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Mister Freedom – William Klein

misterfreedom

Mr. Freedom. 1969

Origine : France 
Genre : Soixante-huitard 
Réalisation : William Klein 
Avec : John Abbey, Delphine Seyrig, Philippe Noiret, Donald Pleasence…

William Klein est le parfait prototype de l’artiste sixties. Peintre abstrait, photographe novateur, documentariste engagé et cinéaste attiré par l’atypique (il travailla avec Louis Malle, Federico Fellini et Chris Marker) il n’est guère étonnant qu’il ait signé une œuvre comme Mister Freedom, dont le tournage s’étira jusqu’aux fameuses grèves de mai 68, que le réalisateur n’a pas oublié d’exploiter avec délectation (les images qu’il en a tiré comptent d’ailleurs parmi les rares documents en couleur de cet instant d’histoire). Le film nécessitait en effet plusieurs scènes de manifestations à coup de drapeaux rouges, et il ne pouvait pas tomber mieux. Il fut même adoubé par la composante cinématographique du mouvement, qui proposa que Mister Freedom soit le seul film à s’achever alors que la grève paralysait aussi l’industrie du cinéma. Mais que nenni : William Klein voulait aussi faire grève. Et puis de toute façon, son film n’allait pas sortir immédiatement, puisque la censure gaulliste radicale de l’époque le considéra comme un soutien ouvert aux mouvements de grève, ce qui n’est que partiellement vrai puisque Mister Freedom fut mis en route avant que la “chienlit” fustigée par De Gaulle ne se manifeste.

La France est en grand danger. Minée par la présence sur son sol de Moujik Man (Philippe Noiret) et de Red China Man, elle risque de basculer dans le communisme. Grand défenseur de la démocratie à l’américaine, le Dr. Freedom (Donald Pleasence) doit réagir. Le capitaine Formidable (Yves Montand), son envoyé sur place, a déjà été assassiné, et les autorités françaises dirigées par Super French Man prétendent refuser l’ingérence. Il faut donc employer la fine fleur de la démocratie : Mr. Freedom lui-même (John Abbey) pour mettre les français au pas, de gré ou de force.

Dès son entame, Mister Freedom fait plus que se distinguer par son excentricité : c’est une véritable agression visuelle ! William Klein compose un film à mi-chemin entre la bande dessinée et le cirque, avec pour objectif d’atteindre une forme d’hystérie stylistique inédite. Le film est absurde à l’extrême et prend la forme et l’allure que cette ambition nécessite. Ainsi le look outrageusement patriotique de Mr. Freedom, sa tenue de footballeur américain aux couleurs de Superman, fait écho à son propre chauvinisme on ne peut plus primaire. Tout ce qui l’entoure respire les pires clichés de la culture américaine : son hymne est une chanson de majorette, son antre est une sorte de vaste plateau de jeu télévisé, l’ambassade américaine n’est autre qu’un supermarché et ses alliés affichent le même mauvais goût vestimentaire que lui. Tapis dans leur station de métro tapissée d’affiches de propagande, Moujik Man et ses alliés à la monochromie rouge toute en sobriété font pâles figures à côté, de même que Red China Man, réduit à n’être qu’un immense dragon gonflable, ou encore Super French Man et sa trop furtive apparition. On peut le reprocher à Klein, mais le “héros” étant Mr. Freedom et le film se déroulant quasi intégralement dans les milieux fréquentés par celui-ci, cette inégalité trouve sa justification. Et on ne peut pas dire que le principal ait été bâclé : Freedom et sa clique sont tout simplement ridicules. De toute évidence, Klein, dans une dérision postmoderne très sixties, a volontairement cherché à rendre son film atroce pour mieux caractériser son personnage principal, ses idées et ceux qui le suivent aveuglément. Autour de Freedom, c’est donc une orgie permanente d’américanisme mégalomane jusqu’à la grossièreté. Les couleurs du drapeau américain et ses indispensables étoiles sont partout, l’assemblée pro-Freedom parade à n’en plus finir, en fait des tonnes dans les courbettes démonstratives pour afficher une foi quasi-fondamentaliste en une démocratie d’apparat, de réussite, d’argent, de sexe et de musique. D’ailleurs au milieu de ce stupéfiant conglomérat nous pouvons signaler la présence de Serge Gainsbourg, contacté pour réaliser la musique du film et qui après avoir visionné quelques rushs demanda à obtenir un rôle. Klein n’a certainement eu aucun mal à lui en fournir un au milieu de sa horde de figurants intenables.
D’un point de vue stylistique, Mister Freedom s’inscrit parfaitement dans cette période de transgression jusqu’au boutiste que fut l’année 68 et repose sur un humour à deux versants : d’une part le dynamitage du bon goût (à des fins satiriques) et d’autre part la parodie politique. Car William Klein, si il a réalisé un film très enfantin dans l’allure, n’a certainement pas plu autant aux étudiants soixante-huitard sur ce seul critère.

