L’Exorciste II : L’Hérétique – John Boorman
Exorcist II : The Heretic. 1977Origine : Etats-Unis
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Commercialement autant qu’artistiquement, L’Exorciste a été l’un des plus gros succès de l’histoire. A ce jour, il demeure le film d’horreur le plus fructueux. La Warner était donc fortement titillée par l’idée de lui fournir une suite, mais compte tenu de la réputation acquise par le chef d’œuvre de William Friedkin, il était difficile de faire de cette séquelle une œuvre anonyme. L’Exorciste II exigeait du lourd, du nom réputé, et un scénario qui l’éloignerait de la série B. Ce ne serait déjà pas William Friedkin ni Peter Blatty qui allaient s’en charger, tous deux opposés à cette séquelle. A défaut, les pontes du studio jetèrent leur dévolu sur Richard Lederer, le vice-président de leur département promotionnel, qui après avoir considéré l’idée d’une suite collant au plus près de l’original fit audacieusement ses premiers pas de producteur en confiant la lourde charge du scénario au dramaturge William Goodhart qui, comme William Peter Blatty avant lui, s’inspira de l’archéologue et philosophe jésuite Pierre Teilhard de Chardin pour façonner le personnage du père Merrin, autour duquel allait tourner le film. Ce scénario séduisit John Boorman, lequel avait pourtant rejeté le premier film lorsque sa réalisation lui avait été proposée quelques années auparavant au motif que le scénario de Blatty était trop malsain pour lui. D’ailleurs, au moment de réaliser L’Exorciste II il persévérait toujours sur cette voie en faisant part de son opinion fortement négative sur le film de Friedkin, beaucoup trop blasphématoire à son goût. Ce qui l’attira dans le script de Goodhart fut selon lui la place laissée aux forces du bien, chose que le premier film ne se permettait pas. Bon… Pourquoi pas, après tout.
Vouloir se distinguer de L’Exorciste premier du nom est une initiative casse-gueule, mais courageuse. A scénario ambitieux casting ambitieux : si il fallut s’employer pour convaincre Max Von Sydow de revenir incarner Merrin dans les flash-backs qui lui sont consacrés, si il fallut accorder à Linda Blair de ne plus porter le fameux maquillage de Dick Smith et si Ellen Burstyn fit faux bond (remplacée par Kitty Winn, qui jouait et joue donc toujours la gouvernante Sharon), on ne manqua pas de faire appel à des grands noms dans les rôles principaux. Pour le rôle du père Lamont, disciple du père Merrin et chargé de l’enquête sur sa mort par les instances catholiques, Richard Burton l’emporta malgré son alcoolisme devant les refus, les prétentions trop élevées ou les problèmes d’emploi du temps de Jack Nicholson, David Carradine, Christopher Walken et Jon Voight. Pour le rôle du Dr. Tuskin, le psychiatre en charge de Regan, Ann-Margret et Jane Fonda furent envisagées pour finalement laisser leur place à Louise Fletcher, revenue sur le plancher des vaches après son Vol au-dessus d’un nid de coucou.
Quatre an après l’exorcisme dirigé par le père Merrin, Regan est censée être libérée du démon qui l’avait possédée dans la maison de Washington. Pourtant, en proie à des cauchemars, elle suit une thérapie conduite par le Dr. Tuskin, qui s’apprête à employer la méthode de l’hypnose parallèle. Cela consiste en une double hypnose dans laquelle l’hypnotiseur se laisse lui-même hypnotiser en même temps que son patient pour descendre en sa compagnie dans ses souvenirs. Venu auprès de Regan pour mener son enquête sur la mort du père Merrin, le père Lamont teste lui même le procédé, obtient la preuve que le mal n’a pas encore quitté Regan et entrevoit la scène de la mort de Merrin. Il noue aussi le dialogue avec le démon, Pazuzu, et assiste notamment à l’exorcisme pratiqué par Merrin sur un jeune guérisseur éthiopien possédé de ce même démon. Il apprend que le gamin se nomme Kokumo, et qu’il est toujours en vie. Lamont est persuadé que le seul moyen de libérer Regan est de contacter Kokumo.
