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Zodiac – David Fincher

zodiac

Zodiac. 2007

Origine : Etats-Unis 
Genre : Policier / Thriller 
Réalisation : David Fincher 
Avec : Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Anthony Edwards, Robert Downey Jr…

Après avoir un instant fait partie de la prestigieuse compagnie d’effets spéciaux de Georges Lucas, Industrial, Light and Magic, David Fincher fait ses premières armes à la réalisation avec le très sombre et très réussi Alien 3. Si son talent et la virtuosité de sa mise en scène sont déjà remarqués avec ce premier film, ce n’est réellement qu’avec le célèbre Seven que Fincher connaît la gloire. Non content d’être un succès critique et public, le film a révolutionné le genre du thriller et a enfanté d’une série de copies de qualité parfois plus que douteuse. Et voici donc que 11 ans et trois films à succès plus tard, Fincher semble revenir à ses « premières amours » en réalisant une autre histoire de serial killer : Zodiac.

Le film suit l’enquête d’un caricaturiste, Robert Graysmith, obsédé par le tueur et la quête de vérité. Il est prêt à tous les sacrifices pour découvrir l’identité du tueur.
Le « Zodiac Killer » et Graysmith ont réellement existés. Le tueur du Zodiac sévissait dans la Californie du début des années 70 et répandait la terreur en se vantant de ses meurtres via des lettres, garnies de mystérieux codes secrets, adressées à la presse. Il n’a jamais été capturé et le nombre de ses victimes demeure encore inconnu à ce jour.

 

Cependant Fincher est bien loin d’y appliquer à nouveau la même recette que pour Seven. Au contraire, là où Seven brillait par une ambiance glauque, par une intrigue vicieuse et par des scènes chocs (souvenez-vous la scène de la paresse ! ), Zodiac adopte une approche très réaliste et beaucoup plus sobre. Le sujet s’y prête mieux, et le propos de Fincher n’est plus de nous faire frissonner en créant une ambiance morbide, mais en nous montrant les faits de la manière la plus réaliste possible. Les premières minutes donnent immédiatement le ton, avec le sempiternel message nous avertissant que les faits décrits dans le film se sont réellement passés. Mais alors que ce type de message n’est bien souvent qu’un procédé publicitaire abusivement utilisé par les producteurs, il prend au contraire tout son sens dans ce cas précis. En effet, bien qu’adapté d’un roman (Zodiac unmasked : the identity of America’s most elusive serial killer revealed de Robert Graysmith, contemporain de l’enquête, et incarné par Jake Gyllenhaal) le film de Fincher a pour ambition de coller le plus près possible aux faits et de limiter la part d’interprétation. Aussi Zodiac est finalement moins le portrait du tueur éponyme que le récit d’une enquête. A ce titre le scénario se révèle réellement passionnant à suivre. Très documentée, conduite avec talent, l’histoire tient vraiment le spectateur en haleine, et ne le perd jamais malgré le grand nombre de pistes et de personnages. Fincher pousse même le vice à jongler entre trois points de vues différents : celui de l’inspecteur David Toschi, celui du journaliste Paul Avery et enfin celui de Robert Graysmith, le dessinateur de presse. Chacun apportant de nouveaux éclaircissements à l’enquête.

Le film se divise en deux segments distincts. Le premier nous décrit l’enquête menée par la police jusqu’à son abandon et l’intérêt qu’y porte la presse. Le second se concentre plus sur l’enquête personnelle que mène Graysmith. Si la seconde moitié du film perd en intensité et se révèle un petit peu moins passionnante que le début du film, elle est néanmoins importante dans la description de la fascination que suscitent les tueurs en série sur la population. Fascination largement entretenue par une presse partagée entre la dénonciation de l’horreur et l’envie de vendre plus. Le personnage de Paul Avery et à ce titre très intéressant à suivre. A la fois conscient de l’importance du rôle social qu’il joue en écrivant ses article, il n’hésite cependant pas à en rajouter et à se réjouir des déclarations du Zodiac. Et finalement, il est autant, sinon plus, fasciné par le tueur que ses lecteurs.

