CatastropheCinéma

S.O.S. Poseidon – Mircea Drăgan

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Explozia. 1973

Origine : Roumanie 
Genre : Film catastrophe 
Réalisation : Mircea Drăgan 
Avec : Gheorghe Dinica, Radu Beligan, Colea Rautu, Dem Radulescu…

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Avant toute chose, des précisions s’imposent : comme souvent dans le cas des films méconnus du bloc de l’est distribués en Europe occidentale, le roumain SOS Poseidon est fort susceptible d’avoir été profondément modifié, ce qui est tout aussi profondément regrettable. Déjà, une demie heure semble avoir disparue dans les limbes, ce qui suffit à ne pas être en mesure de donner un verdict fiable du film de Mircea Dragan. Cette critique n’est donc valable que pour la version expurgée distribuée par feu l’éditeur VHS Socai Films, de toute façon pas le plus respectable qui soit et qui semble avoir purement et simplement copié la version distribuée par ses concurrents ou par la maison mère (car selon des rumeurs, Socai serait une sous-marque de VIP). Les grossiers coloriages des logos figurant sur la jaquette en attestent. Ensuite, il est difficile de placer sa confiance dans un doublage qui donne à l’un des personnages un grossier accent marseillais allant de pair avec une attitude générale plus que suspecte, celle du bout-en-train théâtral échappé d’un film avec Fernandel. Pour le moins déplacé dans le contexte qui est celui de SOS Poseidon. Un titre français qui cherche bien entendu à évoquer l’américaine Aventure du Poseidon, référence du film catastrophe maritime. Si le nom du navire évoqué par Dragan est bien “Poseidon”, la parenté ne va pas plus loin, et certainement pas au stade du copiage. Je sais bien que Ceaucescu fut à un certain moment très proche de l’occident (la Roumanie était le seul pays du COMECON à avoir pu emprunter au FMI -d’où la ruine des années 80, époque à laquelle tous les biens nationaux furent exportés pour rembourser les dettes-), et que ce moment coïncide avec celui du tournage du présent film, mais il n’en était quand même pas au point de faire des sous-produits inspiré par le cinéma américain. C’est que la Roumanie de Ceaucescu voulait prouver son indépendance (elle avait déjà condamné l’écrasement du printemps de Prague) et pour se faire, quoi de mieux que de prouver la grandeur du pays à travers l’autocongratulation cinématographique ? SOS Poseidon est donc la retranscription d’un fait d’actualité survenu dans les années 60 et dont le potentiel glorificateur est non négligeable.

Si ce n’est un matelot et une passagère clandestine justement embarquée par ledit matelot, il ne reste plus personne à bord du Poseidon, un navire battant pavillon panaméen qui vient d’arriver au port de Galati. Mais plutôt que cette absence de marins, c’est le furieux incendie qui inquiète terriblement les autorités. Car il s’avère que le Poseidon transporte une quantité importante de nitrate d’ammonium, un engrais fortement explosif capable de faire sauter non seulement le navire mais aussi tous les quartiers alentours. Le gros problème qui se pose pour les autorités est que l’incendie empêche toute circulation dans les coursives du Poseidon, et qu’éteindre l’incendie est une tâche presque impossible. Or, il leur faut éviter à la fois l’incendie direct des sacs de nitrate mais aussi l’explosion des bouteilles d’oxygène capable d’entraîner une réaction en chaîne et l’élévation de la température au-delà de 300°C, seuil de tolérance du nitrate de sodium.