Finalement déçu du scénario écrit par William Goodhart, John Boorman demanda à l’auteur de revoir sa copie. Goodhart refusa et Boorman se lança alors avec Rospo Pallenberg (avec lequel il avait déjà travaillé sur Delivrance, et qui allait rédiger l’adaptation d’Excalibur) dans une ré-écriture infernale, qui allait se poursuivre au jour le jour sur le plateau de tournage (mouvementé car le réalisateur et plusieurs acteurs tombèrent malades) … et après la sortie en salles. Car la sortie de L’Exorciste II fut désastreuse : le public conspua unanimement le film, manifestant parfois violemment sa déception, ce qui poussa Boorman à effectuer un remontage au bout d’une semaine, supprimant au passage presque dix minutes. La version remontée est celle qui fut distribuée en VHS dans les années 80 (et c’est du reste celle qui servit pour la présente critique), tandis que la version originale demeura invisible jusque dans les années 90, où elle sortit en DVD. On ne saurait pourtant réévaluer le film de Boorman à l’aune de cette mésaventure, tant le pari de faire une œuvre positive laissant place au “Bien” est un échec dans les grandes largeurs. Dans son entreprise de destruction totale de L’Exorciste, Boorman consacre entièrement son film à démythifier la possession dont fut victime Regan, notamment en dévoilant en long en large et en travers l’origine du mal, du démon Pazuzu. Des origines qui laissent béats.
Oubliés, la mystérieuse statuette égyptienne, le visage démoniaque subliminal et les silhouettes infernales entrevues pendant l’exorcisme. Pazuzu devient une entité palpable, capable de parler via l’hypnose de Regan et qui se déplace sous la forme d’une sauterelle, animal diabolique… Il est le “roi des nuées” originaire d’Ethiopie, et il est décidé à s’en prendre aux incarnations du Bien telles que Kokumo ou Regan, qui tous deux disposent de dons de guérisseurs (même si dans le cas de Regan, Boorman introduit le concept entre la poire et le fromage, imaginant que son héroïne arrive à faire parler une autiste muette… Alléluia !). Nous connaissons donc tout de ce qui a possédé Regan, nous connaissons aussi le pourquoi, le comment, et à la fin du film nous saurons comment s’en débarrasser. Un vrai manuel du “petit exorciste illustré”. Là est bien le problème : si ce n’est pour quelques plans irréels dans lesquels Regan reprend le visage de la possédée qu’elle fut, Boorman ne se soucie nullement de faire un film d’épouvante. Un seul thème signé Ennio Morricone est capable d’être plus angoissant que le métrage dans son ensemble. Le réalisateur livre en fait un film sur la lutte entre le bien et le mal, cette lutte manichéenne répétée à divers stades symboliques (foi / non-croyance, guérisseurs / démons, bonne sauterelle / mauvaise sauterelle…) faisant écho à la lutte principale, qui oppose la Regan angélique et ses tourterelles au Pazuzu maléfique et sa horde de sauterelles. Il n’y a plus cette idée de force inconnue surgie de nulle part et contre laquelle tout le monde est impuissant. Il y a par contre une très large part de mysticisme exotique qui éloigne d’autant plus L’Exorciste II de son prédécesseur. La chambre bleuâtre dans laquelle était confinée Regan laisse place aux vastes espaces de la brousse africaine que nous survolons à dos de Pazuzu… Que Boorman décide de se différencier du premier film pour illustrer ses croyances spirituelles, passe encore, mais qu’il exporte son histoire jusque dans une Ethiopie fantasmée (plus quelques passages dans une Amérique du sud qui l’est tout autant) pour démontrer l’universalité du mal, c’en est trop. Qu’il soit réel ou vécu par le biais de l’hypnose, son “mal” devient du délire pur et simple, croulant sous une vision de l’Afrique pour le moins exubérante. Le théâtre de la lutte entre Pazuzu et Kokumo (dans lequel Lamont débarque avec ses gros sabots et ses grandes phrases, ce qui, avec la monolithique interprétation d’un Richard Burton complètement paumé, ne manque pas de sonner faux) est un village aux couleurs chaudes et saturées, dans lequel les habitants divers et variés vivent sous la terreur d’une sauterelle que seul Kokumo, son costume de sauterelle et ses “trucs” personnels peut vaincre… Entendre James Earl Jones déclarer à Lamont que si le démon arrive, il lui “vomira un léopard” n’est pas vraiment le genre de choses qui aident à la respectabilité.
