Le Tigre aime la chair fraîche – Claude Chabrol
Le Tigre aime la chair fraîche. 1964.Origine : France
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James Bond est décidément efficace : les espions russes et les agents du Spectre ne lui résistent pas, les jolies femmes encore moins, et il traîne dans son sillage moult adversaires et concurrents plus ou moins crédibles, dont les tentatives de rameuter les foules et de remplir les salles connaissent des fortunes diverses. Parmi ses « collègues » français, outre OSS 117, il y a Louis Rapière, alias le Tigre.
A moins que celui-ci ne soit plutôt le fils du Gorille, ou un lointain cousin de celui-ci, le Gorille, alias Géo Paquet, ayant connu la gloire sur pellicule sous les traits de Lino Ventura (Le Gorille vous salue bien) avant d’être repris par Roger Hanin (La Valse du Gorille). Le même qui interprète, ici, le Tigre…
Alors, James Bond ou Gorille, notre fauve zébré aux couleurs de la DST ? Un peu des deux en fait, n’hésitant pas en tout cas à surligner ses références, que ce soit lors d’un plan où un malfrat tourne un présentoir de livres, s’arrêtant sur un roman de Ian Fleming arborant Sean Connery en couverture, ou carrément en empruntant la James Bond girl de Bons baisers de Russie, Daniela Bianchi, pour servir de chair fraiche au Tigre… Mais on est ici, malgré tout, dans le franco-français et les bagarres mélangeant allègrement bourre-pifs et catch, sans oublier poses martiales de judo ou de karaté, donnent toujours l’impression de se dérouler sur fond d’accordéon (alors qu’en fait la bande son est plutôt jazzy). Le héros, pour expliquer les actes de ses adversaires, se lance d’ailleurs dans une théorie du sandwich jambon-beurre plus que fumeuse qu’on imagine mal servie à l’anglaise par double zéro-sept.
Mais que raconte-t-il, ce film, au fait ?
Et bien, une banale histoire de vente d’armes entre la France et la Turquie, risquant d’être compromise par l’opposition farouche de certains Turcs et l’introduction dans ce jeu de gangsters prêts à tout, y compris à tuer M. Baskine, le ministre du commerce ottoman venu en France pour signer les précieux contrats.
Ayant eu un avant-goût des capacités homicides des tueurs qui, dans l’ombre, fourbissent leurs armes, la DST met quelques hommes sur le coup et, en particulier, le Tigre, agent fort en gueule mais efficace, qui occupe son temps libre sur le tatami à faire des planchettes japonaises à ses coéquipiers. Un homme d’action donc, un vrai, un dur de dur aux muscles d’acier et au regard d’airain, un corps d’athlète doublé d’un cerveau, un barbouze comme on n’en voit que trop peu (mais c’est bien normal, les meilleurs étant forcément les plus discrets).
Après avoir déjoué une tentative de meurtre sur Baskine à l’aéroport, Rapière se retrouve au service de ses dames, le ministre du commerce turc ne se déplaçant jamais sans sa femme et sa fille, toutes deux charmantes. Si la situation de chaperon ne lui sied guère plus que cela, elle lui permet quand même de séduire la belle Mehlica (Daniela Bianchi) et de passer quelques moments sympathiques avec elle… jusqu’à ce qu’elle se fasse enlever tandis que son père, au même moment, se faisait étrangler ! Pour la DST, ça la fout mal, mais pour le Tigre, c’est un coup à se retrouver empaillé !
Le fauve sort alors ses griffes et montre les crocs avant de s’attaquer à ses redoutables ennemis, dont un duo de frangins improbables, le petit frère étant vraiment petit, puisqu’il s’agit d’un nain, et un tueur peroxydé toujours flanqué d’une attardée mentale buveuse de Scotch au derrière rebondi (je le sais parce qu’on le voit, oh, fugacement, ne rêvez pas, mais on le voit).
Et c’est là qu’on sent qu’il y a peut-être, et sûrement, pas mal de second degré dans ce film, qu’on a décidé d’utiliser toutes les recettes du genre mais en jouant, un peu, la carte de l’auto-dérision, que permet une certaine distanciation. Claude Chabrol, aux manettes, n’y est peut-être pas pour rien, lui qui récidivera peu après avec un second volet, Le Tigre se parfume à la dynamite. On est assez loin du Beau Serge qu’il réalisa quelques années plus tôt et pas vraiment non plus dans ce qui sera sa griffe, un certain regard sur la bourgeoisie, notamment.
Chabrol avait de l’humour et du talent et les deux se ressentent, ici, au travers de certaines séquences, de certains plans, des rapports entre les personnages. Modestement, cependant, car le Tigre est d’abord et avant tout au service secret de… Roger Hanin. Produit par Christine Gouze-Rénal, la femme de Roger Hanin, le film a d’ailleurs été écrit par Antoine Flachot, plus connu sous le nom de… Roger Hanin ! Et ce scénario original a été adapté et dialogué par Jean Halain, le fils de… André Hunebelle (eh oui, c’était le piège), une fine équipe père-fils, à l’origine des Fantômas, Jean Halain étant également à l’écriture de nombreux de Funès.
Rondement mené, donc, pour la plus grande gloire de son acteur principal, correctement emballé, Le Tigre aime la chair fraiche ronronne quand même un peu trop pour vraiment emporter le morceau. Si quelques séquences ratées ou un peu ridicules, comme celle du tout début, sont rattrapées par d’autres beaucoup plus réussies (comme celles se déroulant dans une casse automobile), rien n’est vraiment surprenant ni époustouflant, et sûrement pas le charisme morne de Roro Navarro, terne Tigre dont l’aura n’égale pas, loin de là, celle d’un Ventura.
Mais on peut apprécier, avec un brin de nostalgie, cette virée désuète dans l’univers des romans de gare et retrouver, avec plaisir, certaines gueules du cinéma français, ces abonnés du second rôle ou de la figuration plus ou moins active, comme Mario David ou Dominique Zardi. Au final, un Tigre de cirque plus qu’un fauve en liberté, une bête domestiquée qui fait son petit tour de piste et puis s’en va, en attendant le prochain numéro…