CinémaHorreur

The Ghoul : Le Fantôme vivant – T. Hayes Hunter

ghoul

The Ghoul. 1933

Origine : Royaume-Uni
Genre : Horreur
Réalisation : T. Hayes Hunter
Avec : Boris Karloff, Cedric Hardwicke, Ernest Thesiger, Dorothy Hyson…

Parce que sa carrière s’est majoritairement déroulée aux États-Unis, on a un peu trop tendance à oublier que William Pratt, alias Boris Karloff, est né et est toujours resté citoyen britannique. L’adoption d’un pseudonyme à la sonorité aussi cinglante ne fut pourtant pas uniquement due au genre de rôles confiés à un acteur au physique aussi atypique, embauché pour jouer des rôles de brutes ou de monstres. C’est aussi une marque d’humilité de la part d’un homme qui craignait que son image ne vienne entacher la réputation d’une famille restée au Royaume-Uni pour s’y occuper de tâches diplomatiques à haut niveau (un de ses frères a même été anobli !). Du reste, ayant franchi l’Atlantique dès 1909, Karloff ne devait plus retourner au pays avant 1933, pour y tourner The Ghoul mais aussi pour y retrouver sa famille, et y découvrir que tout compte fait, ses frères étaient plutôt fiers de sa carrière au cinéma. Il put donc tourner The Ghoul la tête haute, d’autant plus qu’il s’agissait du premier film d’horreur parlant du cinéma britannique. Une pièce de collection qui disparut pendant longtemps, à tel point que les historiens du cinéma la considérèrent comme perdue jusqu’à ce qu’une copie tronquée et en très mauvais état ne soit retrouvée à la fin des années 60 en Tchécoslovaquie communiste. Destinée avant tout à un public de spécialistes, cette version était inexploitable dans un marché plus large. Ce n’est qu’au début des années 80 qu’une version intégrale et en bon état de préservation fut retrouvée dans une salle perdue des studios Shepperton, permettant ainsi une remasterisation faisant apparaître ce film, autrefois considéré comme définitivement perdu, sous un nouveau jour.

Sur son lit de mort, l’excentrique égyptologue qu’est le professeur Morlant (Boris Karloff) insiste pour que sa dépouille soit placée dans son sarcophage munie de la “Lumière éternelle”, un joyau obtenu dans le pillage d’une tombe égyptienne et qui est censé ouvrir les portes du paradis au défunt. Morlant prévient son domestique Laing (Ernest Thesiger) que le non respect de cette requête le fera revenir d’entre les morts pour châtier les coupables. Comme de bien entendu, Laing n’en fera qu’à sa tête, et subtilise le joyau durant les funérailles. Sachant pertinemment qu’il n’était pas le seul sur les rangs, il le dissimule dans le manoir avant que tout le monde ne vienne investir la demeure. Un notaire, un curé, un égyptien, deux héritiers (et une amie), le domestique… Voilà les gens rassemblés chez Morlant la nuit où celui-ci vient se venger de l’affront subi.

