La Malédiction de Chucky – Don Mancini
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Curse of Chucky. 2013.Origine : États-Unis/CanadaGenre : Poupée increvableRéalisation : Don ManciniAvec : Fiona Dourif, Danielle Bisutti, Brennan Elliott, Maitland McConnell, Summer Howell, Brad Dourif. |
Tétraplégique depuis sa naissance, Nica vit avec sa mère dans une grande bâtisse isolée. Son existence bascule lorsqu’elles reçoivent d’un expéditeur inconnu une poupée Brave Gars. Dès la nuit tombée, la jeune femme est réveillée par le cri déchirant de sa mère qu’elle retrouve morte gisant dans l’entrée. Le surlendemain, sa grande sœur Barbie et toute sa petite famille – le mari Ian, leur fille Alice et la nounou – Jill auxquels s’ajoute le père Frank débarquent en prévision des obsèques. A l’ambiance rapidement électrique entre les deux sœurs s’ajoute la pesante présence de Chucky qui, lorsqu’il ne se trouve pas dans les bras de la gamine, toute contente de l’avoir trouvé, a l’air de surveiller tout ce petit monde, apparaissant et disparaissant aux quatre coins de la maison.
Don Mancini ne désarme toujours pas. En dépit d’un cinquième épisode pénible et poussif au possible – Le Fils de Chucky, 2004 – il ressort sa poupée du placard pour un nouveau tour de piste. Toujours seul maître à bord, et bénéficiant de l’inaltérable soutien de David Kirschner à la production, il préfère reprendre les mésaventures de Chucky là où elles en étaient restées plutôt que de céder à la mode du reboot. Il n’en change pas moins son fusil d’épaule en tournant le dos à la mise en abyme parodique à l’œuvre lors des deux précédents films. Un choix qui s’accompagne de quelques incohérences mais ce n’est pas comme si la série en avait été exempte jusque-là. De retour dans le giron de la Universal, Chucky peut donc tranquillement souffler sur ses 25 bougies. Nous sommes néanmoins loin de l’anniversaire célébré en grandes pompes, la faute à un budget minuscule. Loin d’en prendre ombrage, Don Mancini s’adapte à la situation et propose malgré cela d’enrichir la mythologie autour de la poupée, ou plus précisément autour de son occupant, le psychopathe porté sur la magie vaudou Charles Lee Ray.
Jusqu’à présent, les motivations de Chucky brillaient par leur clarté. A l’étroit dans le corps en plastique de la poupée Brave gars, il ne nourrissait qu’une seule obsession, transférer son âme dans le corps d’un enfant. Lassé de ses échecs, d’abord auprès d’Andy Barclay puis ensuite auprès de Tyler (mais toujours à cause d’Andy !), Chucky se rappelle soudain de l’amulette qu’il avait en sa possession au moment de son trépas, laquelle lui offre la possibilité de transférer son âme dans le corps de son choix (La Fiancée de Chucky). Qu’en est-il dans La Malédiction de Chucky ? Le flou demeure. A cela une raison simple, Don Mancini utilise Chucky avec parcimonie, du moins dans sa version animée. Souvent présent dans le cadre, Chucky conserve longtemps la rigidité du jouet pour enfant qu’il est censé être, ne s’activant que pour répéter les phrases toutes faites intégrées à son programme. Seules le trahissent ses pupilles, lesquelles se dilatent par instant, ou cette main déversant de la mort au rat dans une assiette remplie de chili végétarien en guise d’assaisonnement. Il nous faut patienter pas moins d’une quarantaine de minutes, soit près de la moitié du film, pour le voir enfin prendre vie sous nos yeux et se lancer dans sa nouvelle équipée meurtrière. Un parti pris pour le moins gonflé à ce stade de la série, qui renvoie par ce traitement parcimonieux à l’utilisation de la poupée dans Jeu d’enfant. Et surtout révélateur de la trop grande place prise par Chucky au fil des épisodes, lesquels tournaient au one-man show au mépris de sa fonction première : susciter l’angoisse. En somme Chucky retrouve sérieux et méchanceté, bien loin des élans bouffons dont il abusait tantôt. Les bons mots, il se contente désormais de les souffler à l’oreille de la naïve Alice qui, au moment de la prière du soir, horrifie sa mère en affirmant que Dieu n’existe pas (« Il dit aussi que la vie est une salope et qu’on meurt en saignant comme un cochon qu’on égorge »).
