CinémaScience-Fiction

Les Envahisseurs de l’espace – Ishirô Honda

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Gezora, Ganime, Kameba: Kessen! Nankai no daikaijû. 1970

Origine : Japon 
Genre : Kaiju eiga 
Réalisation : Ishirô Honda 
Avec : Akira Kubo, Atsuko Takahashi, Yoshio Tsuchiya, Kenji Sahara…

Mésaventure de la conquête spatiale : la sonde Hélios 7, en orbite autour de Jupiter, est investie par un alien immatériel mais non dénué de conscience. Yog est paraît-il son nom. Projetant d’envahir la Terre, cette chose renvoie Hélios 7 sur sa planète d’origine, en plein océan Pacifique, au nez et à la barbe du genre humain. Ou presque. Car le reporter Taro Kudo (Akira Kubo), passant par là en avion, est certain d’avoir vu la sonde revenir sur Terre. Personne ne le croit mais ce n’est pas grave, puisque quelques hommes d’affaires lui proposent justement d’aller faire des clichés dans le Pacifique, sur une île quasi-déserte qu’ils comptent bien transformer en paradis à touristes. Heureuse coïncidence, cette île, Selga Island, est juste à côté du point de chute d’Hélios 7 ! Accompagné entre autres par une charmante collaboratrice, par le Dr. Mida et par l’anthropologue Obata, Kudo arrive sur place pour y retrouver un guide fou de terreur et une tribu autochtone sous le joug d’un monstre. Yog a en effet investi une seiche, la transformant en monstre géant et destructeur ! Et l’infâme alien serait bien capable de s’emparer d’autres êtres vivants, et pourquoi pas d’un humain.

Qu’on ne s’y trompe pas : de l’argument science-fictionnel de départ, Inoshiro Honda ne retient pas grand chose. Pour être le spécialiste mondial des monstres géants, tant du point de vue qualitatif que quantitatif (une grande partie de sa carrière se résume au Kaiju Eiga), le réalisateur de Godzilla n’en aime pas moins se faire quelques plaisirs de temps à autres. De petites choses qui ne prêtent pas souvent à conséquences mais qui lui permettent de ne pas se limiter aux combats de monstres ou aux destructions massives. Ici, il s’agit de Yog, sorte d’ectoplasme bleu qui lui donne d’abord l’occasion de concevoir quelques plans dans l’espace et plus généralement de permettre aux français de parler d’envahisseurs de l’espace. Rudimentaires sont les effets spéciaux lors de la virée près de Jupiter, légère est la connaissance de cette planète par les scénaristes (qui se sont figurés qu’Hélios pouvait s’y poser), improbables sont les plans de cet extra-terrestre qui choisit de commencer son invasion par une île perdue dans le Pacifique, mais au moins le contexte est posé et un an après l’épopée d’Armstrong et Aldrin, Honda passe du prétexte nucléaire au prétexte spatial, sans toutefois s’aventurer dans une ligne métaphorique. Visant un public essentiellement constitué de jeunes, Les Envahisseurs de l’espace n’a pas l’ambition de Godzilla, mais il est également loin de l’amusante puérilité dans laquelle la saga du lézard géant était en train de tomber, sous l’influence du réalisateur Jun Fukuda. Il conserve cette naïveté nécessaire à l’édification d’une science-fiction axée sur l’imagination, chose à laquelle participe la légèreté du postulat lié à Yog, qui établit en outre un lien direct entre l’humanité et cet alien qui finit par prendre contrôle de l’anthropologue Obata, personnage pourtant négatif au début du film (il se révèle être un espion industriel) mais qui saura lutter et se sacrifier pour le bien du genre humain. Honda n’insiste pas trop sur cet humanisme, il a conscience que ce n’est pas ce que la Toho attend de lui malgré le talent dont il sait faire preuve (et qui sera reconnu à la fin de sa carrière lorsque Akira Kurosawa fera appel à ses services sur ses derniers films) et pourtant il prend soin d’en introduire à petite dose dans Les Envahisseurs de l’espace. La relative sobriété des monstres qu’il met en scène participe à cette volonté de garder autant que faire se peut un pied dans la science-fiction originelle, celle des découvertes et de l’inconnu, un peu à l’image des films de continents perdus inspirés d’Edgar Rice Burroughs. Son film est d’ailleurs plus proche du film d’aventures que ne le sont la plupart des Kaiju Eiga pour lesquels les monstres sont l’alpha et l’omega au point d’avoir généré une ribambelle de Kaiju (de monstres, en français) qui rivalisent d’imagination en matière d’excentricité.

