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Forces spéciales – Edward D. Murphy

forcesspeciales

Raw Force. 1982

Origine : Etats-Unis / Philippines 
Genre : Expansif 
Réalisation : Edward D. Murphy 
Avec : Geoffrey Binney, Cameron Mitchell, John Dresden, Rey King…

Mike O’Malley (Geoffrey Binney) et ses amis karatékas embarquent pour une croisière dans le Pacifique qui s’annonce fort agréable. Les autres passagers sont très sympathiques, et certains sont même eux aussi karatékas à leurs heures perdues. L’un des clous de la croisière est sans conteste la visite de l’île Warrior, censée abriter les fantômes de guerriers déshonorés. L’indiscrétion d’un de nos plaisanciers dans un bordel sauvage à propos de cette escale originale vient malheureusement aux oreilles de Thomas Speer, un trafiquant qui apporte régulièrement des femmes aux moines vaudou et anthropophages de l’île. Speer n’aura alors de cesse que d’empêcher la croisière d’aller s’amuser sur Warrior.

Derrière un titre aussi banal que Forces spéciales se cache un très sympathique petit film américano-philippin dans la tradition cormanienne. Bien que le film ne soit pas rattaché à la New World du père Roger (qui venait de toute façon de vendre sa firme), et que ses participants affichent des CV bien trop chiches pour qu’on puisse les lui associer au même titre qu’un Cirio Santiago (si ce n’est pour les acteurs Vic Diaz et Cameron Mitchell), on peut toutefois signaler que le générique de fin vient remercier la New World pour l’emploi de ses stock-shots. Des stock-shots qui ne sont d’ailleurs pas particulièrement remarquables, et qui se fondent avec osmose dans des séquences d’action rudimentaires, mais pas tout à fait ridicules. Inutile cependant d’épiloguer sur le manque de crédibilité des effets spéciaux : on ne s’attend pas à autre chose de la part d’une production philippine telle que celle-ci. Par contre, on s’attend à y trouver une foule d’éléments typiques du cinéma d’exploitation dans une intrigue servant de prétexte. Et à ce niveau là, le novice Edward Murphy nous a particulièrement bien gâtés. Karatékas hommes et femmes, Hitler asiatique, bikers bagarreurs, moines cannibales, cérémonies vaudou, zombies bleus-gris, femmes en cage, tout ceci est au menu d’un film qui forcément ne brille pas par sa cohérence. A mélanger des nazis au vaudou en mer de Chine, il y a forcément un problème quelque part…

Toujours est-il que l’essentiel est bien là : le rythme ne baisse jamais. C’est un véritable mitraillage d’ingrédients du cinéma d’exploitation, reliés avec une totale négligence assumée par un réalisateur qui sait très bien que son film n’est pas un chef d’œuvre. De ce fait, il essaye même à l’occasion de pimenter les scènes explicatives, en ayant par exemple recours à des personnages de “gentils” hors-normes. On y trouve bien le leader sans peur et sans reproche (O’Malley), mais on y trouve aussi un marin bourru en conflit avec son associé, un mari alcoolique jaloux du héros et quelques karatékas crieurs dominés par un sous-Bruce Lee solitaire. Tout ce petit monde de personnages haut en couleurs éclipse sans difficulté la tête d’affiche pour former une assemblée finalement assez homogène dans son incongruité, qui bénéfice grandement du refus du réalisateur d’approfondir chacune des personnalités. Il n’y a pas de pseudo-quête personnelle, d’histoire de rédemption (ce qui aurait pu être le cas avec le mari porté sur la bouteille, avec le syndrome Rio Bravo) ou même de romance (les relations se nouent à la bonne franquette, sans palabres romantiques au clair de lune). Tout est vraiment conçu pour laisser la place à l’action et à l’aventure avec un certain humour (reflété notamment par des musiques que je soupçonne d’avoir été piquées ailleurs), sans pour autant vouloir apparaître comme un film hilarant. Il aurait été facile de chercher à appuyer le caractère comique du film à coup de massue, en s’appesantissant sur le manque de réalisme. Les films faisant ce choix auto-parodique sont généralement bien moins amusants que Forces spéciales car d’une part leur accentuation des gags est bien souvent contre-productive (la frontière est mince entre le loufoque et la débilité), et d’autre part les réalisateurs oublient en cours de route qu’il font avant tout du cinéma, et non des one-man shows. La question du rythme est centrale au cinéma de genre, et ceci est valable autant pour les productions ambitieuses que pour les bisseries du fin fond de l’Asie.

