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Double détente – Walter Hill

Red Heat. 1988.

Origine : États-Unis
Genre : Réchauffement politique
Réalisation : Walter Hill
Avec : Arnold Schwarzenegger, Jim Belushi, Ed O’Ross, Gina Gershon, Larry Fishburne, Peter Boyle.

La police soviétique est sur les dents. Profitant pleinement de la Perestroika mise en place par Mikhail Gorbatchev, le Géorgien Viktor Rostavili inonde de cocaïne les rues de Moscou. Le policier Ivan Danko ne l’entend pas de cette oreille et cherche à lui mettre le grappin dessus. Il échoue d’un rien, perdant au passage son coéquipier et ami Yuri Ogarkov. Réfugié aux États-Unis, le trafiquant finit sous les verrous pour une banale infraction, ce qui permet à la police russe de le localiser à nouveau. En accord avec la police de Chicago, Ivan Danko est envoyé sur place pour récupérer Viktor. Cependant, ce dernier, jouissant de la complicité de trafiquants locaux, parvient à s’échapper au cours de son transfert, au nez et à la barbe de son garde-chiourme soviétique. Échaudé par cet affront, qui le place dans la ligne de mire des autorités de son pays, Ivan est bien décidé à remettre le bandit sous les verrous. Il sera accompagné dans sa mission par l’inspecteur Art Ridzik, un franc-tireur dont l’ami a été tué durant l’évasion. Une association contre-nature qui n’ira pas sans faire quelques étincelles.

Au sein de la carrière de Walter Hill, Double détente marque, si ce n’est une forme de renoncement, au moins une tentative de reconquête après avoir enchaîné les déconvenues. L’après 48 heures s’est avéré particulièrement compliqué. La grande majorité de ses projets suivants, pourtant assez variés (le rock’n’roll Les Rues de feu, le drame musical Crossroads, son hommage à Sam Peckinpah Extrême préjudice), n’a pas trouvé grâce aux yeux du public. Une exception toutefois, la comédie Comment claquer un million de $ par jour ? fonctionne honorablement sur le sol nord américain. En France, en revanche, c’est le gadin avec moins de 90000 spectateurs. S’il se montre satisfait du travail fourni (et de l’argent gagné, sa principale motivation sur ce projet), Walter Hill n’envisage pas de poursuivre dans cette veine purement comique. Alors non content de renouer avec le buddy-movie, formule dont il a contribué à la pérennité, il recourt par la même occasion à la star montante du cinéma d’action de l’époque, Arnold Schwarzenegger. Leur association tient de l’échange de bon procédé. Walter Hill assure à son film une meilleur visibilité quand l’acteur s’acoquine à un réalisateur à l’univers marqué, propice à lui faire franchir un cap. Le chêne autrichien cherche alors à élargir ses horizons, ne souhaitant plus se limiter systématiquement au fantastique ou à l’heroic-fantasy. Trop comic-book dans l’esprit, Commando le maintenait encore dans la posture du héros plus fort que tout. Le Contrat marque une première tentative de normalisation, pour ne pas dire humanisation, que la médiocrité et  l’échec n’échaudent guère. L’acteur n’a pas le temps de s’en formaliser et poursuit les expériences. Pour la seule année 1988, il enchaîne Double détente et Jumeaux, sa première incursion dans la comédie sous la houlette d’Ivan Reitman. Deux films diamétralement opposés sur le papier qui tirent pourtant leur sève de la même souche, celle du duo de protagonistes mal assortis et dont les différences criantes vont nourrir la plus belle des complicités.

