CinémaPolar

Les Neuf reines – Fabiàn Bielinsky

neufreines

Nueve Reinas. 2000

Origine : Argentine 
Genre : Polar 
Réalisation : Fabián Bielinsky 
Avec : Ricardo Darin, Gastón Pauls, Leticia Brédice, Tomás Fonzi…

Premier long métrage de Fabián Bielinsky, Les Neuf Reines est un petit film au pitch simplissime mais très bien mené. On y suit deux petits arnaqueurs, Marcos et Juan, qui tombent sur un coup fabuleux qui peut leur rapporter plusieurs centaines de millions de pesos. Ils ont 24 heures pour convaincre un richissime philatéliste de leur acheter une planche de (faux) timbres rarissimes: les neufs reines. Mais évidemment rien ne fonctionne comme prévu et les deux arnaqueurs devront rivaliser d’ingéniosité pour réussir leur coup.

Partant de ce synopsis très simple et peu original, l’argentin Fabián Bielinsky tisse peu à peu un scénario retors et très malin. Les Neuf Reines appartient à cette catégorie de films très scénarisés dont le déroulement repose avant tout sur des rebondissements multiples et inattendus. Et sur ce plan là le film nous offre un scénario sans cesse surprenant, au rythme échevelé et qui n’ennuie jamais. Les différentes arnaques sont directement divertissantes par leur caractère très habile et forcément quelque peu comique, le spectateur étant du coté de Marcos et Juan se régale de voir petites vieilles et serveurs de cafés se faire tous rouler les uns après les autres par le duo de sympathiques truands. Il faut dire qu’il fonctionne bien, aussi bien dans l’histoire que dans le film. Les deux acteurs, excellents, forment un tandem savoureux et se renvoient les répliques avec beaucoup de naturel. Et finalement si le film fonctionne si bien ce n’est pas tant grâce à son scénario implacable et réglé comme du papier à musique, mais surtout grâce à ses deux personnages, à la fois réalistes, attachants et ambigus. Juan est un petit jeune, encore inexpérimenté. Il est repéré par Marcos dans une épicerie, alors qu’il foire une arnaque. Juan nous apparaît sympathique par son coté faillible donc, mais aussi par ses motivations. En effet il affirme être contraint d’arnaquer pour aider financièrement son père. A l’inverse, Marcos est rompu à toutes les méthodes d’arnaque, et il assume sans aucuns scrupules son statut de truand. De plus il ne se départ jamais d’une certaine classe quand il combine ses coups tordus. L’acteur Ricardo Darin (que Bielinsky retrouve pour son dernier film et chef d’oeuvre El aura) se démarque tout particulièrement du reste du casting dans ce rôle.

Très bien agencé, Les Neuf Reines nous présente le caractère des personnages au travers de l’action, et leur personnalité respective nous est dévoilée au fur et à mesure des arnaques combinées par le duo. Mais évidemment, comme les deux héros sont bonimenteurs et fabulateurs, il y a toujours un doute qui subsiste sur leurs véritables intentions. Qui arnaque qui ? Bielinsky entretient assez habilement et sans en avoir l’air ce doute tout au long du film, ce qui crée un effet de suspense assez intéressant puisqu’il s’ajoute au suspense concernant l’issue de l’arnaque des timbres. Le film fonctionne ainsi sur ce double suspense, avec d’un coté ce qui est montré au spectateur, et de l’autre tout ce qu’il ne voit pas et qu’il est libre d’imaginer. D’un coté une arnaque qui est détaillée sous nos yeux, de l’autre une arnaque que l’on essaye d’imaginer et sur laquelle absolument rien n’est dit. Tout se passe alors dans les regards, dans les non-dits des dialogues, et sur ce plan le film nous offre largement de quoi nous imaginer des tas d’entourloupes différentes en nous livrant à chaque fois très peu d’éléments et qui sont susceptibles d’êtres interprétés de plusieurs façons ! Et malgré tout cela le final parviendra quand même à nous surprendre, orchestrant savamment des coups de théâtre à la fois dans la partie visible de l’arnaque et dans la partie cachée. La fin laissant le soin au spectateur de se repasser mentalement toute l’histoire pour enfin comprendre les tenants et les aboutissants de la “partie cachée”.
Tout dans ce film est histoire de duperie et de confiance, et le montage, soigné et elliptique, joue un peu le même jeu que les personnages mais avec le spectateur, qui est toutefois bien content de se laisser mener en bateau par cette habile petite histoire.

La mise en scène de Bielinsky est déjà parfaitement rodée dans cette première œuvre. En plus d’être parfaitement rythmé et clair, le film fait également office de miroir de la société Argentine alors en passe de sombrer dans la crise économique. Comme souvent dans les bons polars, l’intrigue se révèle excellente à la fois pour son déroulement que pour le portrait qu’elle dresse d’une société souvent très sombre et désenchantée. Ainsi la société argentine nous est dépeinte tout en subtilité, via quelques scènes particulièrement porteuses de sens. Bielinsky adopte un style réaliste et en perpétuel mouvement, sans pour autant perdre une certaine rigueur dans le cadrage. Sa caméra saisit ainsi parfaitement l’atmosphère survoltée des rues les plus pauvres de Buenos Aires, où se livrent d’incessants trafics, vols et autres délits. Mais elle se promène aussi dans les plus grands hôtels, où le luxe apparent cache d’autres trafics mettant en jeu des sommes et des intérêts bien plus importants. Mais tout ceci est mis sur le même plan et Bielinsky pose un regard désabusé sur sa société corrompue par l’argent, où même les enfants préfèrent mendier plutôt que de jouer avec des petites voitures.

Les Neuf Reines est un premier film loin d’être maladroit dont les qualités sont autant de preuves du talent de son regretté auteur Fabián Bielinsky (décédé en 2006 d’une crise cardiaque). Bien qu’il se base sur une intrigue finalement très classique, le film dépasse son statut de simple polar grâce à une ambiance des plus originales qui pose un regard froid et lucide sur la société argentine sans jamais se départir d’une certaine légèreté et d’un humour particulier. Ce ton unique allié à l’excellence du scénario et des acteurs font de ce petit film sans prétention une grande réussite du genre.
Le film a été un succès dans son pays d’origine où il a raflé pas mal de prix. En France il a connu un succès critique mérité et s’est vu attribuer le grand prix du festival du film policier de Cognac 2002, ce qui lui permet d’être largement visible, il serait donc dommage de ne pas en profiter !

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