CinémaThriller

Les Oiseaux – Alfred Hitchcock

oiseaux

The Birds. 1963

Origine : États-Unis 
Genre : Thriller 
Réalisation : Alfred Hitchcock 
Avec : Tippi Hedren, Rod Taylor, Jessica Tandy, Suzanne Pleshette…

La riche et oisive Melanie Daniels (Tippi Hedren) vient dans la petite ville côtière de Bodega Bay, Californie, pour répliquer aux provocations que lui a assené Mitch Brenner (Rod Taylor), un séduisant avocat vivant encore avec sa mère possessive et sa petite sœur, encore écolière. Elle lui apporte un couple d’inséparables, les oiseaux qui furent à l’origine de leur rencontre atypique. Dès le départ pleine de sous-entendus amoureux, leur relation se forgera dans l’audace, elle n’hésitant pas à cuisiner l’ex petite amie de Mitch et lui n’hésitant pas à rappeler à la belle blonde ses frasques qu’il a lu dans les journaux. Dans le même temps, des choses bizarres se produisent à Bodega Bay, où les oiseaux semblent se montrer de plus en plus agressifs envers les humains. Des attaques massives se préparent, qui viendront placer Melanie, Mitch et leur entourage face à des choses moins triviales que leurs egos.

Pour la troisième fois après L’Auberge de la Jamaïque (1939) et Rebecca (1940), Hitchcock porte à l’écran une nouvelle de l’anglaise Daphne du Maurier. Ou tout du moins il s’en inspire, ses Oiseaux étant fort différents de ceux de la romancière. Quitte à perdre en cours de route son public achalandé par le sujet des oiseaux agressifs, le réalisateur y montre avant tout et pendant cinquante minutes les relations qui unissent Melanie Daniels et Mitch Brenner. Deux personnages assez complexes et deux des figures récurrentes du cinéma d’Hitchcock. La première est une jeune femme culottée, une riche et séduisante fille-à-papa partie donner ce qu’elle espère être la touche finale à sa dispute de début de film, à la fois mue par la volonté d’avoir le dernier mot et par celui de relever un défi à sa mesure, celui lancé par Mitch Brenner. Blonde, sophistiquée, résolument moderne, elle est dans la lignée des femmes hitchcockiennes. Tippi Hedren, dont il s’agissait du premier film et qui fut remarquée par le cinéaste dans une publicité, fut d’ailleurs considérée par la presse comme une potentielle nouvelle Grace Kelly. Hitchcock lui-même fut obsédé par son actrice, commençant à lui faire des avances qui allaient s’accroître de façon pathologique durant le tournage de Pas de Printemps pour Marnie.

Mais revenons en au film et à sa seconde figure typique d’Hitchcock : Mitch Brenner. A la fois un mélange des personnages de Cary Grant et de James Stewart (pour son côté élégant) et de celui du bon vieux Norman Bates de Psychose, qui marquait le point culminant de la particulière relation du réalisateur aux femmes en général et à la figure maternelle en particulier. Mitch est à la fois dévoré par ses sentiments naissants pour Melanie et par ceux qui le lient à sa mère Lydia, et qui l’ont déjà poussé à rompre une liaison, laissant son ex fiancée totalement brisée. Les personnages secondaires eux-mêmes sont directement mis en liaison avec ce triangle Melanie / Mitch / Lydia et auront pour rôle d’interagir, souvent (l’ex petite amie, la soeur) dans le sens du rapprochement de Mitch vers Melanie. L’affranchissement était en marche, et c’est là dessus, en pleine évolution, que les oiseaux interviennent, après quelques démonstrations n’ayant jusqu’alors pas réussi à alarmer les personnages jusqu’au point d’obnubiler leurs attentions.

Il n’est pas aisé de trouver la raison de l’attaque des oiseaux. En tout cas une chose est sûre : il n’y a pas de raison concrète directement mentionnée dans le film. A ce titre, Hitchcock frôle les genres fantastique et horrifique et préfigure ainsi La Nuit des Morts-Vivants, George Romero reprenant même dans son film (réalisé cinq ans plus tard) le concept de huis-clos dans une maison fragilement barricadée. Si raison il y a, c’est au niveau métaphorique qu’il faut les rechercher. Les explications peuvent alors sembler nombreuses : ce peut être purement et simplement une raison naturelle (une véritable attaque d’oiseaux eut lieu avant même que Du Maurier n’écrive son livre, et la raison supposée fut une intoxication de la nourriture des piafs), ce peut aussi être comme le dit un personnage que Melanie est le Diable incarné, ou encore, comme le laissa supposer Hitchcock, que les oiseaux agissent ainsi pour se libérer des humains, les deux inséparables en cage amenés par Melanie étant fréquemment mentionnés dans le film. Le réalisateur brouille en tout cas les pistes, laissant pas mal d’indices propices à beaucoup d’interprétations, mais ne venant jamais donner l’ombre d’une réponse. Mais l’interprétation la plus crédible étant (à titre personnel bien sûr) que les oiseaux représentent la jalousie destructrice de Lydia, puisque leurs attaques déborderont certes dans des proportions inquiétantes, mais viseront avant tout Melanie.

Il n’est aussi pas exclu d’y voir de la part de Hitchcock une volonté de faire tourner le public en bourrique, le bonhomme étant largement porté sur l’ironie (voire sur le cynisme), et ainsi de ne prétendre à rien d’autre qu’à une attaque d’oiseaux pour elle-même, venant briser l’intrigue de telle manière à n’en apparaître que plus violente encore. Car Hitchcock coupe assez violemment son film en deux, la première partie que nous qualifierons de “futile” et la seconde étant évidemment l’invasion de Bodega Bay par les oiseaux, bien plus violente et venant saccager la propreté et la classe développée dans la première partie. Le réalisateur n’hésite pas à avoir recours à certains plans d’une grande cruauté : les corbeaux attaquant les enfants, ou encore le plan d’un homme mort s’étant fait dévoré les yeux. Il décrit également avec une très grande maîtrise la menace représentée par ces animaux : le silence est pesant (aucune musique dans le film) et prélude d’attaques féroces, dominées par les cris des volatiles, des compositions électroniques assez révolutionnaires pour leurs temps (tout comme les effets spéciaux, d’ailleurs). Les gros plans alternent avec les plans larges, les oiseaux s’acharnent sur leurs proies avec sadisme. Les scènes les plus emblématiques du film, légitimement devenues des scènes mythiques, étant certainement l’attaque de l’école (incluant bien entendu le rassemblement des oiseaux sur la “cage à poules” du préau sous l’œil de Melanie) et l’agression finale de Melanie, au grenier, scène pour laquelle l’actrice fut blessée par les véritables oiseaux que les accessoiristes lui lançaient à la figure (deux semaines de tournages furent nécessaires, et Tippi Hedren n’en sortie indemne ni physiquement ni mentalement… certains prétendent qu’Hitchcock prit même un plaisir sadique à composer cette scène, l’utilisant comme revanche face au refus de l’actrice de céder à ses avances).

Nous sommes ici en présence d’un des meilleurs films d’Hitchcock, un film très cruel, se plaisant à désarçonner ses spectateurs et à les choquer, quitte à s’attirer à l’époque les foudres de la critique et du public en général. Autant que Psychose, Les Oiseaux est certainement l’un des films auquel le cinéma d’horreur doit le plus, et grâce auquel, plus généralement, le cinéma de l’âge d’or hollywoodien continua à évoluer sur plusieurs niveaux (mais cela est valable pour beaucoup de films d’Hitchcock).

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