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Istanbul, mission impossible – Roger Corman

Target : Harry. 1967

Origine : Etats-Unis
Genre : Action
Réalisation : Roger Corman
Avec : Vic Morrow, Suzanne Pleshette, Victor Buono, Michael Ansara…

Pas un mot ! Roger Corman ne dit absolument rien de cet Istanbul, mission impossible dans ses incontournables mémoires. Un silence assourdissant qui, lié au fait qu’il ait choisi de signer le film sous pseudonyme (Henry Neill), laisse croire que l’expérience s’est avérée fâcheuse. Il avait pourtant été plus disert sur de semblables infortunes, profitant de l’occasion soit pour s’incriminer lui-même (Atlas), soit pour déplorer le conservatisme croissant de ses partenaires historiques de l’American International Pictures (Gas-s-s-s), soit pour conchier l’interventionnisme des gros studios pour lesquels il lui est arrivé de travailler (L’Invasion secrète). Mais ici, étrangement, rien du tout. Pourtant cette production fait office de singularité dans son parcours, puisqu’il s’agit d’un projet chapeauté par une chaîne de télévision nationale, ABC, et dont son frère Gene aurait été l’initiateur. Le produit fini aurait dû servir de pilote à une série qui ne verra finalement jamais le jour, et Istanbul, mission impossible déplu tant à ABC qu’elle le laissa prendre la poussière sans se donner la peine d’en faire quoi que ce soit, pas même de le diffuser sur ses ondes. Puis, moyennant un retitrage (How to Make It) et l’insert de scènes de nu aussi déplacées que foutraques (elles sont en très gros plans histoire que l’on ne voit pas que ce ne sont pas les acteurs originaux), Gene Corman finit par décrocher une sortie cinéma -dans les salles d’exploitation d’une poignée de pays- 10 ans après la fin du tournage. Que s’est-il passé ? Si le patronage d’ABC est à l’origine de son désaveu, pourquoi Corman ne tire-t-il pas à boulets rouges sur le network dans ses mémoires ? Chercherait-il à dissimuler l’un de ses plus gros faux pas professionnels ? Ou bien à taire les erreurs de son frère, seul producteur sur le projet ? La question demeure un mystère, faisant de Istanbul, mission impossible l’un des films les plus obscurs de sa filmographie. D’autant plus étrange qu’il le conçut à une époque où, de Intruder aux Anges sauvages en passant par The Trip et à L’Affaire Al Capone il gagnait en ambitions artistiques et en réputation. Et en sus, le film bénéficie derrière la caméra de deux noms promis à une certaine renommée : d’abord Monte Hellman, ici préposé au montage, et ensuite un jeune français débutant faisant fonction d’assistant réalisateur : Alain Corneau.

Tout juste libéré d’une prison monégasque, Harry Black prend littéralement un nouvel envol. C’est à dire qu’il est pilote d’aquaplane et qu’il est embauché par un certain Jason Carlyle qui doit se rendre à Istanbul pour affaires. Sur les rives du Bosphore, Harry vaque à ses occupations pendant que son client se fait assassiner. Et l’aviateur de se retrouver dans la ligne de mire de deux truands : le patibulaire Mosul Rashi et la belle Diane Reed. C’est que Carlyle promenait avec lui une mallette contenant des plaques volées à la banque d’Angleterre et permettant d’imprimer de la fraîche. Rashi comme Reed se sont fourrés dans le crâne que Harry s’est emparé de ces plaques !