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Dit comme ça, SOS Poseidon dispose d’une intrigue à sensation qui évoque en effet le cinéma catastrophe américain. Toutefois, le coup du nitrate d’ammonium risquant de faire exploser le voisinage n’est pas du tout improbable : c’est cet engrais qui est à l’origine de l’explosion de l’usine AZF de Toulouse en 2001, une des vingtaines de catastrophes dues au nitrate d’ammonium recensées depuis un siècle. Quelques unes se sont déroulées comme ici à bord d’un cargo, et parmi elles figurent celle de Texas City, ville américaine ravagée par l’explosion d’un navire et dont le bilan humain a dépassé les 500 morts. Un évènement mentionné dans SOS Poseidon officiellement pour démontrer le risque encouru, mais officieusement dirons les mauvaises langues pour faire de l’anti-américanisme et souligner le fait qu’ici les autorités réussiront à gérer la situation. Par manque d’information disponible, il est difficile de savoir si la fiction est fidèle à la réalité. Mais justement, ce manque de sources m’amène à penser que si les faits avaient été tout autres (avec un dénouement tragique à la Texas City) l’évènement aurait eu davantage d’écho. Qui plus est, l’administration de Ceaucescu ne se serait certainement pas risquée à réécrire le drame. J’aurais donc tendance à croire que si il doit bien y avoir des enjolivements nous ne devons pas être très loin de la réalité. D’où le potentiel propagandiste d’un tel sujet, qui pour son passage à l’écran a visiblement bénéficié de gros moyens de la part de l’État. Les figurants sont fort nombreux, le feu -réel- est bien géré (voire trop, puisqu’au début du film il reste un peu trop sage et maîtrisé et ne donne pas l’impression de menace) et les vues d’ensemble depuis le fleuve ou les hélicoptères nous montrent un navire en flammes de taille conséquente et bordé par toute une flottille de bateau-pompiers qui de toute évidence ne sont pas des maquettes.
Lorsque les pays communistes mettent de tels moyens pour une reconstitution, cela va généralement de paire avec une propagande échevelée, parfois sublimée par une mise en scène percutante voire épique (tous les plus gros Eisenstein, Le Cuirassée Potemkine, Octobre, Alexandre Nevski). Ce qui disons le n’est pas vraiment le cas ici, ni pour l’ampleur de la propagande, ni pour la mise en scène épique. L’aspect propagandiste est indéniable, mais il est finalement très atténué, et certainement desservi par la réalisation discrète de Dragan, bien plus attiré par ce qu’il met dans le cadre que par le sens du montage… Cette sobriété dans l’embrigadement peut éventuellement être expliquée par la demie-heure manquante, puisqu’après tout même charcuté le film se suit sans trop de problèmes (si ce n’est pour la sous-histoire du matelot cherchant à délivrer sa passagère clandestine, trop chichement traitée pour ne pas avoir été modifiée). Les films américains sont finalement autant propagandistes que cette version-là sinon plus, puisqu’en l’état, la version Socai du film de Mircea Dragan ne met même pas en avant un héros particulier. Il y a bien Raphaël dit “la salamandre”, ce pompier atterri par hasard sur le Poseidon (il passait à proximité, sur une barque, célébrant un mariage, lorsqu’il fut invité à donner un coup de main), mais sa bravoure et son comportement détendu feraient de bien chiches arguments dans un film américain exigeant un héros qui soit solennel, altruiste, téméraire, légèrement rebelle et bien entendu sauveur de l’héroïne. Dans ce film catastrophe roumain, l’héroïsme ne s’exprime pas via un individu isolé mais dans la communauté entière. Des officiers de la marine aux simples soldats, du maire et ses adjoints au scientifique en passant par par les dockers qui au péril de leur vie décident contre les ordres (et sans se faire fusiller !) de tenter de vider tout le chargement de nitrate, SOS Poseidon met l’accent sur une société aux rouages bien huilés capable d’affronter la pire des crises sans aucun couac, tout en gardant la morale sauve (ainsi, les pilleurs essayant de s’accaparer les richesses du navire sont châtiés). De nombreuses solutions sont proposées et initiées pour résoudre le problème de ce navire en feu, chacun apporte sa pierre à l’édifice dans son domaine spécifique et personne ne cherche à tirer la couverture à lui. Ainsi, pendant que le bateau est remorqué vers une zone moins peuplée, les pompiers le bombardent, le scientifique tente de mettre au point un procédé de refroidissement et les autorités politiques gèrent une évacuation improvisée des quartiers en bord de fleuve. Cette vision très carrée de l’organisation roumaine, unie dans sa structure sociale, n’est pourtant pas une forme de propagande outrancière. Car sans véritable héros intouchable, l’intrigue du film n’en apparait que comme plus primordiale et n’est pas là pour servir la soupe à un acteur en particulier. Que tout le monde aille dans le même sens tout en restant attaché à son propre domaine de compétence permet de donner une véritable richesse au scénario qui en recourant aux domaines militaires, civils, politiques et scientifiques (certains se soldant par des résultats mitigés, voire des échecs) se fait bien plus réaliste que la perfection physique et mentale d’un individu. Le suspense n’en est que davantage présent, et même si le film est loin d’être aussi spectaculaire que La Tour infernale il n’en est pas moins palpitant, comme le serait une bonne reconstitution historique. D’accord, SOS Poseidon est propagandiste, d’accord il ne reflète pas forcément la véritable situation de la Roumanie de 1973, mais c’est malgré tout un très bon film catastrophe, genre qui de notre côté du rideau de fer a trop souvent eu tendance à se perdre dans ses personnages stéréotypés en réduisant la fameuse “catastrophe” au rang de toile de fond. Reste malgré tout à savoir le contenu de la demie heure manquante : approfondissement des alternatives de secours ou déclamations propagandistes éhontées ?

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