Ce qui tient lieu d’intrigue à Forces spéciales s’évertue donc à relier différentes situations propices aux concepts abordés par le réalisateur, qui convoque différents sous-genres appartenant à l’érotisme, à l’action et à l’horreur. A l’érotisme -outre les quelques nus plus ou moins fumeux (dont une mafieuse lubrique sado-maso)- on peut rattacher les femmes en cage, déshabillées par les moines désireux de vérifier leur marchandise. Le fait que ces femmes soient kidnappées par une sorte d’Hitler asiatique (avec mini-moustache, raie sur le côté et mèche rebelle) nommé Speer (comme l’architecte du dessinateur raté) amène la parenté avec la nazisploitation, qui elle-même s’étend vaguement à la bikersploitation via les combattants de Speer, des espèces de Hell’s Angels arborant à l’occasion une croix gammée. Nous avons donc là une première couche de personnages, celle des méchants secondaires. Les méchants “primaires” orientent pour leur part le film vers le fantastique et l’horreur via les fameux moines cannibales, qui en mangeant la chair des femmes dans des cérémonies vaudou parviennent à ressusciter les guerriers déshonorés censés hanter la bien nommé île Warrior. Petite déception ici, puisque ces zombies ne se révèlent pas spécialement adeptes du démembrement systématique (ni sur leur victime ni sur eux-mêmes, en dépit de quelques coups de machettes) et que malgré leur peau bleue ils échouent totalement à évoquer leur collègues italiens ou même américains. Toutefois, ils imposent leur griffe dans le film via la mise en scène qui leur est associée, et qui les fait systématiquement apparaître au ralenti dans une tentative surfaite de bien souligner leur appartenance au fantastique.

Et puis après tout, ces morts-vivants sont issus du vaudou, et ne sont que le fruit des activités de leurs maîtres, les moines, eux-mêmes relativement discrets malgré le surjeu de Vic Diaz. On a connu des moines maléfiques plus subtiles que lui, mais il est vrai que les moines vaudou philippins ont rarement été vus au cinéma. Saluons donc l’originalité de ce genre de méchants médiévaux, qui viennent contrebalancer la modernité des trafiquants nazis et de leurs employés bikers. Reste enfin la troupe de gentils délurés, pratiquement tous des karatékas, qui sont là pour amener le côté “action” d’un film qui ne manque pas de combats (le plus notable bataille étant sur le bateau, où tout le monde se bat dans tous les coins, et où on assiste même à un karatéka décidant de rompre le sérieux des arts martiaux pour noyer son ennemi dans une cuvette de chiottes… sous le regard de la mafieuse lubrique ligotée au lit). Pas forcément très bien cadrés, chorégraphiés à l’improviste, ces combats donnent paradoxalement au film une touche supplémentaire de folie que l’on ne retrouve pas dans certains films hong-kongais justement trop chorégraphiés et manquant par conséquent de spontanéité.
Pour encore plus de folie, qui aurait pu faire de Forces spéciales un petit classique du cinéma américano-philippin, il aurait été souhaitable que tous les sous-genres évoqués ne soient pas cantonnés à une seule catégorie de personnages mais qu’ils soient disséminés dans tous les camps. Mais enfin, ne soyons pas plus soviétiques que le Soviet Suprême, et réjouissons nous d’un tel petit film certes bête comme chou mais répondant à toutes les attentes que l’on était en droit d’en attendre, et même un peu plus.

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