Faire de Mr. Freedom une incarnation aussi insupportable des États-Unis n’est en fait que le corolaire des véritables intentions du réalisateur, qui est en toute simplicité (c’est ce qui rend aussi le film si enfantin, et c’est volontaire) de donner sa vision du monde géopolitique. Tous les états évoqués en prennent pour leur grade, à des degrés divers. Du plus épargné au plus brocardé nous trouvons tout d’abord la Chine maoïste, ce grand mystère personnifié par Red China Man qui ne semble pas trop inspirer Klein (voulait-il éviter de froisser les maoïstes en vogue à cette époque ? en tout cas c’est raté puisque des maos lui ont reproché Red China Man !) et auquel il ne donne pas d’autre utilité que celle de d’apostropher violemment et en jargon marxiste les États-Unis impérialistes et l’URSS de la “coexistence pacifique”. Ensuite l’URSS représentée par un Moujik Man qui ne demande qu’à négocier avec Mr. Freedom pour se partager le monde (sans être conscient qu’il se fait systématiquement avoir) et qui peine à garder sous sa coupe les Factions anti-Freedom, que l’on peut rapprocher des pays à la recherche de souveraineté ou encore de la jeunesse en rébellion. Vient ensuite la France et son Super French Man, l’incarnation de De Gaulle, qui revendique une souveraineté déjà devenue inexistante, puisque le pays est en plein chaos entre les communistes de tous poils et un Mr. Freedom qui fait ce qui lui plait sans que Super French Man ne puisse répliquer. Freedom méprise d’ailleurs Super French Man et la France, qu’il juge peureuse et ingrate. Enfin, bien entendu, Mr. Freedom pour les Etats-Unis, de loin le régime le plus finement décortiqué et qui fait du film une œuvre bien plus réfléchie qu’il n’y paraît.

En réalité, l’envoi de Mr. Freedom en France n’est rien d’autre qu’une parabole sur le Vietnam, ou sur n’importe quelle intervention américaine à l’étranger au motif de “défendre la démocratie”, expression hypocrite régulièrement resservie lorsque l’Oncle Sam veut défendre ses intérêts à l’étranger. Pour les discours de son personnage, Klein dit d’ailleurs s’être inspiré de la langue de bois des présidents américains, et le spectateur du XXIème siècle se conforte dans l’idée que guerre froide ou pas, rien n’a changé. Mais le plus croustillant est de voir Mr. Freedom en coulisse : si lui-même est stupide et croit vraiment en son baratin, sa démocratie à l’américaine rassemble tout ce que la politique américaine compte de plus pourri : des racistes, des va-t-en guerre, des arrivistes, des vénaux, des obsédés du pouvoir… Un véritable panier de crabes cyniquement auto-intitulé “démocratie”. Avec ses muscles et son manque de cervelle, Freedom incarne la force exécutive brute capable de concrétiser les envies de tous ses alliés. Il ne tolère pas la moindre incartade et travaille à faire venir les “peut-être” et les “sais-pas” (comme les appelle son supérieur le Dr. Freedom) dans le giron américain. A défaut d’y parvenir par la parole, il est prêt à user d’un peu de force, ou au besoin de beaucoup de force (l’arme atomique… rappelons si besoin est que les États-Unis sont le seul pays à l’avoir employé sur une population). Il est impitoyable et même prêt à trahir ses propres alliés ou à tuer des innocents au motif qu’ils en savent trop ou qu’ils disposent d’atouts que Freedom ne veut pas prendre la peine de négocier (comme ce pauvre laveur de carreau balancé du balcon ou ce touriste japonais assommé parce que Freedom voulait son appareil photo). Chaque acte de ce héros américain a une signification politique internationale dans l’esprit de Klein, et si on ne peut s’empêcher de sourire en regardant le film on prend également conscience de ce que représente réellement l’impérialisme yankee.

Le fait que le film se déroule en France, et que Freedom se permette de dynamiter tel ou tel monument du patrimoine national (tout en promettant de reconstruire en conséquence) permet également de se rendre compte par analogie de ce que vivent les peuples agressés par l’armée américaine. Dans le contexte, Klein a très certainement essayé de sensibiliser l’opinion sur la guerre du Vietnam. En outre, l’anticipation des révoltes populaires suscitées par l’attitude de Mr. Freedom est fort juste (on le voit encore en Irak et en Afghanistan de nos jours). En revanche, dommage que l’hystérie de la bande américanophile conduise le réalisateur à devenir confus -et quelque peu ennuyeux- vers la fin du film, en orchestrant une bataille avec les Factions Anti-Freedom dont on ne peut situer clairement l’origine… Moujik Man ? Red China Man ? Ou bien une attaque spontanée des FAF (attention à ne pas confondre ce sigle avec la signification de “faf” aujourd’hui) grâce au traître infiltré auprès de Freedom ? Difficile à dire. Toujours est-il que l’URSS et les Chinois ne sont plus utiles au récit, et c’est bien dommage compte tenu que ces deux pays disposant de la bombe atomique étaient incontournables dans l’échiquier géopolitique de l’époque, et que le film est justement une représentation de cet échiquier.

Malgré la présence de quelques noms connus dans des rôles parfois inattendus (Noiret, Gainsbourg, Sami Frey en Jésus, Yves Montand, Simone Signoret de loin…), Mister Freedom est aujourd’hui tombé dans l’oubli. Il faut dire que le film est à tous les niveaux très lié à son année de conception, et qu’il semble surtout avoir été conçu par un soixante-huitard pour un jeune public lui aussi soixante-huitard fait de trotskystes, anarchistes et situationnistes. Les communistes classiques, pro-soviétiques, et les maoïstes pouvaient également y trouver leur compte dans la critique de la démocratie américaine, pourvu de disposer d’un minimum d’humour pour tolérer leurs propres avatars à l’écran (et puis les trotskystes et les anarchistes n’étant au pouvoir nulle part, ils ne se mouillaient pas trop). Toute une faune gauchiste florissante et survoltée qui nous paraît bien loin, de nos jours -genre au parlement européen-. Avec son constat sur l’impérialisme toujours pertinent, il y aurait pourtant de quoi rendre Mister Freedom encore d’actualité. Klein a fait un très bon film, mais il en a indiscutablement limité la durée de vie en voulant trop s’inscrire dans son époque, comme l’aurait fait une simple comédie destinée à une exploitation immédiate et sans lendemain. Reflet d’un manque d’ambition, peut-être.

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