CinémaHorreur

Cannibal Holocaust – Ruggero Deodato

cannibalholocaust

Cannibal Holocaust. 1980

Origine : Italie
Genre : Horreur
Réalisation : Ruggero Deodato
Avec : Robert Kerman, Gabriel Yorke, Francesca Ciardi, Salvatore Basile…

L’anthropologue Harold Monroe (Robert Kerman) est envoyé dans la jungle amazonienne pour retrouver la trace d’une équipe de reporters dirigée par Alan Yates (Gabriel Yorke), disparue sans laisser de trace en voulant réaliser un documentaire sur les tribus cannibales. Il découvrira leurs ossements ainsi que quelques objets ayant appartenus aux pseudo journalistes et présentement en possession des fameuses tribus. De toute évidence, les reporters furent dévorés. Monroe parvient à donner des gages de sécurité aux indigènes et se voit remettre les bobines du film tournés par Alan Yates et ses amis. Une chaîne télévisée prévoit déjà de retransmettre ces images. Monroe s’y oppose, et somme aux dirigeants de la chaîne de regarder d’abord l’intégralité de ce qu’ils s’apprêtent à montrer…

Que n’a-t-il pas réalisé là, le pauvre Ruggero Deodato ! L’ancien assistant de Rosselini ne devait pas imaginer que Cannibal Holocaust, son second film de cannibales après Le Dernier monde cannibale, allait le mettre sous les spotlights toute sa vie durant, autant négativement que positivement, sinon davantage. Son film lui valut bien des déboires, notamment avec la justice italienne, qui arrêta l’exploitation de son film avant d’arrêter le réalisateur lui-même, lui intimant l’ordre de prouver que ses acteurs n’avaient pas été sacrifiés sur l’autel du réalisme à l’instar des animaux démembrés pour les besoins du métrage. Deodato s’en sorti à bon compte en réunissant son casting occidental, mais il dût faire venir son responsable des effets spéciaux pour expliquer la nature du trucage sur la scène de la fille empalée. C’est que la fille elle-même n’était pas italienne et fut recrutée en Colombie. Par chance, une photo de tournage prouva que la demoiselle était encore en vie après la mise en boîte de cette scène polémique, devenue emblématique de tout le film. Par contre, Deodato ainsi que son scénariste, ses producteurs et son distributeur furent condamnés à quatre mois de prison avec sursis pour cruauté sur les animaux. Le film fut également interdit en Italie, et Deodato du mener une bataille de 3 ans avant de voir l’interdiction levée, moyennant la suppression de quelques scènes. Encore aujourd’hui, le film demeure interdit de séjour dans plusieurs pays. Cet accueil très controversé s’inscrivit comme épitaphe d’un tournage en Colombie lui-même très éprouvant. Entre les acteurs faisant faux bond juste avant les prises de vue, entre ceux qui supportaient difficilement ce que leur demandait Deodato (notamment pour les meurtres d’animaux) et entre les indigènes colombiens qui encouragèrent le réalisateur à sacrifier le petit singe pour mieux pouvoir le manger (dit la légende), l’ambiance ne fut pas au beau fixe. La gestation et le “service après vente” de Cannibal Holocaust annonça donc la polémique que le film lui-même allait susciter.

Et pourtant, dans sa première partie, celle consacrée à l’expédition de sauvetage de Harold Monroe, rien d’exceptionnel n’est à signaler à part peut-être cette lapidation d’une femme adultère. Bien sûr, le réalisme de la jungle naturelle est saisissant, les indigènes semblent crédibles et la vision des ossements recouverts de pourriture dans ce cadre luxuriant (qui fera défaut à bon nombres des avatars du film tournés en Italie) fait son petit effet. Mais au demeurant, il ne s’agit que d’un film d’aventure assez réaliste, et du coup plutôt rébarbatif. Monroe et ses accompagnateurs gèrent la présence des cannibales avec beaucoup de prudence, de respect, et ils s’en sortent très bien. Cette longue fraternisation entre civilisations diamétralement opposées ne sert en réalité qu’à introduire la seconde partie avec contraste. Contraste de l’image tout d’abord, puisqu’à la mise en scène professionnelle de Deodato succède une mise en scène amateur, à coup de caméra 16mm à l’image granuleuse. Celle d’un documentaire amateur, en somme. Contraste surtout au niveau de l’histoire : au lieu de l’approche anthropologique de Monroe, Yates et sa troupe ont préféré l’approche agressive, pleine de mépris pour ces peuplades qu’ils jugent non civilisées, et qui à leurs yeux ne méritent pas le respect. Au nom du sensationnel et d’une possible célébrité, les documentaristes peu scrupuleux investissent un village, violent et massacrent les animaux comme les indigènes. Tout ceci avec hilarité, sous l’œil d’une caméra qui zoome aussi sur les séances rituelles des indigènes, très gratinées (les festins, mais aussi l’accouchement, la fameuse fille empalée…). Le faux reportage atteint un niveau malsain rarement égalé dans les annales du cinéma. Non pas que le film de Deodato n’ait jamais été dépassé en terme de gore et de sexe, mais l’optique même du faux documentaire combiné au réalisme des effets spéciaux (ou du snuff animalier), de la superbe musique de Riz Ortolani, de la jungle et des tribus donnent à ces arrachages de chairs et à ces viols explicites un aspect crapoteux fort marqué.

