Histoires d’outre-tombe – Freddie Francis
Tales From the Crypt. 1972.Origine : Royaume-Uni – États-Unis
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Alors que des visiteurs s’apprêtent à découvrir les catacombes d’une abbaye, leur guide plante d’emblée le sombre tableau. Dans la première moitié du XVIe siècle, sous le règne de Henri VIII, tous les monastères d’Angleterre furent fermés et leurs occupants systématiquement torturés, massacrés en public ou mis à mort en secret. Certains parvinrent néanmoins à réchapper à cette extermination en trouvant refuge dans cette crypte. Devenue leur nouveau lieu de culte, ils ont continué à exercer leur sacerdoce à l’insu de l’oppresseur. Les squelettes alentours sont ceux de tous ces martyrs. En dépit des avertissements répétés du guide, cinq visiteurs trouvent le moyen de s’égarer en chemin. A la recherche d’une issue, ils se retrouvent dans une grande salle dont l’unique porte se ferme derrière eux. Apparaît alors un mystérieux individu encapuchonné qui les enjoint fermement à s’asseoir. Devant une assistance hostile, il s’engage à mettre leur inconscient à nu chacun à leur tour.
Freddie Francis et la Amicus, c’est une affaire qui roule. Plus encore qu’au sein de la Hammer, le réalisateur et directeur de la photographie a trouvé dans cette société de productions un écrin parfait pour ses réalisations. En tout et pour tout, il réalise pas moins de 7 films pour la firme co-fondée par Milton Subotsky et Max Rosenberg, ce qui le place en tête des réalisateurs les plus prolifiques devant Roy Ward Baker et Kevin Connor avec 4 films chacun. Mais toutes les belles histoires ont une fin et ces Histoires d’outre-tombe marquent le terme de leur collaboration, Freddie Francis terminant comme il l’avait commencée, avec un film à sketchs. Au scénario, nulle trace de l’écrivain Robert Bloch, déjà à l’œuvre sur Le Jardin des tortures et Asylum de Roy Ward Baker, au profit du retour de Milton Subotsky en personne, qui n’oublie pas ses premières amours. Sauf que contrairement au contenu original qu’il avait fourni pour Le Train des épouvantes, le scénario de ce nouveau film se contente de compiler cinq histoires parues dans les magazines Tales From the Crypt et The Vault of Horror. L’essentiel de son travail consiste donc à les relier entre-elles, ce qu’il fait en imaginant un fil rouge à portée confessionnelle confié aux bons soins de Sir Ralph Richardson, passeur de plats autoritaire et péremptoire.
Comme de coutume, il y a à boire et à manger dans cette compilation et plutôt que de procéder à un inventaire chronologique des différents sketchs, j’opte pour un déstockage en bonne et due forme en guise de mise en bouche. La première histoire, “And All Through the House” rappellera des souvenirs aux lecteurs qui ont connu les Jeudis de l’angoisse sur M6 et la diffusion des Contes de la crypte puisque Robert Zemeckis l’a également adaptée pour les besoins de la première saison de la série sous le titre français Nuit de Noël pour femme adultère. La trame est donc ici sensiblement identique. Une femme tue son mari le soir de Noël pour toucher le montant de l’assurance-vie. Manque de bol, un psychopathe en cavale vêtu d’un costume de Père-Noël choisit sa maison pour recommencer à tuer. Par contrainte de temps, Freddie Francis doit caler 5 histoires plus le fil rouge en seulement 1h30, le récit ne tergiverse pas. Il n’y a pour ainsi dire aucune confrontation directe entre la veuve et le tueur jusqu’à la conclusion du sketch. La majeure partie se concentre sur le nettoyage consciencieux du lieu du crime et le maquillage en simple accident domestique de son forfait. La présence du tueur est vécu comme un épiphénomène, Joanne Clayton se sentant pleinement en sécurité une fois les portes et les volets fermés. Elle se trompe lourdement, bien évidemment. Cependant, la chute intervient de manière trop quelconque pour qu’il nous reste autre chose en tête que les seuls chants de Noël qui auront accompagné les mésaventures de Joanne sur toute sa durée. Un supplice, mais pas dans le sens espéré.