Dans ce contexte, on ne s’étonnera donc pas de l’absence de Tiffany. Les scènes de ménage qui agrémentaient les relations tumultueuses entre les deux amants cèdent la place à des imbroglios familiaux. Nica souffre d’être constamment infantilisée du fait de son handicap, d’abord par sa mère puis par sa sœur aînée, laquelle ne souhaite qu’une chose : vendre la demeure familiale et envoyer sa sœur dans un institut spécialisé payé avec sa part de l’héritage. A cela s’ajoute un drôle de ménage à trois entre Barbie, son mari et Jill, la nounou. Don Mancini se plaît à nourrir son récit de ces rapports conflictuels, lesquels relèguent dans l’ombre la menace qui mettra tout le monde sur un même pied d’égalité. Grand amateur de James Whale (le 4e épisode fait ouvertement référence à La Fiancée de Frankenstein), il construit son récit en ayant en tête un autre film du cinéaste, le plus méconnu La Maison de la mort. Il joue ainsi la carte de l’horreur à l’ancienne avec cette demeure souvent plongée dans le noir à cause de coupures de courant intempestives liées à l’orage qui gronde. En repoussant au maximum le moment où Chucky donne libre court à sa folie meurtrière, Don Mancini tente d’instaurer un suspense qui tient davantage de la nature du personnage que de la manière de le filmer. A force de plans larges où il apparaît dans un coin du cadre ou de gros plans sur son visage inerte, de jeux avec les éléments (le vent qui souffle à travers un vasistas ouvert laissant penser que quelque chose se cache derrière le rideau de la douche), où cette scène où Nica se retrouve coincée dans l’ascenseur avec la poupée sur les genoux, le réalisateur lasse plus qu’il n’effraie. D’une part parce que les interactions entre les personnages sombrent dans le cliché (à une surprise près, certes, mais celle-ci n’a aucune incidence sur le cours des événements) et parce que nous savons pertinemment comment tout cela va évoluer. L’apathie calculée de Chucky se révèle contre-productive puisque son réveil ne justifie nullement cette longue attente. Les meurtres s’avèrent d’une grande platitude et pour certains – celui de la nounou – souffrent d’une mise en place laborieuse (la poupée se glisse sous le lit pour finalement opter pour une attaque latérale à l’aide d’un objet qui traîne là depuis le début). Même le duel qui l’oppose à Nica, moins fragile que le laisse supposer son handicap, ne suffit à relancer l’intérêt. Quant à la raison d’être du film, outre l’exploitation à outrance d’une franchise labellisée années 80, elle revient à nous dévoiler les derniers jours de Charles Lee Ray, ce qui permet à Brad Dourif d’être physiquement présent à l’écran l’espace de quelques minutes en un mélange de scènes tournées pour l’occasion et de la reprise de quelques plans extraits de l’ouverture du film de Tom Holland. Ce flash-back vise à nous éclairer sur la personnalité du tueur tout en justifiant les événements du film que nous regardons. Mais à aucun moment il nous éclaire sur la surprenante mollesse de Chucky. Finalement, il a bien mérité le tombereaux de railleries dont le gratifie une Nica plus combative que jamais, interprétée pour la petite histoire par nulle autre que la propre fille de Brad Dourif. La saga des Chucky est avant tout une grande histoire de famille.
Tout en revenant à davantage de simplicité – l’essentiel de l’intrigue se déroule en huis-clos – Don Mancini confirme qu’il n’a pas grand chose de neuf à raconter. Il se contente d’exploiter un vieux filon qu’il tente de dynamiser à grands coups de retournements de situation plus improbables les uns que les autres. A ce titre, la fin de La Malédiction de Chucky prend valeur d’exemple. Pas moins de trois fins, dont une en guise de cadeau pour les fans au terme du générique, pour autant de questions soulevées quant à leur logique intrinsèque. Si les deux premières demeurent cohérentes, si tant est que nous fassions abstraction des épisodes 4 et 5, la fin post-générique balaye tout ça d’un revers de main avec la promesse du retour d’un personnage clé de la franchise en cas de nouvelle séquelle. Don Mancini en est réduit à ça, appâter le chaland – autrement dit les fans – afin de pouvoir poursuivre une aventure commencée il y a de ça un quart de siècle et qui semble la seule à même de le motiver.