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Un coin tranquille à la campagne – Elio Petri

cointranquillecampagne

Un Tranquillo posto di campagna. 1969

Origine : Italie / France 
Genre : Fantastique 
Réalisation : Elio Petri 
Avec : Franco Nero, Vanessa Redgrave, Gabriella Grimaldi, Georges Géret…

Pour remédier à une panne d’inspiration, le peintre à succès Leonardo Ferri (Franco Nero) quitte son appartement de Milan pour aller vivre dans un manoir abandonné à la campagne, avec pour seule compagnie une servante et le frère de celle-ci. Sa petite amie Flavia (Vanessa Redgrave, madame Nero à la ville) reste à Milan pour gérer comme à son habitude toutes les affaires courantes de Leonardo, lui permettant de se concentrer uniquement sur son art. Il s’y concentrera tellement qu’il en perdra petit à petit la raison…

En cette fin de sixties marquée par l’évolution artistique, Elio Petri choisit de suivre le mouvement et de faire un véritable film avant-gardiste, aussi abstrait que le sont les peintures de son personnage principal. Et pour cause : la quasi intégralité du film est vue à travers l’esprit tourmenté de Leonardo. Le générique de début est lui-même marqué par cette forme bizarre qui finalement restera typique de la fin des années 60. Quant à la musique de Morricone, elle s’apparente davantage à des bruitages qu’à de la musique, avec cette espèce de son récurrent, sorte de corne de brume bouchée ou de bruit de mobilier traîné par terre. Il va sans dire qu’en suivant l’esprit de son principal protagoniste, Petri prend des libertés avec sa narration. La linéarité ne l’intéresse pas, et il se plait à désorienter le spectateur en contredisant par l’image ce qui avait été montré quelques minutes auparavant. C’est ainsi qu’un décès n’est pas une chose définitive ou qu’une agression peut être démentie quelques instants après avoir été commise. La réalité est une donnée subjective, et dans son petit coin tranquille à la campagne, Leonardo se construit son propre monde. Il repeint les arbres en rouge, il badigeonne de peinture tout ce qui lui tombe sous la main (ou le pied), il fouille les recoins perdus du manoir, découvrant des pièces luxueuses autant que des trous à rat. Petri s’amuse visiblement beaucoup et laisse libre court à ses inspirations graphiques. Mouvements de caméra bizarres, montage désordonné, séquences oniriques surréalistes… Le manoir devient véritablement la représentation de l’esprit d’un artiste embrouillé, venant à mélanger de façon confuse son art et la légende qui lui est racontée, celle de Wanda (Gabriella Grimaldi), une jeune comtesse nymphomane abattue lors d’un raide de l’aviation anglaise durant la guerre. L’esprit de Wanda se manifeste auprès de Leonardo dans des scènes érotiques très furtives faisant écho aux lectures du peintre, qui trouve son inspiration avec des magazines érotiques de type Playboy. Pour parfaire ses connaissances, Leonardo contacte les anciens amants de la comtesse (ce qui donne lieu à de nombreux flash backs incertains venant achever ce qui restait de continuité temporelle), et se déplace même jusqu’à Venise pour parler à la mère de Wanda, vieille folle solitaire. Connaître Wanda devient une obsession pour Leonardo, et un peu à l’instar de Jack Torrance dans Shining, il verse petit à petit dans une folie psychopathe en compagnie de l’esprit de la comtesse. L’aspect “maison hantée” est indéniablement présent, comme le prouvent par exemple les assauts de la maison à l’encontre de Flavia ou encore cette séance de spiritisme, mais il passe au second plan. Puisque tout est perçu à travers l’esprit de Leonardo, il n’y a pas vraiment de raison de voir ces manifestations comme étant autre chose que des hallucinations. Ce qui n’empêche pas le film de prendre de temps à autre des allures aussi inquiétantes que comiques. L’audace visuelle dont fait preuve Petri y est pour beaucoup, provoquant le malaise. Notons l’excellente prestation de Franco Nero, qui parvient à retranscrire la folie de son personnage sans pour autant sombrer dans le ridicule.

Derrière ces exubérances qui demandent toutefois un temps d’adaptation de la part du spectateur se cache en réalité une vision assez pessimiste du métier d’artiste. Le film démarre d’ailleurs par la critique de la société de consommation (le film n’est donc pas soixante-huitard que sur le plan formel), perçue comme un frein à la liberté créatrice. Les placements, les ventes, la publicité, autant de domaines nécessaires à la vie de l’artiste, mais qui ne lui inspire que peur et mépris. Ainsi Leonardo fait-il un cauchemar dans lequel il se voit assassiné par sa femme et manager, alors que celle-ci lui énumère ses achats du jours. Se retrancher à la campagne peut faire office de salut. Mais l’inspiration est belle et bien morte, et le syndrome de la toile blanche ne se dément pas. Se pencher sur Wanda n’est en fin de compte qu’une excuse pour ne plus se concentrer sur le travail. La société de consommation aura au final eut raison de l’artiste, jusqu’à exploiter commercialement sa folie. Son escapade n’aura été qu’une illusion de liberté créatrice, le contrôle de son œuvre ayant été présent quoique dissimulé tout du long.

Petite pause dans la filmographie politique de Elio Petri, Un Coin tranquille à la campagne est un film amusant, un exercice de style conservant un peu du mordant habituel de son réalisateur, qui y évoque avec pessimisme les relations tumultueuses entre l’art brut et les pressions extérieures (commerciales principalement).

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