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Frissons d’horreur – Armando Crispino

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Macchie solari. 1975.

Origine : Italie
Genre : Excroissance de giallo
Réalisation : Armando Crispino
Avec : Mimsy Farmer, Barry Primus, Ray Lovelock, Carlo Cattaneo…

Rome connaît un été caniculaire. Comme en réaction à cette chaleur suffocante, une vague de suicides déferle sur la ville. Une aubaine pour Simona Sanna dont la thèse porte sur la différenciation entre les vrais suicides et les suicides maquillés. Son travail dans une morgue l’amène à faire la connaissance de Paul Lennox, un prêtre venu identifier le corps de sa sœur. Tout porte à croire que la jeune femme a mis fin à ses jours, mais Paul n’adhère pas à cette thèse. Pire, il en arrive à accuser de meurtre le propre père de Simona, ce dernier connaissant intimement sa sœur. Déjà quelque peu déboussolée, cette accusation ne fait qu’enfoncer un peu plus Simona dans un état proche de la folie.

Armando Crispino n’est pas un grand nom du cinéma de genre italien. Il fait partie de cette cohorte de réalisateurs qui ont su profiter de l’incroyable effervescence de l’industrie cinématographique transalpine des années 60 – 70 pour s’essayer, comme bon nombre de ses petits camarades, à tous les genres. Si tant est que l’un de ses films soit plus connu que les autres, alors il y a fort à parier qu’il s’agisse de Plus moche que Frankenstein tu meurs, une grosse pantalonnade qui donne la vedette à Aldo Maccione, acteur sévissant indifféremment des deux côtés des Alpes. Frissons d’horreur -sorti la même année- constitue son tribut au giallo, genre alors très en vogue. Enfin, il ne s’agit pas vraiment d’un giallo à proprement parler. Ici, aucun fétichisme, pas de meurtres sanglants à l’arme blanche, et pas non plus de vue en caméra subjective. Ce film se réclame plutôt du thriller horrifique auquel Armando Crispino donne des allures de giallo sans se départir d’ambitions plus élevées.

Armando Crispino base son intrigue autour d’une vague de suicides sans précédent, dont l’origine serait imputable à l’astre solaire. Le début du film alterne ainsi gros plans de la surface du soleil et scènes de suicide dans un ballet mortuaire savamment orchestré. Ce point de départ lui a été inspiré par un fait-divers, lequel faisait état de ce phénomène scientifique assez rare selon lequel les individus psychologiquement vulnérables tomberaient sous l’influence de réactions chimiques toxiques émanant de la surface du soleil. L’astre solaire se pose alors en opposant sérieux de l’astre lunaire, jusqu’à présent principal responsable de nombreuses déviances humaines. Une fois cette idée exposée, Armando Crispino nous enjoint à le suivre dans le lieu où se retrouvent les dépouilles de ces infortunées personnes, la morgue. C’est là que nous faisons connaissance avec Simona Sanna, l’héroïne du récit. La pauvre semble elle-même faire partie du contingent de ces personnes à la faiblesse psychologique criante. De plus en plus troublée par la vision de tous ces cadavres (le réalisateur ne nous épargne rien de leurs blessures), elle se met soudain à les voir se réveiller, lui sourire puis s’adonner une dernière fois aux plaisirs de la chair. Le tout via des images kaléidoscopiques qui trahissent, encore plus sûrement qu’un gros plan sur une page de calendrier, l’époque de tournage du film. Au travers de cette scène, pointe la volonté du réalisateur de conférer une aura fantastique à son film. Il ne cherche pas à magnifier les scènes de meurtres -par ailleurs peu nombreuses et peu détaillées- ni à s’appesantir sur un quelconque suspense policier, si cher aux gialli. L’introduction de cette histoire à base de suicides maquillés, et à laquelle le père de Simona serait mêlé, ne sert qu’à faire perdre encore davantage pied à la jeune femme. Elle-même ne cherche guère à en savoir plus sur la raison du décès de cette fausse rousse dont le chemin a opportunément croisé le sien le temps d’une soirée. Certes, plus le temps passe et plus les affirmations du Père Lennox qui font état d’un meurtre au lieu d’un suicide apparaissent fondées. Cependant, son entêtement à vouloir absolument incriminer le père de Simona amène celle-ci à se méfier de cet homme dont la soutane ne suffit pas à le préserver de la violence. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de l’écouter, et encore moins de le voir. Elle se sent irrépressiblement attirée par cet homme, alors même que la voie qu’il a choisie l’éloigne de ce genre de considération. Nous touchons là le cœur du propos du réalisateur. Sous couvert d’un thriller horrifique à tendance “giallesque”, Armando Crispino s’attache à nous décrire avec minutie le caractère de Simona, femme complexe et totalement inhibée.