Cette relation tueur/presse/public est parfaitement incarnée par l’affaire du Zodiac et son tueur qui envoie lui-même les lettres à la presse, et s’attribue un surnom mystérieux… (ce qui est en général à l’initiative de la presse, qui cherche alors le sobriquet le plus évocateur pour –à nouveau- vendre le plus possible) Le tueur a parfaitement compris l’avantage qu’il pouvait tirer des journaux, dans le but qu’il recherche. Selon la majorité des psychologues qui étudient ceux qu’on appelle les « tueurs en série », leur motivation est souvent à lier à une quête d’un pouvoir, d’une position de supériorité. Comment enlever cela au tueur du Zodiac, qui raille la police via les journaux les plus vendus ? En faisant cela il veut se positionner au dessus des forces de police qui le pourchassent. Un autre aspect de cette quête de pouvoir, est l’usage du masque ou du déguisement : non pas lors du meurtre, mais au contraire lors de la vie civile, où le tueur se fait passer pour un individu normal. Il s’agit du fameux « masque de la santé mentale ». Qui revêt à la fois un aspect de dissimulation (ne pas se faire repérer comme tueur) mais également de manipulation. Le tueur jouant ainsi une sorte de “rôle” lui conférant une position d’autorité. Ces aspects sont très présents dans le cas du tueur du Zodiac, son goût pour la mise en scène et pour la dissimulation, la manière dont il semble se jouer des policiers et du public, et la jouissance qu’il en tire, sont très bien décrits dans le film. Notamment au travers de cette fantastique scène d’interrogatoire d’un des suspects, scène qui regorge de symboles. Citons aussi cette scène de meurtre où le Zodiac apparaît dans le déguisement saisissant qui a participé à sa renommée (avec le sac sur la tête et le symbole de viseur sur la tunique).

Et finalement le tueur utilise là une image forte pour parvenir à ses fin, de la même manière que les médias utilisent les images fortes. Signalons à ce titre le passage où sont cités L’Inspecteur Harry (tourné 4 ans après les meurtres du Zodiac, et qui s’en inspire) et Les Chasses du comte Zaroff : Fincher fait ici bien plus que nous montrer sa cinéphilie via des références (bien que ce soit également le cas, Bullit est également cité dans le film) et nous invite à une réflexion sur l’utilisation des images pour faire passer un message, et leur portée dans l’imaginaire collectif. Utilisant ces films comme une mise en abîme, Fincher nous interroge aussi sur la fascination que nous éprouvons pour ces tueurs. Les films concernant les tueurs en série sont légions et marchent en général bien au box office, surtout quand ils versent dans les excès gores (il suffit de voir le récent succès des Saw, ou de… Seven ! ). Cependant Zodiac est loin d’adopter les mêmes méthodes. Le film ne comporte aucune scène véritablement “choc” et base son intrigue sur les dialogues et les personnages. Personnages qui d’ailleurs subissent la même fascination que les spectateurs.

La fascination pour cette affaire affectera à différents niveaux les personnages, mais le Zodiac finit par tous les traîner dans son sillage. Le film dresse ainsi plusieurs portraits tous très réalistes. Et on voit comment cette affaire finit par détruire un peu plus tous les personnages, Avery s’enfonce dans la drogue et l’alcool, Graysmith s’aliène sa famille… Les acteurs sont tous excellents et parviennent très bien à retranscrire les personnalités des personnages. A ce jeu, Robert Downey Jr. notamment, se révèle tout particulièrement brillant. Signalons aussi l’intelligence de la mise en scène de Fincher, notamment lors du plan où on voit Bill, le coéquipier de Toschi, se retirer de l’enquête et rejoindre sa femme. En un seul plan en apparence simple Fincher sous-entend toutes les tensions qu’ont fait naître l’affaire à l’intérieur du couple, sans avoir eu besoin de nous les montrer auparavant. Très habile. Tout le film se caractérise par cette mise en scène sobre mais qui vient toujours appuyer le propos avec justesse.

