Les Barbarians – Ruggero Deodato
The Barbarians. 1987Origine : Italie / États-Unis
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Que fait un bisseux italien lorsqu’il n’y a plus de bis dans son pays ? Première possibilité : il prend sa retraite ou se contente de postes subalternes dans des productions classiques. Deuxième possibilité : il continue à œuvrer comme réalisateur, mais se compromet soit dans d’atroces bouses, soit dans l’impitoyable milieu de la télévision (dominé en Italie par le dramatique Silvio Berlusconi, rappelons-le). Troisième possibilité : il s’arrange pour être aidé sinon invité par des producteurs étrangers, notamment américains. Ruggero Deodato, réalisateur de Cannibal Holocaust, est de cette troisième catégorie. En 1987, il trouve donc le moyen de se faire financer sa repompe de Conan le Barbare par des américains. Mais pas n’importe lesquels, puisqu’il s’agit du mythique tandem Golan et Globus à la tête de la Cannon. De grands cinéphiles devant l’éternel, à qui l’on doit entre autres chefs d’œuvres les inoubliables Delta Force, Cobra, Invasion USA… Des films mastocs qui ne brillent pas par leur intelligence. Les Barbarians ne le feront pas plus.
L’alibi de ce film est fort simple : il était une fois il y a longtemps, Kutchek et Gore, deux jumeaux membres d’une gentille tribu, tombent avec leur reine sous le joug d’un vilain roi qui les sépare, envoyant les jumeaux à l’école des gladiateurs et la reine dans son harem. Bien des années plus tard, les jumeaux se retrouvent et s’évadent. Ils chercheront alors à renouer contact avec ce qui reste de leur tribu, à libérer leur reine et à retrouver le rubis magique qui a fait la prospérité et le bonheur de leur peuple avant que le vilain roi barbare ne mette la main dessus. En chemin, ils seront aidés par Cara, jeune femme que l’on soupçonne également d’avoir appartenu à leur clan.
Basique, manichéen et plein de clichés. Oui. Mais n’oublions pas à qui nous avons affaire : d’un côté, un réalisateur dont le pays, l’Italie, connait alors une grave crise cinématographique provoquant une foultitude de films d’une rare nullité. De l’autre, des producteurs attirés par le ridicule comme des capitalistes sur un gisement de pétrole. L’union était vouée à se faire et à accoucher d’un film comme Les Barbarians. Le genre Heroic Fantasy étant en soi suffisamment délicat à aborder, l’entreprise ne pouvait donc que s’achever sur un produit pour le moins bancal, comme le serait une étagère posée à la verticale. Habitués des héros un peu bêtas, Golam et Globus ne rajoutent pas une mais deux têtes d’affiche à leur palmarès : les jumeaux Peter et David Paul. Deux musclés, bodybuildés à outrance, huilés, dont l’étroitesse du cerveau n’a d’égal que celle de leurs slips, qui exhibent leurs fessiers pour le plus grand plaisir du public féminin et de Cara, leur compagne d’aventure qui ne rechigne pas à faire un chat-bite / chat-cul lorsque l’envie lui en prend. Notre trio de héros, tout en subtilité, n’accorde que peu d’attention à la noble tâche qui est la sienne. Les frangins Kutchek et Gore sont amenés à se rendre au harem du vilain Kadar pour y libérer leur reine Canary ? Ils en profitent pour se faire une nuit partouze avec les femmes peu vêtues de l’endroit, sous le regard complice de Canary, gaie comme un pinson. Les femmes du film sont d’ailleurs généralement peu farouches, les habituelles frusques de l’heroic fantasy étant ici réduites à des bikinis camouflés sous des poils de yacks. Quand viendra le moment de se choisir une nouvelle reine, ce sera sans surprise que le clan des jumeaux ne trouvera pas de vierges à qui confier le rubis sacré. Un rubis qui est d’ailleurs à l’origine de toute la légèreté de ce clan qui est rappelons le sur le point d’être annihilé : ses propriétés magiques confèrent à ses détenteurs le bonheur sous la forme de musique, de talents de jongleurs ou de clowns… A la vue de cette troupe de gens faciles, bariolés et volontiers désinvoltes, nous nous prenons à penser que le rubis sacré est en réalité un bon gros joint dont les émanations ont visiblement contaminé Deodato, son scénariste ainsi et surtout que les jumeaux Paul, qui incarnent par ailleurs les seuls personnages du film à avoir vieilli d’une vingtaine d’années après leur capture et celle de leur reine. Leurs retrouvailles sont marquées par un total je m’en foutisme, et même pire : par des vannes au ras des pâquerettes qui ne s’arrêteront plus. Pas plus capables d’être sérieux cinq minutes que de ressentir des émotions, Kutchek et Gore (dit “les Barbarians Brothers”, ou encore les “Bataille et Fontaine de l’épopée païenne”) se permettent même de déconner en plein cœur d’une scène d’action, notamment lors d’une séance de pendaison pendant laquelle Kutchek (ou Gore, je ne sais pas) nous invente un cri de guerre effrayant, façon goret enroué sur le point de se faire égorger, qui sera resservi plusieurs fois à des spectateurs médusés. Il faut l’entendre pour le croire ! L’action qu’étale mollement Deodato comprend aussi la scène d’embuscade la plus plate du monde (quatre seconde et vingt huit centièmes, la musique n’a même pas eu le temps d’être utilisée), le passage le moins secret du moins secret du monde (deux rochers à bouger, et hop, nous sommes dans le harem de Kadar) et même la scène d’action la moins mouvementée du monde (un bras de fer). Deodato ne songe pas une seconde à redevenir sérieux, et même les méchants y mettent de la mauvaise volonté, s’égarant dans de vastes intentions jamais mises en pratique, ou avortées illico. Toujours niveau méchants, signalons la présence de Michael Berryman dans le rôle de l’instructeur gladiateur. En totale roue libre, il bondit dans tous les sens en hurlant sans que l’on arrive à savoir exactement ce qu’il veut. Mais tout le monde s’en fout comme de l’an 40, et aucune des 85 minutes du films ne sera traîtée avec sérieux. Aucune cohérence, aucune émotion, aucune action, même quand quelqu’un d’important meurt… Les Barbarians est une grosse blague. Il n’y a pas plus d’ “heroic” que de “fantasy” ici, si ce n’est la capacité des acteurs à garder leurs coiffures typiquement années 80 dans leurs accoutrements ridicules et dans des décors qui prouvent parfois que le film disposait pourtant d’un budget un minimum décent ou d’artisans un minimum talentueux. Ruggero Deodato signe là l’antithèse du très pompeux Seigneur des Anneaux : un film court et sans aucun souffle épique. Deux films qui marquent deux extrêmes d’un même genre, ni l’un ni l’autre très fréquentables… Mais au moins Les Barbarians pourra amuser.