Le récit suivant ne relève pas le niveau. “Reflection of Death” narre la fuite de Carl Maitland en compagnie de sa maîtresse alors qu’il a fait croire à son épouse légitime qu’il partait en voyage dans le cadre de son travail. Joué par Ian Hendry, interprète du Dr David Keel dans la première saison de Chapeau melon et bottes de cuir mais aussi de la partie dans La Colline des hommes perdus ou encore La Loi du milieu, Carl Maitland est un personnage fade dont le seul tort est de quitter sa femme sans oser lui avouer. Un comportement d’une incroyable lâcheté condamnée d’une manière démesurée. Ce sketch est construit comme un cauchemar qui prend in fine des allures de rêve prémonitoire. Une errance nocturne pour une bonne part en caméra subjective qui laisse entrevoir un rebondissement qui n’effrayera que les plus impressionnables. En somme, cette histoire, à trop tourner en rond finit par n’aller nulle part.
Le quatrième sketch, “Wish You Were Here” raconte les déboires financiers de Jason (Ralph dans la version française), un financier sans scrupule qui n’hésite pas écraser quiconque s’oppose à lui dans la création de son Empire. A trop jouer avec le feu, il a beaucoup perdu. Son associé lui conseille de se mettre en banqueroute, ce qu’il refuse, préférant régler ses dettes tel l’homme d’honneur qu’il se vante d’être. De retour chez lui, il annonce à son épouse qu’ils vont devoir se débarrasser de tous leurs objets d’art. L’un d’entre eux, une statuette achetée dans une échoppe de Hong-Kong, attire leur attention. Selon l’inscription visible partiellement sur son socle, ses possesseurs ont droit à trois vœux. L’épouse s’empresse d’en formuler un, contre l’avis de son mari. Simple d’utilisation, ladite statuette ne requiert ni frottement vigoureux, ni énonciation d’une formule magique pour dispenser ses miracles. Il suffit de penser à quelque chose et le vœu est exaucé dans la seconde. Une rapidité d’exécution dépourvue de tout effet ostentatoire. Les événements surviennent comme s’ils avaient été écrits à l’avance, tout juste auréolé d’un soupçon de symbolisme tel ce motard lancé aux trousses de Jason qui arbore une tête de mort sous son casque. Enfin, ça c’est ce qui se passe dans un premier temps. Lors des deuxième et troisième vœux, le fantastique reprend plus franchement ses droits même si toujours avec une économie de moyens. Des croque-morts qui font irruption dans le salon, le visage maquillé de blanc ; un cadavre particulièrement agité alors qu’il a les entrailles à l’air, voilà pour l’inventaire exhaustif des éléments fantastiques qui illustrent l’épisode. Rien de bien folichon à l’image de ce court récit qui surprend uniquement par la rapide mise à l’écart du personnage principal au profit de son épouse. Si elle n’est pour rien dans les malversations de son mari, elle subit également un châtiment, plus cruel car plus pernicieux, punie pour son refus d’une vie plus modeste.
Ces trois récits au mieux quelconque, au pire franchement médiocre, partagent une même brièveté qui n’est pas synonyme d’efficacité. Freddie Francis s’avère autrement plus à son aise avec les histoires longues comme celle qui clôt le film. Dans “Blind Alleys”, il est question d’un ancien gradé qui reprend la direction d’un centre d’accueil pour personnes aveugles. Rigide comme il se doit, il se montre en outre particulièrement injuste dans sa gestion de l’établissement. Dès qu’il s’agit de ses pensionnaires, il rogne sur toutes les dépenses. Face à la dégradation des conditions de vie, la colère ne tarde pas à gronder. Premier atout de cette histoire, la présence d’un vrai salopard. Le Colonel Rogers s’occupe mieux de son chien que des pensionnaires dont il a la charge. Fort de son passé de militaire, il les contraint notamment à des repas insipides et peu nourrissants lorsque lui se remplit la panse de mets succulents arrosés d’un savoureux nectar. Il considère ce travail comme une retraite dorée, et les pensionnaires comme de simples subalternes qui ne peuvent remettre son autorité en question. L’un d’entre eux refuse cependant de courber l’échine. Jouant pleinement son rôle de porte-parole, Carter fait tout son possible pour que le Colonel Rogers ouvre les yeux sur leurs conditions de vie misérable, laquelle empire en saison hivernale, la chaudière étant coupée à 21h. Mais il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Rogers demeure inflexible. L’ignominie de son comportement est telle que Freddie Francis n’a nul besoin de scènes chocs pour accentuer l’horreur de la situation. Il met ce récit en image avec une grande sobriété, s’appuyant sur une photographie grisâtre qui ajoute à son climat oppressant. Il gère parfaitement son huis-clos, n’hésitant pas à étirer les scènes lorsque les pensionnaires aveugles s’affairent. Un sérieux qui ne l’empêche pas de tromper nos attentes à l’aune d’une suggestion malicieuse concernant le sort éventuel de Rogers alors qu’il ne sera véritablement scellé qu’un peu plus tard, au terme d’une longue séquence de torture mentale. A force de brimades, les laissés pour compte se montrent encore plus féroces que leur bourreau.
