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Le Village qui s’amenuise – Corbeyran & Balez

Le Village qui s’amenuise. 2004

Origine : France
Genre : Fantastique, science-fiction
Dessins : Balez
Scénario : Eric Corbeyran
Editeur : Dargaud

 

Depuis ses débuts de scénariste pour bandes dessinées en 1990, Eric Corbeyran ne s’arrête plus d’écrire. Véritable stakhanoviste, il s’épanouit autant dans des registres doux amers (L’As de pique, Le Cadet des Soupetard) qu’au sein de récits plus sombres et violents (Le Chant des Stryges, Le Maître du jeu, Le Régulateur). Dès son entame, Le Village qui s’amenuise se classe clairement dans la première catégorie, en dépit d’un élément déclencheur digne d’un sordide fait divers.

En 1950, une violente et soudaine explosion trouble le sommeil des habitants du village de Saint-Pol-En-Avoinie. Intrigués, ils se rendent tous sur les lieux, n’y découvrant rien d’autre qu’un trou immense sur lequel plane une odeur pestilentielle. Une cinquantaine d’années plus tard, à la suite d’une altercation autour d’une clôture cassée, Paul prend un coup de sang et tue Pierre, son voisin. Suite à quoi Huguette, l’épouse du macchabée, demande des comptes à l’assassin, lui réclamant une partie de son terrain en échange de son silence. Or il apparaît que le terrain de Paul aurait déjà été réduit de moitié, ce que ce dernier ne manque pas de faire remarquer à Huguette, l’accusant elle et sa famille d’avoir procédé à un sournois déplacement de la clôture. N’étant pas décidée à se laisser marcher sur les pieds, Huguette mandate un géomètre pour en avoir le cœur net. Et la réponse ne tarde pas à tomber : tous les terrains environnants rétrécissent irrémédiablement !

Le Village qui s’amenuise est une drôle de bande dessinée dont la finalité nous échappe tout au long de sa lecture. La dédicace qui l’ouvre –Eric Corbeyran la dédie à son père– prend valeur d’indice. Il se pourrait qu’avec cette histoire, l’auteur souhaite rendre hommage à tout un monde qui a bercé son enfance. Or, dans les diverses biographies que l’on peut trouver sur lui, il n’est nullement fait mention d’une enfance passée à la campagne. En outre, la description qu’il fait du monde rural se veut volontiers caricaturale. Passons sur le drame initial, tristement plausible. Il suffit de lire la page des faits divers de n’importe quel journal local pour savoir qu’une issue aussi dramatique, corollaire d’un motif particulièrement futile, apparaît tout à fait envisageable. Par contre, la cupidité des paysans est ici poussée à son extrême, entre un Paul nullement embarrassé par le crime qu’il vient de commettre, et une veuve bien plus préoccupée à marchander un bout de parcelle qu’à pleurer son mari. Il n’y a d’ailleurs aucun personnage franchement sympathique dans cette histoire, ni même un personnage principal. A la rigueur, Paul pourrait briguer ce statut compte tenu du rôle non négligeable qu’il joue dans la révélation de l’étonnant phénomène qui touche Saint-Pol-En-Avoinie. Cependant Paul, comme Huguette ou le Marquis, ne sert qu’à apporter une touche de pittoresque à un récit qui par ailleurs n’exploite pas suffisamment son postulat fantastique.

A la noirceur des événements et des sentiments dépeints (meurtre, cupidité, adultère), Eric Corbeyran oppose un traitement des plus inoffensifs. L’illustration du corps sans vie de Pierre –un trou gros comme un boulet de canon d’où n’émerge aucune goutte de sang à la place de son ventre– atteste d’une approche volontairement grand public. Et il en va ainsi tout du long. Le rapprochement des maisons en une structure à l’équilibre aussi précaire qu’improbable aurait dû contribuer à exacerber les tensions sous-jacentes entre les villageois, à l’image des rapports orageux qu’entretiennent Paul et Huguette. Or Eric Corbeyran choisit de relater cet événement sous le prisme de l’anecdote inoffensive (une jeune femme sort de la douche et va chercher ses vêtements qui sèchent dans la salle de classe) ou en désamorçant toute ébauche de tension liée justement à cette proximité inédite (accusé à tort de tentative de viol sur la personne d’une enfant, le fada du village échappe au lynchage populaire, le Marquis parvenant un peu trop aisément à calmer les esprits). Finalement, et même si le texte évoque « une écrasante majorité acceptant difficilement de vivre les uns sur les autres » qui ne se vérifie que fort peu dans son illustration, les villageois font preuve d’une grande capacité d’adaptation.

En fait, il n’émane aucune réflexion de cet événement surnaturel expédié en une dizaine de pages (sur une soixantaine), qui s’avère n’être que le fruit d’expériences entreprises à des fins militaires. Le final ensoleillé donne la sensation d’un léger plaidoyer pour un retour à un monde rural plus chaleureux et accueillant. Toutefois, en dépit de dessins agréables qui par le trait simple et clair de Balez contribuent à la tonalité gentillette de l’ensemble, Le Village qui s’amenuise dispense une forte sensation d’inutilité.

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