CinémaHorreur

Opéra – Dario Argento

Opera. 1987.

Origine : Italie
Genre : horreur opératique
Réalisateur : Dario Argento
Avec : Cristina Marsillach, Ian Charleson, Urbano Barberini, Daria Nicolodi, Coralina Cataldi.

Alors que la première du Macbeth de Verdi approche, la Signora Albertini, la cantatrice vedette, est heurtée par une voiture alors qu’elle quittait l’opéra. Elle est donc remplacée au pied levé par la jeune Betty auquel le public réserve un triomphe le soir de la première. Quelque peu rassérénée, elle se laisse aller à prendre un peu de bon temps dans les bras d’un régisseur quand soudain tout bascule. Un homme masqué fait irruption sur le lieu de leurs ébats, la ligote et place sous ses paupières des aiguilles afin qu’elle soit obligée de regarder ce qui va suivre, le meurtre brutal du régisseur. Loin d’en rester là, le mystérieux tueur réitère la manœuvre à de nombreuses reprises, prenant toujours soin de s’assurer que Betty ne perde pas une miette de ses exactions. De plus en plus perturbée, ses nuits sont entrecoupées de cauchemars liés à son enfance, Betty trouve un semblant de réconfort auprès de Marco, le metteur en scène, lequel lui promet de découvrir l’assassin.

A l’image du cinéma italien dans son ensemble, Dario Argento vit des heures difficiles durant les années 80. Tout débute par un malentendu au moment de la sortie de Ténèbres en 1982. Alors que son public s’attend à découvrir le troisième volet de la trilogie des Trois Mères, le cinéaste se fend d’un inattendu retour aux sources en renouant avec le giallo. Fraîchement accueilli, ce film marque le début du désamour. Celui-ci se confirme deux ans plus tard avec Phenomena, film bancal aux consonances fantastiques proprement desservi par une bande musicale composée de tubes métal de l’époque. Dario Argento commence à multiplier les fautes de goût tout en sombrant dans la virtuosité facile. Malgré cette baisse de forme, il demeure un nom porteur et pour son film suivant, Opéra, il obtient le partenariat du studio Orion, lequel se réserve la distribution du film sur le sol américain. Fort d’un budget confortable, Dario Argento se lance dans un nouveau giallo dont la trame n’est pas sans évoquer celle du Fantôme de l’opéra de Gaston Leroux, qu’il adaptera officiellement 10 ans plus tard.