Mais si Fincher s’attache surtout à nous montrer le déroulement de l’enquête et son effet sur ses protagonistes, il n’en oublie pas le tueur, et les scènes de meurtres justement sont parmi les plus réussies. Elles interviennent toutes dans un contexte différent, et mettent en œuvre un modus operandi différent, mais se caractérisent toutes par leur brutalité et leur froideur. En évitant habilement les redondances dans ce domaine, Fincher concrétise la menace que représentait le tueur à l’époque en quelques scènes vraiment efficaces. De la même manière que le tueur hypnotisait toute la Californie, le film hypnotise ses spectateurs. Aussi, non content d’impliquer le spectateur dans son enquête, le réalisateur l’immerge aussi dans une époque. La crainte et la fascination pour le Zodiac dans la Californie du début des années 70 étaient bien réelle et Fincher nous la fait ressentir. Il est d’autan plus attaché à montrer cela qu’il l’a vécu. David Fincher a grandit en Californie lorsque le tueur y sévissait. Cette immersion se traduit également par les costumes, les voitures utilisées dans le film, et par quelques plans aériens virtuels nous montrant le San Francisco des 70’s.

Zodiac est un film incroyablement dense en réalité, mêlant quantités de personnages, d’hypothèses, de possibilités d’interprétations quant aux erreur de l’enquête, à la personnalité du tueur. Il y a matière à discuter sur la reconstitution de l’époque, sur les personnages, leur manière de réagir face à l’affaire… Mais malgré sa longue durée et sa densité, Zodiac tient de l’épure, à la fois dans sa mise en scène que dans son scénario. La mise en scène d’abord, fait la part belle à l’ellipse. Fincher ne nous montre chaque fois que l’essentiel, et ne revient jamais sur ce qu’il a montré. Le film suit ainsi un rythme finalement assez soutenu, gavant le spectateur d’informations passionnantes qui ont toutes leur importance. Impossible d’ôter ne serait-ce qu’une seule scène sans handicaper la compréhension de l’histoire. Ensuite le scénario ne pouvait évidemment pas retranscrire fidèlement tous les documents auxquels le réalisateur et son équipe avaient eu accès. Fincher a suivit tout le parcourt du tueur avec plusieurs des enquêteurs originaux, il a compulsé 10 000 pages de rapports et documents accumulés en trente ans, il a eu accès a bon nombre d’interview de personnes ayant joués un rôle à l’époque… Impossible d’utiliser toute cette documentation dans un seul film.

Finalement, à la fois par le réalisme du projet, par sa richesse et par les thématiques abordées, Zodiac nous évoquerait presque un roman de James Ellroy. En effet, le tueur en série est une figure récurrente de ses romans, lesquels sont toujours très documentés et réalistes ; enfin Ellroy est contraint de tailler dans ses phrases pour condenser ses enquêtes, leur donnant ainsi cet aspect nerveux et riche qui caractérise bien le scénario de Zodiac. Cette comparaison est d’ailleurs d’autant plus pertinente quand on sait que Fincher a été un instant envisagé pour réaliser l’adaptation du Dahlia noir avant qu’elle n’échoit à Brian de Palma.

Bref, Zodiac est un Fincher à la mise en scène beaucoup plus sobre qu’à l’accoutumée, mais en aucun cas un film moins intense. Sa narration est bien menée, le scénario est efficace et l’interprétation est de qualité, il n’y a aucune raison de ne pas voir en Zodiac un excellent film sur les tueurs en série, à la fois intéressant et novateur.

Une réflexion sur “Zodiac – David Fincher

  • Petite anecdote. Pour Seven, j’ai mis longtemps avant de comprendre le châtiment pour le péché de la luxure. La photo montrée par le vendeur ne me disait rien, et il m’a fallu plusieurs visionnages pour comprendre ce qu’il s’était passé. Ce qui donne une révélation qui vous dresse les cheveux sur la tête, quant au sort infligé à la prostituée.

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