Ceux des Envahisseurs de l’espace sont basiques et aucun d’entre eux n’a gagné l’honneur d’apparaître dans un autre film de la Toho. Principal Kaiju de par son temps à l’écran, Gezora, la seiche géante, est capable d’infliger des engelures avec ses tentacules qui lui servent également de pieds. C’est la seule extravagance de la faune rencontrée. Le crabe Ganime n’a pour sa part rien de particulier à part ses pinces, mais en contrepartie il forme un binôme avec Kamoeba, la tortue Matamata toute en piques capable d’étirer sa tête à outrance (un autre Kamoeba apparaîtra en 2003 dans Godzilla, Mothra, Mechagodzilla: Tokyo S.O.S mais n’aura aucun lien avec celui-ci). Ces trois bestioles en caoutchouc plutôt convaincantes conçues par Teisho Arikawa (le grand Eiji Tsuburaya est mort peu de temps avant le tournage) ont beau être contrôlées par Yog, qui lorsqu’il est aux commandes de Obata raisonne et discourt avec cohérence, elles n’en affichent pas moins un intellect limité et sont incapables de fomenter des alliances comme le font leurs collègues dans la série des Godzilla. Si ce n’est quelques huttes autochtones, elles ne dévastent pas grand chose sur cette île où il n’y a rien à dévaster. Leur impact est surtout tourné vers les humains, obligés de fuir et d’établir leurs propres plans de secours après avoir testé ce qui est efficace dans la lutte contre les monstres. C’est ce qui rend Les Envahisseurs de l’espace si proche d’un film d’aventure anachronique. La végétation épaisse, les éléments naturels sauvages, la tribu vivant dans une terreur superstitieuse, le groupe d’aventuriers rencontrant des obstacles sans cesse renouvelés, et donc les monstres qui ne sont somme toute que des version alternatives aux traditionnels T-Rex, Tricératops et autres dinosaures, tout ceci s’avère très classique. Même l’inévitable combat de monstres (entre Ganime et Kamoeba) est plus proche de l’opposition mano a mano entre King Kong et le serpent que des affrontements semblables à du catch entre Godzilla et son ennemi du moment. On remarque que les humains sont bien au cœur de l’intrigue, et si ce n’était pour Yog et son sombre projet d’invasion planétaire on pourrait dire que leur présence sur Selga Island -justifiée à l’origine par un projet de promoteur touristique- et la leçon avec laquelle ils en repartiront reflète un vieux cliché écologiste… L’homme ferait bien de laisser les territoires vierges tels qu’ils sont.

Traditionnel, Les Envahisseurs de l’espace l’est peut-être même un peu trop. On ne s’y ennuie pas, les trois monstres qui le peuplent sont fascinants à voir évoluer quoique globalement passifs (si il n’y en avait eu qu’un, employé tout du long, peut-être aurait-on fini par ne plus y faire attention) et le scénario se déroule de façon limpide, mais tout ceci est fort convenu. A part peut-être le manque de relief des personnages, il n’y a pas grand chose à reprocher à Honda, qui a certainement dû composer avec un budget qui ne lui permettait pas de faire grand chose de plus. Alors oui, c’est un meilleur film que les pitreries de Fukuda voire de Honda lui-même, mais, et j’ai un peu honte de le dire, c’est tout de même moins marrant (ne parlons pas du premier Godzilla, très loin au dessus de tous).

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