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Le Lendemain du crime – Sidney Lumet

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The Morning after. 1986

Origine : États-Unis
Genre : Fantaisie policière
Réalisation : Sidney Lumet
Avec : Jane Fonda, Jeff Bridges, Raul Julia, Diane Salinger…

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Les temps sont rudes pour Viveca Van Loren. Actrice sans envergure à qui l’on a fait miroiter une carrière de grande star, elle a comblé l’absence de rôles par l’abondance d’alcool. Déjà au plus bas, elle ne sait plus du tout à quel saint se vouer lorsque un matin, elle se réveille à côté d’un mort. Déboussolée, incapable de se remémorer ses méfaits de la nuit précédente, elle décide d’effacer toutes traces de sa présence sur le lieu du crime non sans avoir maladroitement tenté de quitter la ville auparavant. Elle se croit enfin tirée d’affaire lorsque le lendemain, elle retrouve le cadavre chez elle. Plus de doute possible, elle est victime d’une machination. Heureusement pour elle, elle peut compter sur l’aide de Turner Kendall, un ex-flic qu’elle a rencontré lors de sa fuite. Le hic, c’est qu’elle ne sait rien de lui et que sa présence opportune pourrait bien cacher des choses…

Cinéaste new-yorkais par excellence, Sidney Lumet délaisse le temps d’un film la Grosse Pomme et ses environs pour installer ses caméras sur la côte ouest. Le soleil californien lui inspire un film léger sur fond d’intrigue policière qui épouse la forme du whodunit. Ce n’est pas la première fois qu’il s’essaie à ce genre d’exercice, Le Crime de l’Orient Express (1974) et Piège mortel (1982) constituant déjà deux beaux exemples de films récréatifs et parfaitement construits. Le Lendemain du crime se démarque toutefois de ses prédécesseurs en délaissant le huis clos d’usage pour une action plus aérée mais néanmoins axée sur l’enfermement des principaux protagonistes.

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Viveca van Loren vit prisonnière de ses rêves déçus. Elle se rêvait un destin de grande star hollywoodienne avec le tout Hollywood à ses pieds. Au lieu de ça, c’est plutôt elle qui se ramasse aux pieds de tout le microcosme mondain à force de boire jusqu’à en perdre la mémoire. Elle a perdu toute fierté, accumulant les aventures d’un soir aussi sûrement qu’elle enchaîne les verres. Elle nie même sa véritable identité -Alex Sternbergen- au profit de ce nom de scène qui ne lui sert qu’à se bercer encore et toujours d’illusions. Les premières scènes du film, si l’on excepte le cadavre au côté d’Alex – laissons donc Viveca au vestiaire -retranscrivent le quotidien de l’actrice dans ce qu’il a de plus désespérant : ces continuels réveils accompagnés de mémorables gueules de bois. Sidney Lumet s’ingénie alors à jouer sur deux registres, mêlant le tragique de la situation à une certaine dérision qui accompagne la vaine fuite de Alex. Quoiqu’elle fasse pour s’extirper de son cauchemar, Alex est constamment ramenée à son point de départ, son destin semblant lié à ce cadavre plus qu’encombrant. Elle est prise au piège, autant de sa condition d’alcoolique (comme un éternel recommencement, elle s’endort complètement saoule le soir qui suit la découverte du cadavre, sans se soucier outre mesure de ce quasi inconnu qui a partagé son dîner et qui erre toujours dans sa maison) que de cette machination qui la dépasse. La mécanique du scénario la place constamment en position de vulnérabilité, accentuant dans le même temps sa profonde solitude. Et en creux se dessine une seconde dépendance, plus insidieuse celle-là, sa dépendance aux hommes. Que ce soit son ex mari Joaquin Manero, qui lui sert de confident et qui sera le premier à savoir pour le cadavre, ou Turner Kendall, cet ex flic aussi serviable que mystérieux, toute l’aide que Alex sollicite se conjugue au masculin. Dans sa cavale, elle ne s’en remet qu’à eux, une façon pour elle de se convaincre d’un potentiel de séduction que ni l’âge, ni l’alcool ne seraient parvenus à éroder. Même dans cette situation plus qu’inconfortable, Alex ne peut s’empêcher de prendre les choses avec un certain détachement que son absorption récurrente d’alcool ne suffit pas à totalement excuser. Nourrissant toujours le fol espoir de réintégrer le gotha hollywoodien, Alex continue de mener une vie en dehors des réalités, se confortant dans une existence de starlette qui fleure bon la naphtaline, les affiches de ses rares succès qui tapissent ses murs en faisant foi. Et Sidney Lumet d’illustrer cela par l’absurde avec ce crime qui, loin de lui remettre les idées en place, la pousse à jouer les coupables en puissance, faute du recul nécessaire et d’un sens aigu des réalités. Elle négocie sa fuite comme si elle se trouvait dans un film, enchaînant mensonges et maladresses à un rythme soutenu. Il y a un côté enfantin chez Alex qui rejaillit lors de ces scènes, et qui donne cette impression que finalement, rien n’a vraiment d’importance. Il en va ainsi de l’intrigue policière qui n’ira guère plus loin que son postulat de départ. La présence policière se fait discrète, celle-ci ne venant jamais phagocyter la relation qui se noue entre Alex et Turner, le véritable nerf du film.