“Poetic Justice” partage ce même souci de prendre son temps tout en ajoutant un ingrédient supplémentaire, l’émotion. Dans un quartier résidentiel, Mr Grimsdyke fait le bonheur des enfants. Chaque fois qu’ils viennent lui rendre visite, ils repartent avec un jouet. Le vieil homme, qui travaille à la récupération des ordures ménagères, redonne une nouvelle vie aux jouets dont d’autres enfants se sont lassés. Leur joie et leurs sourires lui apportent un peu de baume au cœur au veuf inconsolable qu’il est. Ce qu’il ignore, c’est qu’en face de chez lui, le fils d’un promoteur immobilier fomente un plan machiavélique pour lui faire quitter le quartier. Considérant sa présence comme nuisant au standing du quartier, il fait de la vie du vieil homme un cauchemar. Autant le révéler tout de suite, la conclusion de l’histoire, qui force le trait de l’horreur avec ce cadavre revenu d’entre les morts, ne constitue pas le meilleur du sketch. D’ailleurs, Freddie Francis l’illustre plutôt platement, comme le passage obligé qu’il est. Le réalisateur se révèle bien meilleur dans le développement de cette terrible histoire. Terrible car elle met en lumière toute la bassesse humaine. Grimsdyke ne fait de mal à personne. Son seul tort, exercer un métier jugé infâmant, alors que d’utilité publique. Incapable de dissocier le métier de l’homme qui l’exerce – mais le veut-il vraiment ?- Elliot ne voit en lui qu’une personne sale et négligée qui jure avec les autres habitants du quartier, qu’on imagine exercer des métiers plus reluisants. Derrière ces préjugés se lit l’ennui d’un fils à papa qui ne sait comment occuper ses journées autrement qu’en épiant ses voisins à longueur de journée. Et lorsqu’il se décide à passer à l’action, dans le but non avoué de plaire à son père, il prend un pied monumental. Au début simple enfantillage – il piétine les parterres de plantes du voisin pour faire accuser les chiens de Grimsdyke -, son action prend un tour plus pervers lorsqu’il se sert de la Saint-Valentin pour inonder de courriers l’infortuné vieil homme. A chaque carte, un petit mot assassin, rabaissant et cruel comme autant de coups de poignard dans le cœur déjà meurtri de l’inconsolable veuf. Ici, poésie rime avec perfidie. Sous les traits de cet homme fragilisé qui continue de converser avec son épouse par l’intermédiaire d’une planche de ouija, Peter Cushing se montre particulièrement émouvant. Et il y a de quoi puisque au travers de ce personnage, la réalité et la fiction se télescopent dans un vertigineux entre-deux. Le comédien, qui venait lui-même de perdre sa femme l’année précédente, retranscrit cette douleur encore vivace dans son art, avec toute la justesse et la sobriété qu’on lui connaît.
Il est souvent difficile de se débarrasser de ses vilaines habitudes. La Amicus aimant à produire des films à sketchs contenant pas moins de 5 récits à chaque fois, ces Histoires d’outre-tombe ne dérogent pas à la règle. Dommage car le film aurait considérablement gagné à moins se disperser. En outre, avec son fil rouge en mode purgatoire, ces Histoires d’outre-tombe sombrent dans le moralisme. Tout cela manque trop de folie et d’ironie. Cela peut s’avérer efficace lorsque l’histoire s’y prête et que le réalisateur y consacre davantage de temps (les segments “Poetic Justice” et “Blind Alleys”) mais devenir totalement inopérant lorsque l’intrigue repose uniquement sur sa chute en mode punition divine. S’appuyant sur les mêmes sources d’inspiration, la série Les Contes de la crypte saura trouver la bonne approche, entre humour noir, horreur frontale et méchancetés gratuites.