En fait, sa lutte entre le bien et le mal est tellement maigre, tellement répétitive (le film tient plus du constat que de l’analyse) que Boorman la dissimule sous cet écran de fumée mystique et sous un véritable brassage d’éléments qui ne conduisent nulle part, trahissant l’écriture chaotique du scénario et le total manque de cohérence (à ce titre, être capable de remonter un film de deux heures au bout d’une semaine d’exploitation est révélateur). Boorman navigue clairement à vu, ne sait pas où il va, et c’est pourquoi il passe de la pseudo enquête sur la mort de Merrin (effaçant purement et simplement son collègue Karras, pourtant certainement plus important que lui dans le premier film) à la biographie du même Merrin, de l’hypnose parallèle aux dons divinatoires (Regan capable de ressentir ce que ressent Lamon), des grattes ciels new yorkais chic aux huttes africaines orangées et même d’un Kokumo enfant possédé à un Kokumo “tribal” via un Kokumo “scientifique” (trois versions d’un même personnage !). Si ce n’est pour affirmer que le mal cherche à s’attaquer au bien, aucun thème valable ne se dégage de L’Exorciste II, et surtout pas le lien entre la science et la foi comme devait l’espérer William Goodhart en s’inspirant de Pierre Teilhard de Chardin pour rédiger le scénario initial. Après avoir tenté tant bien que mal de la maintenir liée au fantastique (via l’engin à hypnotiser), la science passe vite à la trappe, à l’image du Dr. Tuskin qui, arrivée à la fin du film, n’aura strictement rien compris de ce qui s’est passé. Mais y avait-il quelque chose à comprendre de cet amas disgracieux concocté par un réalisateur meublant les innombrables lacunes de son film avec de la poudre aux yeux ?
C’est à se demander si Boorman n’avait pas eu en tête dès le début de faire uniquement et simplement l’exact contre-pied de L’Exorciste. Bien entendu, on ne peut entièrement juger une séquelle sur les seules comparaisons avec le premier film, mais à ce degré de divergence, il n’est pas impossible que le réalisateur se soit justement basé intégralement sur l’original pour mieux en concevoir l’exact opposé. Le film de Friedkin était sombre et froid, celui de Boorman est optimiste et mystique. Tout L’Exorciste était concentré dans une seule et même pièce, tandis que L’Exorciste II fait des incessants allers-retours vers l’Afrique (ou l’Amérique du sud). Le modèle était en apparence d’une fausse simplicité, la séquelle est d’une fausse complexité. Et si l’on voulait être méchants, on pourrait dire que le premier fut légitimement un des plus gros succès au cinéma et que le second fut tout aussi légitimement un des plus gros échecs. Mais cela serait un peu facile, tout comme il serait aussi facile d’attribuer son échec critique à la seule attente trop exigeante qu’éprouvait le public pour la séquelle de L’Exorciste (excuse souvent sortie par le réalisateur). Terminons donc sur une note plus positive en constatant qu’au moins, Boorman a porté sa lutte “bien contre mal” à un niveau spirituel sortant du cadre du seul christianisme. Un peu de prosélytisme là-dessus, et c’eût été le pompon !