A dominante masculine, le cinéma de Sidney Lumet tourne essentiellement autour de l’idée de confrontation. Or ici, non seulement le personnage principal est une femme mais en plus, celui-ci ne cherche pas le conflit, étant davantage enclin à la passivité. La relation récente que Alex entretient avec Turner ne souffre que de petites querelles qui peinent à cacher l’immédiate sympathie qu’il se voue l’un l’autre, en dépit de légères divergences. Tous deux partagent ce profond regret de ne pas s’être pleinement accompli, elle comme actrice, lui comme inspecteur de police. Blessé en service et incapable d’exercer à nouveau en tant qu’agent de police, Turner vit désormais d’expédients, arpentant Los Angeles en quête d’objets à réparer comme autant de pis-aller à l’inactivité qui le ronge. En Alex, il voit une âme en détresse à qui il pourrait apporter son aide. De surcroît, la machination dont elle est victime lui fournit l’occasion de renouer avec l’investigation, cet idéal qui s’est refusé à lui. Quant à Alex, elle trouve enfin un être attentif à ses problèmes et qui ne la regarde pas avec condescendance. Plutôt que l’enquête en elle-même, qui est rapidement expédiée, Sidney Lumet s’intéresse à l’alchimie naissante entre ces deux êtres brisés par la vie en leur ménageant de nombreuses scènes d’intimité. D’ailleurs, jusqu’au dénouement, il n’y aura jamais de tierce personne pour s’immiscer entre eux, comme si leur relation ne devait souffrir d’aucun parasite. Et puis cela permet au cinéaste de ménager un semblant de suspense quant aux véritables intentions de Turner, que l’histoire se plaît à présenter comme un possible suspect. Une précaution superflue dans la mesure où l’identité du coupable importe finalement bien peu et que le plaisir que l’on éprouve durant le film naît davantage des échanges, souvent drôles, entre Alex et Turner que de l’intrigue policière en elle-même.

Car bien qu’assez convenus, leurs rapports emportent l’adhésion notamment grâce à l’alchimie parfaite du couple Jane fonda – Jeff Bridges. La première, qui avoue s’être inspirée de Gail Russell et Frances Farmer (cf. Frances de Graeme Clifford), deux jeunes premières dont la carrière fut détruite par l’alcool, confère à son personnage toute la fragilité requise et témoigne d’un tempérament comique qui ne lui est guère coutumier. Quant au second, sa bouille enfantine et son sourire désarmant permettent de tout faire passer, même les propos empreints de préjugés raciaux que son personnage tient de manière toute naturelle. A travers Turner et le personnage de Joaquin Manero, Sidney Lumet évoque en filigrane les solides clivages raciaux qui régissent la vie à Los Angeles, mégalopole cosmopolite mais dont les habitants restent très attachés à l’appartenance sociale. Chacun à leur manière, Turner et Joaquin vivent prisonniers de cet état de fait, l’un en se basant là-dessus pour juger les gens, l’autre en bataillant ferme pour se faire accepter de la haute société en dépit de ses origines latines. Inscrivant Le Lendemain du crime dans une veine plus décontractée, Sidney Lumet ne cherche pas à dénoncer quoi que ce soit, juste à jeter un regard extérieur sur une ville qu’il connaît peu par l’entremise d’un divertissement rondement mené.

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Au-delà des sujets forts qui ont fait sa renommée, Sidney Lumet s’avère un infatigable réalisateur qui n’hésite pas à s’adonner à des projets mineurs pour le seul plaisir de tourner (Le Lendemain du crime est sa deuxième réalisation pour la seule année 1986). Dans le cas du Lendemain du crime, ce plaisir est communicatif et donne lieu à un film lumineux et enjoué dont les quelques touches de noirceur rappellent l’univers oppressant dans lequel nous nous débattons et que Sidney Lumet a su si bien dépeindre par le passé.

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