Parce que c’est suffisamment rare pour être signalé, le titre français fait preuve d’une subtilité totalement absente du titre original, lequel aurait plutôt tendance à cultiver le contresens. A l’époque, le cinéma américain continue de réduire les soviétiques au rang de menace incontournable. De Firefox, l’arme absolue à Rambo 3 en passant par Invasion USA, Rocky IV ou encore L’Aube rouge et Tuer n’est pas jouer, la Guerre Froide nourrit encore et toujours l’imaginaire des scénaristes américains. Cette “chaleur rouge” du titre américain, par ailleurs déjà utilisé pour un film de Robert Collector avec Linda Blair en 1985, tendrait à évoquer une influence néfaste du bloc soviétique, de sa volonté de nuire au bon ordonnancement du monde. D’une fièvre susceptible de s’emparer du monde si l’Amérique toute-puissante ne faisait pas le nécessaire pour soigner les brebis égarées. Cette voie n’est pas du tout la direction empruntée par Walter Hill. A contre-courant d’une production par trop manichéenne, Double détente fait preuve d’ouverture. Il ne s’agit plus d’opposer bêtement russes et américains mais de trouver un terrain de conciliation. Le film part d’une cohabitation forcée entre deux inspecteurs de police pour se conclure dans un profond respect mutuel. Comme le dira Danko à Ridzik (“Nous sommes officiers de police, non des politiciens. On a le droit d’être amis.”), l’individu peut prendre ses distances avec la chose politique, faire preuve de davantage de clairvoyance jusqu’à être en avance sur l’Histoire. La “détente” du titre concerne bien évidemment le réchauffement des rapports entre les deux blocs sous l’impulsion de la politique de Mikhail Gorbatchev. A l’écran, cela se traduit de manière inédite par les scènes d’introduction qui ont en partie été tournées au cœur de la ville de Moscou, alors que jusque-là les reconstitutions étaient de mise (Gorky Park tourné à Helsinki, par exemple). Un traitement de faveur abondamment mis en avant par la production lors de vidéos promotionnelles où un Arnold Schwarzenegger aux anges a pu juger de sa popularité naissante au-delà du mur. Le caractère double de ladite détente fait quant à elle allusion au duo de flics, filant la métaphore létale. Si Viktor Rostavili venait à échapper à l’un, il aurait immédiatement l’autre sur le dos. Face à cette “double détente”, le vilain de service oppose une double entente, s’alliant de son côté aux “têtes d’œufs”, ses homologues musulmans avec lesquels il est en affaire. Une entente de circonstance qu’il n’hésite pas à rompre de manière brutale. Viktor est un méchant, un vrai. Aucun autre élément ne vient le définir que cette appétence pour le Mal. Il tue ses hommes de main pour les empêcher de parler à la police, tend des pièges à ses associés américains pour conserver la came pour lui seul ou exécute la naïve Cat Manzetti parce qu’elle en sait trop à son sujet. Figure familière du cinéma des années 80 (Cotton Club, L’Arme fatale, Full Metal Jacket, Hidden, Action Jackson), Ed O’Ross l’interprète avec tout le manque de nuance requis, se contentant de froncer les sourcils là où son opposant Arnold Schwarzenegger préfère serrer les dents. Il s’inscrit pleinement dans l’univers d’un film pas conçu pour être subtil. Walter Hill ne nourrit d’autre ambition que celle d’un bon actionner visant à mettre en valeur sa star. Ce qui va à l’encontre du buddy-movie annoncé.

