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Psych-Out – Richard Rush

psychout

Psych-Out. 1968

Origine : Etats-Unis
Genre : Drugsploitation
Réalisation : Richard Rush
Avec : Jack Nicholson, Susan Strasberg, Dean Stockwell, Bruce Dern…

Ayant fuit le domicile familial, la jeune sourde Jenny (Susan Strasberg) trouve refuge à San Francisco, capitale du psychédélisme où elle espère rejoindre son frère Steve (Bruce Dern) dit “le chercheur” qui, sur sa dernière carte postale, déclarait “Dieu existe et il revit dans un morceau de sucre.” Le hippie n’habite cependant plus à l’adresse indiquée, et en attendant de le retrouver, Jenny est recueillie par Stoney (Jack Nicholson) et son groupe de rock, membres de la communauté hippie. Psych-Out s’inscrit dans une mode de la fin des années 60 relativement méconnue : la drugsploitation. Jusqu’ici forcément préventifs, les films consacrés à la drogue alertaient leurs spectateurs des dangers des substances hallucinogènes. Un discours plus très vendeur lorsque vint l’ère du flower power, avec un public cible en plein conflit avec la morale à papa. Les tenants du cinéma d’exploitation ne pouvaient faire autrement que de suivre le mouvement en donnant une vision moins unilatérale de la drogue à l’écran. C’est en traînant des pieds que l’American International Picture de Samuel Arkoff et James Nicholson suivit sur ce terrain son réalisateur vedette, Roger Corman, qui avec son nouveau poulain Jack Nicholson au scénario tourna The Trip, film pour lequel le réalisateur essaya lui-même le LSD pour décrire au mieux le “voyage” de son personnage principal joué par Peter Fonda. Dans la foulée fut produit Psych-Out, confié aux bons soins de Richard Rush, réalisateur désormais habitué à suivre les modes de Corman (il avait déjà tourné Hell’s angels on wheels dans la foulée des Anges sauvages, participant au mouvement “bikesploitation” qui culminera avec Easy Rider). Susan Strasberg et Bruce Dern, déjà dans The Trip, reprirent du service devant la caméra en compagnie cette fois de Jack Nicholson, qui devait à l’origine écrire aussi le scénario de Psych-Out. Jugeant ce script trop expérimental, Richard Rush fit réécrire le scénario en profondeur par ses propres scénaristes, tant et si bien que Jack Nicholson n’est plus crédité au scénario. Et tant qu’à faire, autant changer le titre “The Love children” initialement prévu en Psych-Out, histoire de profiter de la ressortie de Psychose (Psycho en VO).

Forcément moins audacieux que The Trip car beaucoup plus linéaire, Psych-Out n’en propose pas moins une vision assez intéressante de l’univers psychédélique du San Francisco de l’an 1968. Le film adopte un point de vue plutôt fréquent, celui d’un personnage neutre (celui de Susan Strasberg) qui apprend à découvrir un nouveau mode de vie. Comme souvent dans ce genre de situation, le scénario s’apparente plus à un documentaire fictif qu’à un vrai récit allant d’un point A à un point B. Il n’y a donc pas de vrai but final à poursuivre, mais plutôt tout un ensemble de sous-intrigues ou même de simples événements ponctuels permettant de se forger son opinion sur ce monde à part, en l’occurrence celui des hippies, coupé de la société classique aux intérêts antagonistes (que ce soit les “vieux” scandalisés ou les loubards moqueurs). La recherche du frère de Jenny est probablement la moins importante de ces sous-intrigues car elle n’apporte pas grand chose à l’optique documentaire du réalisateur, qui préfère s’attarder sur les relations entre Jenny et Stoney et sur les mises à l’épreuve de “l’idéologie” de ce dernier. Dave, le philosophe hippie incarné par Dean Stockwell, joue un rôle très important dans cette étude quasi sociologique et pose des questions qui dérangent fortement le personnage de Jack Nicholson, dont la véracité des penchants hippies est contestée par de simples observations pratiques. Dave part ainsi du principe que Stoney est condamné à tomber amoureux de “cette petite chose fragile” qu’est Jenny, dont le manque de connaissances des règles de la communauté et dont la surdité sont autant d’obstacles à sa pleine acceptation du mode de vie hippie, ce qui exige alors que quelqu’un la prenne sous son aile, rompant avec la tradition hippie de la liberté individuelle et sexuelle. Il ajoute prophétiquement que Stoney voudra alors donner le confort matériel à Jenny, et que ça en sera alors fini de sa période hippie. Dave voit aussi un premier pas vers la réintégration dans la société “bourgeoise” en observant la joie de Stoney, dont le groupe rock vient d’être contacté par un impresario. Premier pas vers un studio, et donc vers le commerce. Toutes ces annonces seront à vérifier dans le restant du film. Quant à Dave, sa pureté hippie pose une autre question, à laquelle le spectateur doit cette fois réfléchir seul : à quoi rime donc cette vie de méditation et de solitude ? Avec ses drogues lourdes, Dave se déconnecte des réalités et fait de sa propre introspection une vérité générale, ce qui portera en fin de compte préjudice à ses amis établis dans le monde concret : en voulant prouver qu’il est un vrai hippie, Stoney s’aliène Susan, se fait mal tout seul (il cesse de “vivre la vie qu’il veut”, adage des hippies), et Susan elle aussi est blessée par l’attitude de Stoney. On sent bien que Richard Rush n’a pas vraiment foi dans le mouvement hippie, même si il rend ses personnages sympathiques et qu’il évite de décrire l’idéal hippie avec trop de virulence.

