CinémaPolar

Les Bas-fonds de Frisco – Jules Dassin

Thieve’s Highway. 1949.

Origine : États-Unis
Genre : Polar maraîcher
Réalisation : Jules Dassin
Avec : Richard Conte, Valentina Cortesa, Lee J. Cobb, Barbara Lawrence…

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Basé sur un roman de A.I. Bezzerides, célèbre scénariste de l’époque (En quatrième vitesse, La Maison dans l’ombre), Les Bas-fonds de Frisco nous plonge dans un monde où l’escroquerie est reine, et plutôt inédit sur un écran de cinéma, le marché des fruits et légumes.

La Deuxième Guerre Mondiale a pris fin et autorise enfin ses acteurs à rentrer chez eux. Nick Garkos est heureux de retourner au pays et respire la joie et la bonne humeur à l’idée de retrouver ses parents et sa fiancée. Il tombe des nues lorsqu’il découvre son père cloué sur un fauteuil roulant, victime d’un grossiste escroc. Fou de rage, il met momentanément ses rêves de mariage de côté pour venger son père. Il s’associe à Ed, un ami de son paternel, et au volant de deux camions remplis de pommes, ils se rendent au marché de gros de San Francisco. Nick espère ainsi empocher un gros pactole tout en vengeant son père.

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Les Bas-fonds de Frisco démarre comme un pur film noir pour progressivement se fondre en étude d’un milieu professionnel. Sous couvert de la vengeance de Nick Garkos, Jules Dassin et A.I.Bezzerides décortiquent les rouages du commerce en fruits et légumes. Ce dernier s’apparente à une véritable course contre la montre. Les convoyeurs doivent aller de plus en plus loin pour se procurer de la marchandise et la ramener au plus vite à San Francisco, sous peine de se faire devancer par un concurrent. Ed et Nick ont plus de 400 km à parcourir entre l’exploitation dans laquelle ils ont acheté leurs pommes et les halles de San Francisco. Une distance énorme à effectuer d’une traite sans s’accorder le moindre temps de repos. C’est un périple usant, aussi bien pour les organismes que pour la mécanique, les camions n’étant pas toujours très fiables. Nick n’y entend rien à ce commerce. Il échoit donc à Ed la rude tâche de négocier les tarifs. Les aléas du parcours font que Nick arrive le premier sur place. Le voilà perdu au milieu d’un univers bruyant et agité. Les camions se croisent à n’en plus finir, c’est la course au meilleur produit. Nick se moque de tout ce capharnaüm. Il souhaite avant tout rencontrer Figlia, l’homme qui est à l’origine de l’accident de son père. Nick est un vétéran, il a vécu et vu des choses horribles durant la guerre, promptes à endurcir un homme. De retour à la vie normale, il fait preuve d’une grande assurance, trop sans doute. Il n’a pas conscience de se retrouver dans un monde qui comporte ses propres règles, lesquelles lui échappent totalement. Mort de fatigue, Nick n’est guère en mesure d’apporter un minimum de contradiction aux magouilles de Figlia. Il pense pouvoir s’en sortir seul, en montant sur ses grands chevaux mais il se trompe lourdement, allant de désillusion en désillusion.

A l’image de bon nombre des personnages des films de Jules Dassin, Nick n’est pas irréprochable. C’est même tout le contraire. Au début, Nick nourrit le rêve de se marier avec sa fiancée qui a eu le bon goût de l’attendre. Il a d’ailleurs beaucoup économisé dans ce but. En apprenant les déboires de son père, il décide de faire d’une pierre deux coups : investir son argent dans ses deux cargaisons de pommes et les vendre à un bon prix, tout en le vengeant. Lorsqu’il obtient une rondelette somme de ses pommes, il en oublie totalement le motif premier de sa venue. Son obsession, le mariage, reprend le dessus et il s’empresse de faire venir sa fiancée à San Francisco. C’était sans compter le côté mauvais perdant de Figlia, qui s’arrange pour récupérer son argent. Dès lors, Nick agira pour laver son propre honneur, à des lieux du bon fils qu’il paraissait être au début du film. Lui qui a tant trimé tout au long de sa vie, souhaite avant tout se faire une place au soleil. Et le reste importe peu.
Jules Dassin prend un malin plaisir à brouiller les cartes. Ses personnages ne correspondent jamais aux premières impressions qu’on peut avoir d’eux. Polly, la fiancée de Nick en est l’exemple le plus frappant. Elle, la femme d’apparence charmante et à la patience infinie, lui fiche un rude coup en lui révélant son véritable visage. Elle se montre cupide et peu encline à épouser un homme sans le sou. En tournant le dos à Nick, elle lui met le moral en berne et par la même occasion, lui fournit l’aiguillon nécessaire pour aller se faire justice. Rica est son exact opposé, brune et nature alors que Polly est blonde et apprêtée. Elle semble ne vivre que pour l’argent facile, et dénuée de tout scrupule. Or, il s’agit en réalité d’une femme désespérément seule qui pour la première fois de sa vie, s’attache à quelqu’un.
Tout le film se construit sur l’instabilité des sentiments, des gens et des machines. Nous assistons à une lutte sans merci à laquelle s’adonnent jour après jour des hommes prêts à tout pour gagner une poignée de dollars. Cela n’empêche pas une certaine éthique, celle-ci tardant tout de même à se faire connaître. Figlia, en tant que grossiste, bénéficie d’une position de force. Il ne bouge pas le plus petit doigt, se contentant d’attendre qu’on lui propose de la marchandise. Il n’ignore rien des périples qu’endurent ces camionneurs. Au contraire, il en joue avec habileté pour à chaque fois empocher la mise. Lee J.Cobb se fond dans le rôle avec délectation. Bonimenteur de talent, Figlia ne se sent jamais aussi fort que caché derrière sa garde rapprochée. Si celle-ci vient à lui faire défaut, sa lâcheté apparaît alors dans toute sa splendeur.

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Jules Dassin orchestre de mains de maître ce petit théâtre de la cupidité dans lequel il est fait bien peu de cas de la vie humaine. D’une noirceur rare, Les Bas-fonds de Frisco pêche néanmoins par une fin heureuse qui jure quelque peu avec ce qui précède. Aussi belle que soit la récolte, il réside toujours en son sein quelques fruits gâtés mais qui n’altèrent en rien sa qualité.

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