L’exploitation italienne se trouve ici poussée dans ses limites, elle qui pourtant n’a pas pour habitude de s’interdire grand chose. Heureusement pour Deodato (qui sans cela aurait certainement été brûlé vif par la critique), le film tient un véritable discours, asséné avec une grande violence par des images qui parlent d’elles-mêmes, mais que le réalisateur préfère faire commenter par Monroe face aux futurs diffuseurs du “reportage”. Il s’agit de dénoncer le comportement hautement vaniteux et raciste de notre propre civilisation, prête à exploiter et à écraser tout ce qu’elle juge ne pas être à son propre niveau. La presse au sens large incarne ici toute cette civilisation occidentale dans ce qu’elle a de plus inhumaine, capable de tout pour accrocher un coup sensationnel. Les tribus amazoniennes méconnues sont chosifiées, humiliées, tout comme l’ont été avant elles les populations réduites à l’esclavage. Il n’a en réalité jamais été question d’un reportage : le but du jeu de Alan Yates et de ses amis (tous des salopards selon leurs proches) était bien de prendre du bon temps à martyriser les tribus amazoniennes, leur cadre de vie, de se moquer de leur mode de vie. Le cannibalisme devait n’être que l’élément décisif, vendeur car choquant, leur permettant de passer à la postérité. Le voyeurisme de l’entreprise est flagrant, et les faux reporters n’hésitent pas à filmer les dépeçages d’animaux, à enregistrer leurs camarades en train de déféquer ou de copuler comme des sauvages sur les cendres même de leurs massacres. Le fait même qu’une chaîne ait envisagé de diffuser ces atrocités sans même les regarder au préalable, confiant le sale boulot aux monteurs, condamne d’emblée tout un système hypocrite dissimulant le voyeurisme extrême sous une couverture de “reportage”. Les cannibales ne sont pas ceux que l’on croit : les tribus amazoniennes ne font qu’entretenir le mode de vie qui a toujours été le leur. En revanche, notre occident auto-désigné “civilisé” se nourrit d’un voyeurisme pervers, le plus racoleur possible. Que les cannibales parviennent à se venger de Yates et de ses amis (et de quelles façons !), cela n’est après tout que justice. A l’heure de la télé réalité de plus en plus nauséabonde, à l’heure où les spectateurs disent regarder “L’Île de la tentation” sous l’excuse fallacieuse du “c’est con mais c’est marrant” le propos de Deodato reste encore d’actualité.

Si l’on ne tient compte que du film en lui-même, Cannibal Holocaust mérite amplement son statut de classique. Non pas que son discours soit des plus élaborés, mais la violence avec laquelle il le transmet peut difficilement frapper davantage les consciences. Preuve de la force de son film, Deodato a été lui-même accusé d’hypocrisie. Les tribus qu’il décrit existent réellement, et n’ont pas grand chose à voir avec la vision qu’il en donne. Ce qui valut au réalisateur d’être lui-même taxé de racisme. Un argument hors sujet, puisque contrairement à ses protagonistes, le réalisateur n’a jamais prétendu réaliser un documentaire. Tout juste peut-on donc lui reprocher d’avoir utilisé les vrais noms des tribus. En revanche, il est vrai que les massacres d’animaux auxquels il s’est livré sont condamnables. Non seulement parce que ces actes sont indignes d’un réalisateur, mais aussi parce qu’en ayant recours à ces procédés, Deodato tombe dans la même barbarie qu’il prétend dénoncer. Sans remettre en cause la portée du film, ceci est regrettable. Le réalisateur lui-même avoua sa propre stupidité, et alla même jusqu’à déclarer “regretter d’avoir réalisé le film”. Et pourtant, il s’agit du summum d’une carrière par ailleurs plutôt médiocre.

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