Une scène résume parfaitement le côté bancal du projet. Toujours à la traîne, Art Ridzik court à en perdre haleine derrière le bus réquisitionné par Ivan Danko, avec la volonté affichée de participer au final alors que tout concourt à l’en écarter. Danko/Schwarzenegger se soucie peu de Ridzik/Belushi et Walter Hill ne fait rien pour infléchir cette tendance. Dès le départ, Ridzik nous est présenté comme un simple chauffeur. Un flic tellement ingérable qu’on lui confie les tâches ingrates afin qu’il fasse le moins de vague possible. A aucun moment le flic hâbleur de Chicago se trouve en mesure de jouer à armes égales avec son encombrant acolyte. Qu’il tente de prendre les choses en main (la manière de mener un interrogatoire aux États-Unis dans le respect de la loi Miranda) revient à devoir rapidement s’incliner devant la brutale efficacité de l’officier soviétique. Le scénario tente bien de l’impliquer émotionnellement dans cette enquête en tuant son ami, le Sergent Gallagher, mais Ridzik s’efface sans difficulté derrière le contentieux qui oppose Danko à Rosta. Comme si cette affaire russo-géorgienne ne pouvait souffrir d’une quelconque ingérence. Il n’a donc plus qu’une utilité, l’humour. A lui les répliques sarcastiques et les bons mots dispensés en toute circonstance, même un canon de révolver pointé contre sa tempe. Cela reste sa seule liberté, sa caractéristique première outre une forme d’arrogance qui cache mal un bon fond. Encore que sur ce point, la meilleure réplique viendra de Danko après qu’il ait allongé d’une droite un fort en gueule qui cherchait à le déloger de sa voiture. Dans ce rôle ingrat, James Belushi déploie une belle énergie mais fatigue plus qu’il n’amuse. Le duo qu’il forme avec Arnold Schwarzenegger ne se distingue pas du tout-venant, faute d’une connexion forte. Leur dernière scène a beau jouer la carte de l’amitié, celle-ci apparaît aussi factice que la “toquante à 20 $” qu’Art récupère en gage de fraternité. Seule vraie vedette du film, Arnold Schwarzenegger assure pour deux. Pour les séquences en Russie, Walter Hill le filme comme le T-800, nu et monolithique. A tel point que le doute est permis quant à la nature humaine de l’officier Danko. Celle-ci se révélera, comme par hasard, sur le sol américain où, contraint de délaisser le strict uniforme du KGB, il tentera de se fondre dans la masse, faisant même preuve de compassion à ses moments perdus. Cependant, ce personnage s’inscrit dans la continuité de ceux qu’il a déjà interprété Il reste dans un registre qu’il maîtrise, se rêvant secrètement comme le nouveau Clint Eastwood, nommément cité par Ridzik lorsqu’il remet à son homologue russe un Smith & Wesson modèle 29 de calibre .44 Magnum. Double détente qui par ailleurs s’appuie sur un scénario jumeau d’Un shérif à New York, première collaboration entre Don Siegel et Clint Eastwood dont l’ombre plane décidément avec insistance sur l’ensemble du film. Comme si cela ne suffisait pas, Walter Hill en rajoute une couche en signant un plan miroir lorsque Danko, arme au poing, émerge de la brume à contre-jour en une image crépusculaire évocatrice du retour ambigu de Harry Callahan à la fin du Retour de l’inspecteur Harry. Un petit jeu des citations qui ne plaide pas en faveur du film, finalement aussi quelconque dans son contenu que dans sa confection.

Double détente a permis à Walter Hill de redorer quelque peu son blason aux yeux des exécutifs mais pas de rassurer les adeptes de la première heure. Son cinéma tend à se déliter dans un conformisme paresseux. Il semble préférer servir la soupe à son acteur vedette plutôt que creuser certaines de ses thématiques. L’élément étranger en prise avec un environnement hostile avait su l’inspirer du temps des Guerriers de la nuit ou de Sans retour. Ici, tout reste du domaine de la blague ou du clin d’œil appuyé. Walter Hill ne retrouvera jamais vraiment l’énergie de ses débuts bien qu’il persistera dans un cinéma de la testostérone à l’ancienne.

2 réflexions sur “Double détente – Walter Hill

  • La critique est dure, vraiment dure. C’est mon buddy movie préféré. J’ai pas supporté L’Arme fatale, et ici la relation entre schwarzy et Belushi marche du tonnerre, à l’un les bons mots, à l’autre les bourres pifs. L’un est monolithique et taciturne tandis que l’autre est un moulin à parole. Pour moi les deux se complètent.

    Double Détente est un actioner bourrin et bien viril, comme on en fait plus. Je ne crois pas que Walter Hill ait rendu les armes, au contraire je pense qu’il a retrouvé l’essence même de son film. C’est dommage que la critique ne l’ait pas remarqué.

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    • Patrick

      En effet, c’est l’un des meilleurs film d’action américain des années 80.

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