Simona se meut dans un univers exclusivement masculin qui fait bien peu de cas de la gent féminine. Le médecin légiste qui lui sert de tuteur de stage se présente comme un homme libidineux qui n’hésite pas à caresser avidement le corps de ses « patientes », tout en réitérant ses avances à Simona. Cette dernière le repousse inlassablement, mais ne semble pas faire trop de cas de cette attitude qu’elle cache à son petit ami Edgar. D’ailleurs, au grand dam du jeune homme, elle entretient avec lui une relation des plus platoniques, se refusant à partager son intimité. Elle ne semble pas trop savoir sur quel pied danser. Alors que Edgar force un peu les choses en laissant parler sa libido, Simona se contente de le repousser, sans prendre ombrage de cette attitude primaire. Son attitude un peu passive face aux comportements exaltés des hommes semble témoigner d’un soupçon de culpabilité de sa part, comme si elle se reprochait de ne pas ressentir de besoins sexuels. Armando Crispino laisse sciemment son intrigue pseudo policière de côté pour se concentrer sur cette femme et ses vaines tentatives de s’ouvrir à la sexualité. Il nous gratifie alors de quelques scènes à l’érotisme léger, lors desquelles le naturel de Mimsy Farmer fait merveille. Elle traduit à la perfection toute la dualité de son personnage, qui n’agit pas tant par désir que par une sorte d’obligation. Elle se reproche sa frigidité, parvient à se motiver suffisamment pour esquisser quelques gestes tendres envers Edgar, mais un éclat de rire qui se mue en sanglots vient clore sa brève tentative. Et lorsqu’elle réussit enfin à se laisser aller totalement dans les bras de Edgar, elle ne peut empêcher son esprit de vagabonder. Elle ne peut s’empêcher de penser à un autre homme, le Père Lennox. En s’éprenant d’un homme d’Eglise, elle s’oriente volontairement dans une impasse qui la dispense alors de toute intimité avec un homme. Le personnage de Mimsy Farmer illustre de façon inédite la difficile libéralisation de la femme qui, durant les années 70, prend un tournant décisif. La frigidité qu’elle affiche se fait alors l’écho de son envie de ne plus être l’esclave du désir des hommes. Son comportement n’est donc pas le corollaire d’un éventuel sentiment de culpabilité, mais plutôt d’une farouche envie de changer les choses. Elle souhaite prendre sa vie en main et ne plus être l’esclave de cette société machiste. Lorsqu’elle avoue ses sentiments au Père Lennox, elle se libère enfin du lourd carcan que la société faisait peser sur elle. Elle est libre : libre d’aimer qui elle veut (même un homme d’Eglise), libre de dire non à toutes relations sexuelles, libre de ses actes. Une liberté qui s’affiche jusque dans sa façon de s’habiller, et cette absence permanente de soutien-gorge. Loin d’être une provocation à l’égard de la gent masculine, ce détail appuie sa volonté de vivre comme elle l’entend, sans se soucier des qu’en-dira-t-on. La fin du film indique que le chemin est encore long, mais Simona s’y est déjà bien engagée.

Frissons d’horreur est un drôle d’objet à l’intrigue assez lâche. Tout le film baigne dans un climat mortifère qui donne son aspect glauque à certaines scènes, comme la mort du concierge. Armando Crispino rend bien compte du caractère inéluctable de la mort et, tant qu’il s’en tient à son fait divers du départ, confère à son film une identité singulière. Malheureusement, il a voulu se rapprocher des canons de l’époque en mettant en place cette machination autour de laquelle tous les éléments du film doivent se rattacher. Or, son désintérêt pour celle-ci est flagrant. Il nous présente mollement quelques coupables potentiels afin de faire jouer nos méninges mais, comme il ne joue pas le jeu du whodunit, cette partie relève plus du passage obligé que d’une réelle envie de sa part. Son manque de motivation devient flagrant à vingt minutes de la fin, lorsqu’il nous désigne subitement le coupable au détour d’une scène anodine. C’est comme s’il s’était soudainement souvenu du vague suspense policier qu’il avait artificiellement tenté d’élaborer. Il aurait gagné à s’affranchir totalement de l’influence du giallo pour partir dans sa propre direction, car son film témoigne d’idées originales qui auraient mérité un meilleur traitement.

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