20 ans d’écart – David Moreau
20 ans d’écart. 2013.Origine : France
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Guerre de succession dans les arcanes du magazine féminin Rebelle. Sur le départ, son directeur Vincent Khân (Gilles Cohen) a le choix entre deux candidates, la délurée Lise Duchêne (Amélie Glenn) ou la trop sérieuse Alice Lantins (Virgnie Efira). Sa préférence tend vers la première jusqu’à ce qu’il apprenne qu’Alice sort avec un jeune homme de 20 ans plus jeune qu’elle, Balthazar Apfel (Pierre Niney). Cataloguée Milf, Alice devient subitement plus intéressante à ses yeux car plus en phase avec la société. Sauf qu’Alice joue la comédie, feignant d’être amoureuse d’un jeune homme qu’elle n’avait au préalable croisé que le temps d’un vol Rio-Paris, seule astuce qu’elle a trouvée pour atteindre son Graal. Mais si finalement Balthazar était l’homme de sa vie ?
Ah, la comédie romantique ! Voilà un genre aux ficelles éculées et pourtant inusables qui régulièrement accouche d’un rejeton à même de réveiller le romantisme qui sommeille en chacun de nous, le plus souvent grâce à l’alchimie du couple vedette, Audrey Hepburn-Cary Grant hier (Charade), ou plus récemment Julia Roberts-Richard Gere (Pretty Woman) ou la même avec Hugh Grant (Coup de foudre à Notting Hill). Les règles sont tellement établies que même l’ajout d’un humour trash par une nouvelle génération de réalisateurs (Judd Appatow et sa clique : En cloque mode d’emploi, Sans Sarah rien ne va!) n’en altère en rien le déroulement attendu. La France n’est pas en reste, tentant elle aussi de rafraîchir la formule sous le patronage d’une ribambelle de comédiens issus de la télévision et de la scène. 20 ans d’écart s’inscrit pleinement dans cette lignée là, et offre la particularité d’être signée David Moreau, réalisateur jusque là plus axé sur l’horreur avec son complice Xavier Palud (Ils, The Eye), et dont on se demande quelle touche personnelle il va bien pouvoir apporter.
L’époque et les mœurs changent, pas la comédie romantique. Imperturbablement, elle exhale son parfum de conformisme, érigeant le couple comme l’unique idéal à atteindre. C’est d’ailleurs peu ou prou le discours que Elisabeth tient à sa sœur Alice, ne ménageant pas ses efforts pour lui trouver un mec. La vie de couple, Alice a pourtant déjà donné. Divorcée et mère d’une petite fille (un peu boulotte, d’ailleurs, elle devrait mieux surveiller son alimentation), elle a décidé de mettre sa vie sentimentale entre parenthèses au profit de sa carrière. N’en déplaise à ces messieurs, Alice est parfaitement autonome et sait ce qu’elle veut, au point de s’abaisser à de vils subterfuges pour obtenir son dû. Il en va ainsi du monde du travail, toujours aussi impitoyable, même auprès des plus méritants. Le point de départ “comique” n’est pas sans évoquer Le Placard de Francis Veber, film dans lequel François Pignon devait feindre l’homosexualité pour conserver son emploi. Alice devra quant à elle jouer les amoureuses transies d’un jeune étudiant en architecture, gagnant ainsi ses galons de Milf (littéralement, Mother I Like to Fuck). Pourquoi un jeune homme ? Parce que selon son patron, elle ne doit pas véhiculer une image plan-plan de la femme. Elle se doit de faire rêver les lectrices qui, paradoxalement, ne la connaîtront jamais qu’au travers de sa plume et de la ligne éditoriale qu’elle impulse au magazine. On peut donc résumer la pensée de Vincent Khân par le simpliste “dis-moi comment tu écris, je te dirai qui tu es”. Une manière de nier tout professionnalisme au personnage d’Alice, qui serait par conséquent infichu de sentir l’air du temps et de se plier aux contingences de son métier. L’ironie de l’histoire réside dans le caractère finalement très gentillet de sa relation avec Balthazar, peu à même de contenter les amateurs en détails croquignolets.
Balthazar est l’archétype du bon gars un peu gauche dont la désarmante candeur aura raison des ultimes réticences d’Alice. Un jeune homme un peu falot dont la seule fantaisie consiste à circuler au guidon d’un scooter rose. Et encore, pas de son plein gré, le bougre s’étant fait abuser par la photo en noir et blanc de l’annonce ! Vous ne trouvez pas ça drôle ? Il faudra pourtant vous en contenter car le film s’avère plutôt avare en gags, sacrifiant tout à sa romance à l’eau de rose. A défaut de situations comiques, la différence d’âge entre les deux protagonistes pose la question de la place des femmes dans notre société et la vision archaïque que nous pouvons encore avoir d’elles. Ainsi, au couple Alice-Balthazar vu comme subversif s’opposent les couples formés par Luc Apfel et l’une des amies de lycée de son fils ainsi que celui de l’ex d’Alice avec une presque trentenaire, suivant l’idée qu’il est plus acceptable de voir un homme d’âge mûr en ménage avec une jeune femme qu’une femme mature avec un jeune homme, dialogues à l’appui. En somme, 20 ans d’écart se propose de bousculer certaines idées reçues tout en en perpétuant d’autres sans une once de finesse. Au fond, sous couvert de ruer – gentiment – dans les brancards, ce film nie le droit au personnage d’Alice de vivre comme elle l’entend, sous-entendant que son attitude un peu distante n’est mue que par une seule chose : l’absence d’un homme dans sa vie. Certes, c’est le jeu des comédies romantiques que de mettre en présence des caractères opposés pour les lier à la fin. Sauf qu’on serait en droit d’espérer, au 21e siècle, des romances un peu moins cul-cul la praline que celle-ci. De voir des femmes assumer une envie de sexe sans pour autant la relier à un besoin d’amour, par exemple. D’autant qu’on ne croit pas des masses au coup de foudre qui unit Alice à Balthazar. Les acteurs ne sont pas en cause. Virginie Efira est plutôt bonne (l’équivoque de la formulation me paraît fort à-propos), confondante de naturel en toute circonstance. Quant à Pierre Niney, il s’en sort plutôt honorablement dans son rôle de jeune premier à la maladresse touchante. Leur rapprochement s’effectue néanmoins de manière trop mécanique, à l’image de leur rencontre aérienne fortuite à l’aune d’un déclassement improbable. Il en va de même de certains rebondissements, comme les excuses malvenues de Simon (l’ami qui convainc Alice de se lancer dans cette comédie) envers Balthazar. Tout cela ôte beaucoup de légèreté à leur idylle et à ses soubresauts, laquelle n’en devient que plus quelconque.
Si 20 ans d’écart remplit le cahier des charges, il le fait sans génie. En outre, la charge pachydermique contre la superficialité qui règne dans une rédaction de magazine féminin n’apporte pas la touche d’humour escompté. Le film navigue plus souvent dans le grotesque que dans la satire. Résultat, l’incursion de David Moreau dans l’univers de la comédie romantique n’a pas débouché sur une franche réussite. Et depuis, le bonhomme a quelque peu disparu de la circulation, comme orphelin de son compère, lequel a trouvé refuge sur des productions prestigieuses à la télévision (Braquo).