CinémaDrame

Rome, ville ouverte – Roberto Rossellini

romevilleouverte

Roma, città aperta. 1945

Origine : Italie 
Genre : Drame documentaire 
Réalisation : Roberto Rosselini 
Avec : Aldo Fabrizi, Marcello Pagliero, Anna Magnani, Vito Annichiarico…

Une ville ouverte, en temps de guerre, est une ville qui d’un commun accord des belligérants est tenue en dehors des combats. Ce fut le cas de Rome, pendant la Seconde Guerre mondiale. Après l’invasion alliée de la Sicile en juillet 1943, la République Sociale Italienne fut créé à la pressante initiative d’Hitler, et gérée par l’Allemagne nazie avec l’aide des autorités fascistes. Cette république (dite également “République de Salo”) durera jusqu’en avril 1945, perdant petit à petit son territoire au gré de l’avancée des alliés remontant vers le nord. La ville ouverte de Rome fut libérée au début de l’été 1944. Ce n’est que deux mois plus tard que Roberto Rossellini commença à travailler sur Rome, ville ouverte en compagnie des scénaristes Sergio Amidei et Federico Fellini, pour un tournage début 1945. L’objectif du réalisateur était assurément de s’affranchir de l’oppressant style propagandiste auquel l’avait contraint le régime fasciste pour verser dans un réalisme forcené, indéniablement nécessaire à la description de cette Rome saisie pratiquement sur le vif et qui donnera naissance au mouvement néoréaliste.
Revenant sur la période d’occupation de la ville par les forces allemandes, le film s’intéresse à la vie et aux activités de résistants italiens : le prêtre Don Pietro, le communiste Giorgio Manfredi, le typographe Francesco et sa fiancée Pina, tout deux en instance de mariage et formant une famille recomposée avec le fils de Pina, Marcello, lui-même engagé de son côté dans un mouvement de résistance des jeunesses partisanes. D’autres personnages compléteront cet univers, et pas toujours des personnages honnêtes…

Il est vrai que c’est avec bien du mal que l’on considérera Rome, ville ouverte comme un film au sens propre du terme. L’optique est clairement celle d’un documentaire, réalisé avec les moyens très difficiles du bord, et du reste le distributeur prévu refusa le film en raison de son pauvre contenu fictif. Rosselini s’appuie sur des faits réels datant de la période de l’occupation, et il n’a pas recours aux procédés techniques cinématographiques habituels. Seuls deux de ses acteurs sont professionnels (Aldo Fabrizi et Anna Magnani), et il embaucha même des prisonniers de guerre allemands pour faire de la figuration. Certains reprochent au film cet aspect documentaire exacerbé, qui nuirait à l’implication émotionnelle du spectateur. Mais il faudrait tout de même avoir l’esprit bien formaté par une certaine conception glamour et racoleuse du cinéma, de même qu’il faudrait être soit-même incapable de se placer en contexte pour ne pas être capable de déceler les réactions que cherchent à provoquer le réalisateur et ses scénaristes.
Il a tout d’abord l’hommage : l’hommage à la résistance de tout bord, à ces hommes, femmes et même enfants qui risquèrent leur vie pour la liberté. Communistes et religieux travaillant ensemble contre l’occupant, prêts à s’unir et à ne pas se trahir (ainsi, le typographe Francesco et sa femme, quoique non portés sur la religion, préfèrent être unis à l’Eglise plutôt que par un fonctionnaire fasciste). Leurs différentes conceptions du monde ne sont aucunement effacées, et elles sautent aux yeux lorsque les personnages évoluent en solo (le curé voyant dans la barbarie de l’occupation la sanction divine à l’encontre d’une humanité fautive, et les communistes évoluant dans des ruines sur lesquelles sont dessinés la faucille et le marteau…). Mais au coeur de la lutte, ces différences n’ont plus court et leur alliance est symbolisée par l’action commune au sein du Comité de Libération National (un front de résistance composé par le Parti Communiste, le Parti Socialiste, le Parti Libéral, la Démocratie chrétienne…).

Rossellini évite toute forme d’héroïsme et de sensationnalisme en enracinant son récit dans la vie de tous les jours, avec ses difficultés pour manger, avec les crises de désespoir, avec ces enfants des rues, avec ceux qui choississent la collaboration, par opportunisme enthousiaste ou par dépit. Il n’y a ici pas de sacrifices, et personne ne songe à la reconnaissance. Le film est il est vrai assez froid, et sa première partie très ancrée dans la vie quotidienne pourra même en lasser certains. Mais lorsque les nazis apparaîtront, pour fouiller des appartements, pour évacuer des immeubles, pour réquisitionner, leurs exactions en apparaîtront avec d’autant plus de force qu’elle s’inscrivent dans une réalité concrète, presque banale. Avec le recul, cette description est autant voire plus pertinente sur le sujet de la privation de liberté que les violentes intrusions montrées par tant de films tournés bien après. Et que dire de cette scène remarquable, où Pina est fusillée en pleine rue par les soldats allemands ? Cette scène, tirée d’un fait réel, démontre toute la violence de l’occupation, sans pour autant donner lieu à un quelconque sentimentalisme, quand bien même Marcello, fils de la victime, assiste à ce qu’il faut bien appeler un meurtre de sang froid. Car la sobriété de la caméra de Rossellini est là pour démontrer qu’un crime reste un crime, et que le nazisme a érigé cette pratique en tant que système, ce que même un cynique militaire allemand, ivre, affirmera à l’un de ses collègues zélés parlant encore de “race de maîtres” et de “race d’esclaves”.

La seconde partie du film, quand à elle, découle de la dénonciation des résistants par une traîtresse, la petite amie de Giorgio, manipulée par une collaboratrice lui fournissant sa drogue. Là, Rossellini, toujours sans verser dans le romantisme, présentera une lutte entre l’officier allemand d’une part et deux des résistants (le communiste et le prêtre) d’autre part. Giorgio sera torturé pour qu’il révèle les rouages de son organisation de résistance, et pour l’époque le réalisateur n’y va pas par quatre chemins : les cris laissent déjà à penser à des actes de barbarie, mais par la suite les moyens de torture seront à l’écran et confirmeront ces mauvais traitements : brûlé au fer rouge, puis directement au chalumeau, tige sous les ongles, Giorgio finira dans un bien triste état, que ne se privera pas de nous montrer le réalisateur. Quand au prêtre, il sera sommé de convaincre son ami de parler. De l’issue de cette lutte dépendra la victoire morale, une victoire qui n’a rien à apporter aux résistants si ce n’est la mort comme délivrance. Rossellini démontre avec efficacité à quel point l’usage de la barbarie n’est que la réponse que donnent des soit-disant dominateurs qui voient leurs prétentions s’écrouler. Inutiles, ces actes ne sont que de primaires revanches sur une défaite annoncée (dès le départ, on sait que Giorgio ne parlera pas). La conception de cette “race supérieure” s’écroule, elle n’est plus sûre d’elle-même et la violence est la seule chose qui lui reste. Le film s’achève là, au summum de la barbarie, tandis que la résistance continue, toujours sans aucune volonté romantique. Une résistance brisée, qui ne trouve aucun soulagement.

Rome, ville ouverte mérite bien la palme d’or que le film a obtenu au festival de Cannes 1946. C’est probablement l’un des seuls films réalisés (presque) au cœur de l’action, avec ce parti-pris documentaire qui sera réutilisé dans deux autres films de Rossellini : Païsa et Allemagne année zéro, qui concluront ce qui constitue aujourd’hui la trilogie de la guerre.

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