28 jours plus tard – Danny Boyle
28 Days Later. 2002.Origine : Royaume-Uni
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Des activistes écologistes pénètrent dans le centre de recherches sur les primates de Cambridge avec la ferme intention de libérer les pauvres cobayes. Sourds à l’avertissement d’un scientifique les enjoignant à ne pas libérer ces singes auxquels un virus de la rage particulièrement virulent a été inoculé, il commettent l’irréparable. 28 jours plus tard, les trois-quarts de la population britannique ont été touchés. Les rares rescapés se terrent, espérant d’hypothétiques secours. Jim sort du coma à ce moment là, découvrant un Londres vidé de ses occupants. Sur sa route, ils croisent Selena et Mark qui l’affranchissent sur les événements survenus lors du mois écoulé. Désormais, un mot d’ordre prime, survivre. Quoi qu’il en coûte. Après que Mark ait été contaminé, Selena et Jim trouvent brièvement refuge chez Frank et sa fille. Sur la foi d’un message radio faisant état d’un probable vaccin et d’une présence militaire du côté de la ville de Manchester, le père de famille convainc Selena et Jim de les accompagner. Dans leur situation à l’horizon bouché, le moindre motif d’espoir vaut la peine de braver le danger que représentent les contaminés. La pérennité de l’humanité en dépend.
“Quand il n’y a plus de place en Enfer, les morts reviennent sur Terre.” Cette phrase désormais célèbre entendue dans Zombie résume bien la nature de la catastrophe déclinée en une trilogie étalée sur 17 ans par George A. Romero. Le chaos provient d’une absence de repos éternel, lequel se mue en errance infinie mâtinée d’une faim dévorante pour tout être encore vivant. La Grande Faucheuse n’est plus une mais multiple et a le temps pour elle. Les morts-vivants incarnent une mort lente, allégorie de son inéluctabilité. On croit pouvoir leur échapper alors qu’ils finissent toujours par nous rattraper. Cependant, ce qui pouvait encore impressionner au 20e siècle ne semble plus pouvoir suffire au 21e siècle. Cette image de la mort en marche, bien qu’encore prégnante (voir le Resident Evil de Paul W.S. Anderson en 2002) tend progressivement à laisser place à une figure plus véloce, car pas morte sur le plan médical, celle du contaminé. En cela, 28 jours plus tard ouvre une brèche, tout en créant un deuxième courant dans le genre fourre-tout du film de zombies. En un sens, George Romero avait déjà anticipé cette déclinaison possible à l’occasion de La Nuit des fous vivants, à la différence – notable – que ses contaminés conservaient un aspect humain propice à la paranoïa. Rien de tel dans le film de Danny Boyle où il convient que les infectés arborent des faciès repoussants. Ceux-ci sont clairement filmés comme des monstres dépourvus de la moindre once du souvenir de ceux qu’ils ont été, ce qui les rend immédiatement identifiables pour les survivants. Ils incarnent le péril le plus évident du film même si le propos de Danny Boyle et de son scénariste, l’écrivain Alex Garland, tend à élargir la menace à l’humanité tout entière. Car même dans un monde dévasté où l’entraide devrait primer, les instincts primaires de l’homme reprennent vite le dessus, l’amenant à commettre des actes odieux. C’est bien connu, l’homme est un loup pour l’homme et 28 jours plus tard en fournit la parfaite illustration, même si ici, le loup porte plus volontiers le treillis que des vêtements de civils.
Au sein de la carrière de Danny Boyle, 28 jours plus tard sonne comme un retour aux sources. Sa parenthèse américaine pendant laquelle il aura pu réaliser deux films (Une vie moins ordinaire avec son ami d’alors Ewan McGregor puis La Plage, véhicule pour la star montante Leonardo Di Caprio) pour des résultats en deçà des espérances du distributeur, la 20th Century Fox, ne lui aura pas valu que des éloges. Ses retrouvailles avec la perfide Albion ont de quoi surprendre puisqu’il revient à la tête d’un projet bien différent de tout ce qu’il avait pu faire jusqu’à présent. Il faut voir dans ce choix l’influence de l’écrivain Alex Garland, à l’origine du projet et dont les rêves de cinéma se conjuguent au fantastique. Les deux hommes enchaîneront avec Sunshine. Alex Garland passera ensuite à la réalisation avec Ex-Machina puis Annihilation. Pour 28 jours plus tard, l’écrivain a développé son récit autour de réminiscences de ses lectures, en l’occurrence Le Jour des Triffides, roman de science-fiction de John Wyndham qui a paru en 1951 avant de connaître une adaptation cinématographique en 1962 (La Révolte des Triffides). Il reprend l’idée du héros qui se réveille à l’hôpital dans un monde qui n’a plus rien à voir avec celui qu’il a connu. Sauf qu’à la découverte d’une ville envahie par des plantes mortelles et dont les habitants sont devenus aveugles se substitue celle d’une ville dépeuplée, comme si la population avait soudain disparu en laissant tout en plan. Les scènes d’errance de Jim renvoie à tout un pan du cinéma de science-fiction. On pense notamment à Le Monde, la chair et le diable pour la rapide formation d’un trio qui pourrait devenir triangle amoureux, et aussi à Le Survivant pour la manière dont certains rescapés se recomposent un chez eux et par la dangerosité accrue des nuits. A l’immobilisme, Selena et Jim préfèrent le mouvement. Plutôt qu’attendre d’hypothétiques secours, ils continuent d’avancer. S’arrêter reviendrait à renoncer et renoncer à mourir. Selena ne peut concevoir une telle éventualité. Des deux personnages, elle incarne l’élément moteur, celle dont la rage de survivre emporte tout sur son passage. Elle ne dira rien de son passé, ne vivant que pour le présent, quand bien même son horizon apparait des plus bouchés. Jim la suit, hagard. Il émerge d’un long coma pour se retrouver en plein cauchemar. Cette femme qu’il ne connaît pas, et que les événements ne lui permettront pas de connaître davantage, représente son unique planche de salut. Leur relation se noue autour d’un sentiment fort, la solidarité. Selena et Mark viennent en aide à Jim sans arrières pensées, mus par le seul désir de porter assistance à l’un des leurs. Frank n’agit pas différemment lorsqu’il permet à Selena et Jim de se réfugier dans son appartement. S’infuse l’idée que face à cette pandémie, l’union fait la force. Qu’il vaut mieux l’affronter soudés que de manière individualiste. Ainsi, entre visions d’horreur (le charnier dans l’église, l’attaque dans le tunnel) et pauses bucoliques (le pique-nique champêtre, l’observation de chevaux goûtant à leur liberté nouvelle), la première partie du film oscille entre ombres et lumières, désespérance et motifs d’espoir. La seconde partie va plus loin dans la noirceur, sondant les tréfonds de l’âme humaine. En outre, Danny Boyle s’ingénie à montrer l’envers du décor, que derrière un élan de solidarité peut se cacher des intentions peu louables.
