquelles vouent une reconnaissance éternelle à leur bienfaiteur. A ce titre, le docteur Roberts se sent proche de ses patientes, au point de vouloir les protéger au mépris du danger.
La partie policière du récit relève de la plaisanterie. Plusieurs preuves sont disséminées dans l’appartement de Lisa Convey visant à incriminer le docteur Roberts, sans que celui-ci n’ait à en souffrir. Alors que le Lieutenant Masters le soupçonne ouvertement, il le laisse néanmoins aller et venir à sa guise, se bornant à un rôle d’observateur lointain d’une intrigue qu’il ne réintègre qu’à la toute fin du film en qualité de deus ex machina. En outre, Larry Roberts n’a pas à pousser trop loin ses investigations puisque les coupables délaissent toutes les précautions d’usage pour lui exposer de leur plein gré les grandes lignes de leur machination. Michael Crichton gère tous ces éléments avec une désarçonnante désinvolture, imposant un rythme suffisamment soutenu pour que ces griefs passent au second plan. Le gadget du film, une arme nouvelle génération dont le rayon lumineux met la victime dans une transe hypnotique qui lui fait perdre toute notion du temps, va dans le sens d’un divertissement décomplexé. Il ne revêt pas une importance capitale – tout ce que l’homme de main fait avec (fouiller un appartement en présence de son occupant, éliminer des témoins gênants en faisant croire à des suicides), il aurait pu le faire en usant de moyens plus traditionnels – mais offre des scènes réjouissantes comme cette bagarre dans les laboratoires de la Digital Matrix inc. Cependant, Looker ne se limite pas à un réjouissant spectacle. Le film se veut avant tout une charge au vitriol contre le considérable pouvoir de nuisance de la télévision. Derrière la futilité des activités de la Digital Matrix – s’assurer de la perfection de leurs spots publicitaires pour stimuler la consommation – se cache un versant plus ouvertement propagandiste. En cours de récit, on apprend que la société roule en faveur du sénateur Robert Harrison, pour lequel elle s’occupe de la campagne publicitaire en vue des prochaines élections présidentielles. Sur ce point, Looker s’impose en parfait trait d’union entre le cinéma américain plus politisé des années 70 et celui plus clinquant des années 80 en cours. Michael Crichton soigne le fond et la forme à l’image de ce final à l’ironie mordante. Par ailleurs, il n’hésite pas à nous interpeller en nous mettant face à nos errements à travers le discours cinglant de John Reston, lequel associe la télévision à l’idéal américain, la persuasion sans la coercition. En somme, nous nous prétendons libres et indépendants alors que nous passons 1/5e de notre temps devant la télévision. Un constat toujours d’actualité et qui a encore pris de l’ampleur avec la profusion des écrans.
En une poignée de films, Michael Crichton s’est imposé comme une valeur sûre du cinéma fantastique, nous invitant à voir l’envers du décor, en l’occurrence ici celui du miroir aux alouettes que représente la publicité. Il joue sur un fantastique de proximité, d’autant plus glaçant qu’il ne fait qu’exagérer des tendances déjà à l’œuvre à l’époque du tournage de ses films. Porté par l’entêtante musique de Barry de Vorzon, Looker s’impose comme un modèle de série B endiablée et intelligente. Une de plus pour un Michael Crichton décidément meilleur cinéaste qu’écrivain.