La plupart des “trips” de ses personnages se finissent mal et l’ouverture de conscience que provoquent les drogues fait surgir des visions pour le moins désagréables, témoignant d’un mal-être profond. Dans le cas de Jenny et de son frère Dave, il s’agit par exemple d’une enfance difficile auprès d’une mère aussi stricte que sadique. D’ailleurs Jenny n’est-elle pas venue directement à San Francisco pour fuir le foyer familial, comme l’a fait Dave avant elle ? Rejoindre le mouvement hippie n’est en fait pas tant la volonté d’établir une nouvelle société que fuir celle qui existe déjà (“la réalité est mortelle” dit Dave). Tous les marginaux se retrouvent donc ensemble à partager un amour ou une protection qu’ils n’ont pas ressenti auparavant. Mais à l’image de Stoney, cette étape est provisoire. Ceux qui s’y attardent avec trop d’insistance finissent comme Dave ou Steve par se perdre, là où ils cherchaient à se retrouver. Le flower power n’est donc qu’une lubie de jeunesse, révélatrice d’un état d’esprit en souffrance mais n’apportant aucune solution. C’est une utopie sauvegardée par les drogues et par un environnement en vase clos. Plutôt que de faire la morale, Rush capture avant tout les conditions qui ont poussé la jeunesse là où elle en est, et anticipe un avenir tel qu’il le prévoit lui avec un regard paternaliste plein de compassion. Psych-Out est un film assez triste, mais sa tristesse est atténuée par tous les subterfuges habituels au flower power : les couleurs vives, la musique, la vie oisive en communauté, les dialogues philosophiques ésotériques plein d’espoirs… Le réalisateur capture bien tous ces éléments en utilisant des scènes légères a priori sans légitimité, tel que ce surréaliste enterrement où le (faux) mort se relève de son cercueil pour faire l’amour à sa copine alors que l’assistance les recouvre de fleurs. Il place aussi beaucoup de musique à la Scott McKenzie (“San Francisco, be sure to wear some flower in your head)”) et a recours à l’occasion à quelques plans psychédéliques en kaléidoscopes, en tourbillons, en flous artistiques, en couleurs, parfois beaux (une scène d’amour), parfois drôles (l’ami de Stoney défoncé qui se bat avec des loubards qu’il voit comme des chevaliers médiévaux) mais aussi souvent horrifiques (un autre ami de Stoney qui un an avant La Nuit des morts-vivants voit des zombies partout, sans compter la littérale descente aux enfers de Jenny dans le final, avec du feu partout).

Mêlant habilement tous les ingrédients psychédéliques indispensables à un film de drugsploitation des années 60, Psych-Out vaut pourtant davantage pour la vision de son réalisateur, qui en plein feu de l’action (1968) prévoit la chute du flower power avec clairvoyance, sans pourtant s’en réjouir. Derrière ses allures de film d’exploitation tape à l’œil, c’est un film plus réfléchi qu’il n’y paraît.

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