Officiellement basé sur un roman de Edgar Wallace, The Ghoul n’est en fait qu’un décalque des films d’épouvante de la Universal. La présence de Karloff parle d’elle-même, d’autant qu’il restait sur le succès de La Momie qui donne au film de T. Hayes Hunter ses bases mythologiques égyptiennes. Ajoutons que le casting contient entre autre Ernest Thesiger, qui toujours l’année précédente jouait en compagnie de Karloff dans La Maison de la mort, de James Whale, dont le sujet concernait justement une petite assemblée réunie dans une maison sinistre… Le calcul est simple : La Momie + La Maison de la mort = The Ghoul. Du roman de Wallace, auteur réputé qui devait énormément inspirer les cinéastes allemands lors de la vague des krimis, il ne reste pratiquement rien si ce n’est un vague arrière-goût d’intrigue policière ainsi qu’un dénouement tiré par les cheveux venant clore le film sur une note grotesque. Mais il faut dire qu’il avait déjà bien failli y sombrer auparavant, notamment avec cet agaçant personnage de Kaney, amie de l’héritière venant apporter une grossière touche comique au pire moment, alors que Morlant se promène dans le manoir, c’est à dire lorsque la tension devrait être à son comble. Dans la frénésie comique faisant d’elle une parodie d’amoureuse romanesque face à un riche égyptien venu récupérer le joyau, elle perturbe l’ascension vers le climax et anesthésie ledit égyptien, réduit à entrer malgré lui dans un duo comique sans envergure, alors qu’il avait pourtant eu le privilège d’ouvrir le film à grand renfort de menaces. Les autres personnages ne valent guère mieux : l’un d’eux, en l’occurrence le prêtre, n’est là pour aucune raison crédible. Il ne fait que dénoncer mollement les funérailles païennes de Morlant et se propose de sauver son âme. A force de traîner dans les couloirs sans justification, le personnage devient suspect, et la surprise réservée à son sujet par le réalisateur ne peut qu’être prématurément éventée. Les deux héritiers passent quant à eux leur temps à se disputer puis à se rabibocher jusqu’à développer eux aussi une romance, certes moins humoristique, mais d’une inutilité totale (ils ne sont pas là pour le joyau, mais bien pour le simple héritage). Tout juste leur liaison peut elle servir à une scène convenue de “demoiselle en détresse”, d’autant moins marquante qu’elle ne se fonde sur aucune affection particulière ressentie pour le personnage. Le scénario ne repose en effet sur aucun personnage principal, et à ce titre tous demeurent superficiels. Même le notaire et le domestique, quoiqu’un peu plus ancrés dans la tradition gothique qui siérait à un tel film, restent globalement creux et relèvent plus des clichés que d’autre chose. Cette assemblée sonne désespérément faux. Hélas, la plus grande partie de The Ghoul se concentre sur leurs petites manigances personnelles, qui les font s’agiter pour pas grand chose au risque de faire de l’ombre à Morlant lui-même… qui souffre tout autant de vacuité. De Karloff, le réalisateur n’exige qu’une chose : qu’il déambule gauchement dans les décors avec un air effrayant. Tel une sorte de créature de Frankenstein ou de momie. Malheureusement, entre l’aspect suintant et l’énormité des sourcils de loup-garou, le maquillage force un peu trop le trait. Le pire est cependant que Morlant n’inspire rien : le scénario est trop dispersé pour lui donner une place importante qui le rendrait effrayant, et la nature du personnage se limite à faire de lui un simple tueur. Il n’y a aucune profondeur, même pas l’ombre du pathos qui caractérise les monstres les plus fameux joués par Karloff. Morlant n’est qu’une brute titubante guidée par sa foi en Anubis. Précisons que le dénouement grotesque mentionné plus tôt n’y est pas pour rien…

Une seule qualité vient sauver The Ghoul : sa beauté. Préfigurant ainsi une grande tradition esthétique de l’épouvante britannique, peut-être la plus soignée dans la durée de l’histoire de ce genre cinématographique, il s’agit en effet d’une œuvre très joliment conçue. Pas étonnant que la nécessité d’une copie propre ait été si importante. Largement servi par l’expérience de techniciens allemands ayant fait leurs gammes au cours des années 20 (la décennie expressionniste) -et qui resservira au moment des krimis dans les années 60-, T. Hayes Hunter peut jouer sur les zones d’ombre pour sculpter des décors vaguement inspirés par l’Égypte antique mais qui ne sont pas non plus sans liens avec le cinéma gothique classique, tout en architecture biscornue. Le manoir de Morlant est de toute beauté et aurait fait un cadre extrêmement adapté à un film d’épouvante bien moins trivial, qui aurait davantage exploité le potentiel sinistre d’une figure comme Anubis. Si ce n’est pas malheureux de voir un tel cadre -et un acteur comme Karloff- spoliés par un scénario aussi paresseux…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.