Dans son deuxième acte, 28 jours plus tard prête en quelque sorte allégeance à la vision pessimiste de George Romero. Une vision néanmoins pas totalement assumée puisque un épilogue lumineux, et tourné en 35mm par opposition à l’image numérique de l’ensemble du métrage, agit comme une bouffée d’oxygène. Oui, il est encore possible de maintenir sa confiance dans les autorités, celles-ci ne pouvant se résumer au seul Major Henry West. Cette conclusion qui tranche à plus d’un titre avec l’ambiance anxiogène du reste du film n’était pas celle envisagée au départ. Tout le deuxième acte a d’ailleurs connu des bouleversements puisqu’il était au départ question de scientifiques et non pas de militaires. Cependant, les principaux changements ont trait au parcours de Jim, lequel pouvait s’apparenter, dans sa première version, à un parcours christique. Sa sortie du coma équivaut à une résurrection et les actions qui s’ensuivent à un combat pour racheter l’homme et l’extirper de l’esclavage et du pêché. Une servitude de l’homme à ses plus bas instincts qui confinent à la sauvagerie et le pêché de chair dans sa perception la plus littérale, autrement dit le cannibalisme auquel le virus les pousse. Sauveur, Jim le reste dans la version définitive mais de manière à la fois plus ambigüe et plus restreinte. C’est en se rapprochant de l’état de sauvagerie des contaminés qu’il parvient à affronter les hommes du Major, lesquels ont aussi pour la plupart renoncé à une part de leur humanité. Il ne suffit pas de se reconstituer un semblant d’habitat avec tout le confort possible (les produits d’électro-ménagers s’amoncellent dans le bureau du Major) pour revendiquer le maintien des fondements de la société. Le Major demeure un galonné qui souhaite avant tout conserver son ascendant sur ses hommes. Pour cela, il se montre ouvert à la moindre compromission susceptible de le maintenir dans son autorité, quitte à bafouer les règles de la bienséance et du consentement. En agissant ainsi, il se convainc d’agir pour le bien de l’humanité, d’œuvrer pour sa perpétuation alors qu’il ne fait qu’ajouter au chaos ambiant. Avec la complicité de Christopher Eccleston, Alex Garland et Danny Boyle se gardent bien de verser dans le manichéisme le concernant. Le Major sait se montrer charmant et d’un calme olympien, même lorsqu’il s’agit de jeter Selena et Hannah en pâture à ses hommes. Cela ne le rend que plus glaçant. Malgré l’environnement champêtre du manoir, le dernier acte devient suffocant à mesure que les soldats en présence perdent leur sang froid pour s’achever dans l’horreur pure. Pour inconfortable qu’elle ait pu être jusque là pour l’œil du spectateur, la réalisation heurtée de Danny Boyle, qui fort d’un matériel léger et maniable filme sur le vif à la manière des reporters de guerre, prend alors toute son ampleur. Par son sens du cadrage et l’excellent travail du directeur de la photographie dans l’accentuation des contrastes, la “revanche” de Jim devient un film d’horreur à part entière, un jeu de cache-cache mortel d’où le danger peut jaillir de toutes parts.
Pour sa première et jusqu’à présent unique incursion dans l’horreur, Danny Boyle frappe fort. Son coup d’essai relance durablement le film de zombies alors même que 28 jours plus tard n’en est pas un à proprement parler. C’est là tout le paradoxe d’un film qui sans s’affranchir pleinement de ses multiples influences tend à apporter un vent de fraîcheur et de liberté. Danny Boyle s’est lancé dans l’aventure avec un vrai souci de la cohérence, même si celle-ci se heurte à quelques écueils pourtant aisément évitables. Compte tenu de la grande contagiosité du virus, les divers massacres de contaminés dans des gerbes de sang lorsque les personnages ne disposent d’aucune protection ou Jim et Selena qui s’oublient dans un geste romantique déplacé alors que leurs visages sont recouverts d’hémoglobine peuvent prêter à sourire. Cela étant dit, 28 jours plus tard marque les esprits par le sens du visuel de Danny Boyle et son approche coup de poing. Alors qu’on le pensait rentré dans le rang, le réalisateur britannique imprime sa marque au genre. Tel le sillage de cet avion que Jim aperçoit dans le ciel, signe d’une vie à l’extérieur de l’île, 28 jours plus tard vient rappeler la vivacité d’un réalisateur qui bien qu’inégal, peut se montrer capable de belles fulgurances.