Opéra naît d’une frustration. Alors que Dario Argento avait été approché pour mettre en scène le Rigoletto de Verdi dans le cadre du festival d’opéra de la ville de Maceria, le projet se fait finalement sans lui. Plutôt que de ruminer sa déception, il la retourne à son avantage par le truchement du personnage de Marco, lui aussi réalisateur de films d’horreur appelé à mettre en scène un opéra de Verdi, à la différence qu’on l’a laissé aller au terme de son entreprise. Non sans mal car ledit Marco apporte avec lui moult idées visuelles qui heurtent la sensibilité et les habitudes du milieu. L’une d’entre elles – la présence de vrais corbeaux sur scène – suscite l’exaspération de la diva au point que celle-ci quitte subitement l’une des dernières répétitions, précipitant ainsi son accident. Le volatile conserve alors intact sa réputation d’oiseau de mauvaise augure, statut que Dario Argento tend à infléchir en dotant ses corbeaux d’un semblant d’âme. Loin de les limiter au seul décorum d’inspiration gothique, il les utilise à des fins narratives, les corbeaux réussissant là où les divers personnages échouent, identifier le tueur. Sur ce point, Dario Argento s’écarte de ses schémas habituels, lesquels reposaient d’ordinaire sur une forme de rémanence visuelle, le plus souvent, voire auditive dans le cas du Chat à neuf queues. Les héros de ses films sont en général les témoins du meurtre introductif, et par conséquent, disposent d’un élément important susceptible de les aider à renouer les fils de l’enquête, à la seule condition qu’ils s’en souviennent. Les intrigues de ses films s’apparentent alors autant à des enquêtes policières qu’à des puzzles mentaux dont il convient de remettre les pièces dans le bon ordre. Or dans le cas présent, Betty se retrouve en position de témoin contrainte et forcée. A chacun de ses méfaits, le tueur la ligote et lui colle des rangées d’aiguilles sous les paupières pour l’empêcher de fermer les yeux, suivant en cela les méthodes brutales infligées à Alex dans Orange mécanique, avec un soupçon de sadisme en sus. Lors de ces scènes, Dario Argento questionne le voyeurisme du spectateur. Toujours enclin à une certaine manipulation, lui qui ne rechigne pas à mettre le spectateur dans la peau du tueur en usant de la vue subjective, ni à se mettre en scène en filmant ses propres mains poignarder ou étrangler de pauvres victimes, il fait de Betty une projection du spectateur, lui-même pris au piège de la mise en scène de Dario Argento dont la maestria morbide exerce une indéniable fascination. Néanmoins, celle-ci tourne court. Répétitif, le procédé tend en outre à victimiser à outrance une héroïne qui ne brille guère par sa force de caractère. Pour la petite histoire, Cristina Marsillach entretient des relations plutôt fraîches sur le plateau avec Dario Argento et l’ensemble de l’équipe technique. Un comportement de diva qui tranche radicalement avec le caractère plutôt conciliant du personnage qu’elle incarne. Betty nous apparaît comme une jeune femme timide, pleine de doutes mais capable d’une déconcertante franchise, comme lorsqu’elle s’excuse auprès du régisseur d’être une bien mauvaise affaire au lit. Revanchard, Dario Argento ne la met guère en valeur, la filmant comme une enfant apeurée toujours en quête d’une épaule secourable. Et histoire de bien enfoncer le clou, elle sera même tirée d’affaire par sa jeune voisine, une adolescente qui elle aussi dispose de quelques penchants voyeuristes.

Opéra ne brille guère par son intrigue. Celle-ci ne sert que de vague fil conducteur à des séquences-chocs. Bien que Dario Argento en arpente régulièrement les coulisses, l’opéra demeure un cadre assez neutre, dépourvu de tous mystères. Comme un constat d’échec, la meilleure scène se déroule dans l’appartement de Betty lors d’un chassé-croisé éreintant entre le tueur et elle qui aboutit à une séquence folle où l’on suit la trajectoire d’une balle tirée à travers un judas jusque dans l’œil de la personne qui y était postée. Dario Argento sait encore faire preuve de virtuosité, particulièrement lors des passages avec les corbeaux, lesquels lui inspirent des scènes qu’il filme en vision subjective pour un résultat vertigineux. Il pêche globalement par un manque de cohérence, à l’image de ce final champêtre qui plonge le film dans le ridicule. Comme schizophrène, le film oscille constamment entre moments inspirés et passages gênants, les premiers ne suffisant pas à faire oublier les seconds. Les recettes du maître sont belle et bien présentes mais utilisées sans ingrédients nouveaux, au point d’avoir l’impression que le cinéaste s’autocite à l’image de ces parenthèses oniriques totalement inutiles au récit.

Opéra sort en Italie en décembre 1987 et accroît le désamour entre Dario Argento et le public. Les entrées sont si faibles que le film reste 2 ans dans les tiroirs avant de connaître une timide exploitation à l’étranger. Aux États-Unis, le film ne sera exploité qu’en 1991, soit au moment où Dario Argento entame sa carrière américaine. En France, Opéra est directement exploité en vidéo sous le titre Terreur à l’opéra, sort désormais réservé aux films de Dario Argento jusqu’à, ironie de l’histoire, sa relecture du Fantôme de l’opéra.
A noter que les passionnés du Chat qui fume ont travaillé à une belle édition qui sera disponible à la rentrée. Une manière de découvrir ou de redécouvrir Opéra, film qui marque clairement la fin d’une époque pour son auteur dont les éclairs de génie se feront de plus en plus rares.

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