Pas de Mission impossible derrière cet Istanbul, mission impossible, mais deux autres influences majeures : Le Faucon maltais et la saga James Bond. Au premier, Corman reprend les grandes lignes de l’intrigue, avec un McGuffin dans toute sa splendeur autour duquel gravite une faune de vilains et une spirale de secrets se dévoilant petit à petit. De la seconde, il reprend un style général, à commencer par une musique dont on dira gentiment qu’elle est très inspirée par le thème de 007 composé par Monty Norman (et orchestré par John Barry). A vrai dire, si l’on retirait la trace de ces deux modèles, il ne resterait plus grand chose de Istanbul, mission impossible. Un film qui présente certes une certaine identité -il s’agit d’une de ces petites pastilles “pop” typiques de la fin des années 60-, mais certainement pas celle de son réalisateur dont les thématiques pourtant récurrentes à l’époque sont ici totalement absentes. Même dans ses productions les plus fauchées et les plus bassement commerciales, Corman réussissait d’une façon ou d’une autre à laisser sa marque sur les films qu’il réalisait. A minima en débauchant l’un de ses acteurs fidèles, dont aucun n’est ici présent. En revanche, outre une jeune Charlotte Rampling, nous avons Vic Morrow qui singe Humphrey Bogart non sans un certain talent : son Harry Black est résolument un dur à cuire, un cynique et un homme à qui on ne la fait pas. Ne se laissant berner ni par les pressions physiques de Mosul Rashi ni par les charmes complaisants de Diane Reed, il garde tout du long la tête haute, le sang froid et une présence d’esprit qui lui permet d’échapper aux nombreux traquenards sur sa route. Là où les autres se laissent emporter par leurs envies, principalement dictées par l’avidité, lui se montre si désabusé qu’il semble intouchable (ainsi, lorsqu’un méchant réussit à le mettre en cage, il parvient à s’évader et à occire ses gardes deux minutes plus tard, montre en main). Ce qui en fait un théâtral mais véritable héros, contre lequel les autres viennent se briser : que ce soit la langoureuse Diane et ses tentatives de rapprochement (dans tous les sens du terme) ou le très débonnaire Rashi (Victor Buono avec son look de François Hollande) et sa force de persuasion incarnée par des hommes de mains à moustaches. Rien ne le surprend, tout lui glisse dessus, y compris d’être impliqué dans une histoire qui évolue petit à petit pour in fine tremper dans la magouille géopolitique. Parlez-en à ce flic monégasque, et il vous répondra qu’en tant qu’homme il pourrait devenir l’ami de Harry, mais qu’en tant que policier son rêve est de le coffrer (ce qu’il dit à Harry lui-même). Un bon résumé pour un personnage présent dans chaque scène et qui n’avait en fait strictement rien à voir avec le meurtre de Jason Carlyle et le vol de la mallette qu’il portait.

A personnage hors-norme, cadre hors norme. Comme James Bond, Harry Black ne saurait s’exprimer pleinement dans le cadre étriqué d’un anonyme patelin rural. Non, il lui faut du prestige, du glamour et de l’exotisme. Visiblement pas mal loti financièrement parlant, Istanbul, mission impossible lui donne tout cela, avec un aller-retour Monte Carlo-Istanbul suivi d’une bifurcation vers une île grecque avant de revenir dans la principauté. Ce qui n’est pas sans pousser Corman à faire dans l’excès : systématiquement, il recherche le plan le plus avantageux, les lumières les plus bariolées, le décor le plus idyllique, le luxe le plus ostentatoire, en accompagnant cela par cette bien trop omniprésente musique plaquée sur celle des James Bond, avec l’idée de raffinement confinant à la prétention qu’elle évoque. Ainsi, la moindre belle donzelle en bikini, le moindre casino et le moindre paysage de carte postale trouveront toujours le moyen de s’incruster à l’écran, le réalisateur profitant d’un tournage sur les lieux de l’action (en cela au moins il rappelle son ère hawaïenne, Naked Paradise et She Gods of Shark Reef -pas ses meilleurs-). Mais il va également orchestrer des scènes dans des cadres encore plus clinquants : Sainte-Sophie à Istanbul, divers monuments pompeux ou encore des ruines grecques. De vraies promotions touristiques qui finissent même par tomber le masque, puisqu’en pleine évasion Harry trouve refuge au sein d’un groupe de touristes, écoutant avec eux les explications du guide évoquant les ruines antiques de l’île grecque où l’action se déroule alors. Cette volonté de vouloir faire voyager le spectateur par procuration finit par devenir envahissante. Le scénario n’étant guère à même de captiver (pour commencer : en quel honneur les bandits d’Istanbul fondent-ils sur Harry, simple pilote, plutôt que de se renseigner sur le meurtre ?), le spectacle est tributaire du traitement qu’en fait le réalisateur. Se montrer aussi excessif est donc un moyen de cacher la misère :une fois passé le tape-à-l’œil, le film est en fait on ne peut plus conventionnel. Corman ne brille guère dans l’exercice du sous-James Bond, peinant à retrouver le snobisme ironique de ce dernier et ne trouvant pas l’occasion d’user de son propre style. Alors il s’est lancé dans une fuite éperdue après les caractéristiques des films 007, espérant y parvenir en forçant le trait. Pas étonnant que tout paraisse surfait !

Dans le fond, les inserts rajoutés par Monte Hellman pour la sortie en salle sont encore ce qu’il y a de plus cormanien dans Istanbul, mission impossible. Avec peut-être cette étonnante scène où le groupe de touristes mentionné plus tôt se retrouve pris dans une fusillade. Beaucoup d’innocents y laissent des plumes ! Pour le reste, bien que cela se suive sans déplaisir et que l’on puisse sourire une ou deux fois devant les grognements de Vic Morrow, rien de bien folichon sous le soleil, qu’il soit de Monte Carlo, d’Istanbul ou de Grèce. Rien qui ne distingue non plus de l’avalanche de james-bonderie qui essaimait alors de part le monde. Ce n’est certainement pas là le plus mauvais film de Corman, mais c’est bel et bien le plus impersonnel. C’est peut-être la raison pour laquelle le grand Roger l’a passé sous silence. Mais n’empêche qu’il y a toujours anguille sous roche.

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