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Le Venin de la peur – Lucio Fulci

veninpeur

Una Lucertola con la pelle di donna. 1971

Origine : Italie / Espagne / France 
Genre : Giallo 
Réalisation : Lucio Fulci 
Avec : Florinda Bolkan, Leo Genn, Stanley Baker, Jean Sorel…

Fille d’un important politicien (Leo Genn), épouse d’un proche de son père (Jean Sorel), Carol Hammond (Florinda Bolkan) vit dans le luxe d’un immeuble bourgeois au cœur de Londres. Une chose la dérange : ses rêves au sujet de Julia Durer (Anita Strindberg), sa voisine aux mœurs dissolus, organisatrice d’orgies commises sous l’influence de produits stupéfiants. Carol se voit ainsi traverser un train bondé de fêtards nus, puis, arrivant dans la chambre de sa voisine, se laisser déshabiller et faire l’amour avec elle. Son psychiatre est formel : ce rêve représente la fascination mêlée de répulsion que ressent inconsciemment Carol vis-à-vis du mode de vie de Julia. Le même rêve se répétera un peu plus tard, mais cette fois, au lieu de se laisser caresser par Julia, Carol la poignardera. Le psychiatre y voit la victoire finale de la vertu sur l’immoralité, ce qui serait bon signe si le véritable cadavre de Julia n’était pas retrouvé le lendemain, assassiné au milieu d’une masse de détails présents dans le rêve de Carol.

Le Venin de la peur n’est pas n’importe quel giallo : c’est probablement le premier à se montrer aussi ouvertement sulfureux. Ce qui lui valut à l’époque (et encore aujourd’hui dans certains endroits) les foudres d’une censure peinant à suivre le mouvement de libération morale de la fin des années 60. Fulci, déjà provocateur dans les années précédentes (avec notamment son premier giallo, le maladroit Perversion Story) fit de son premier film de la nouvelle décennie l’aboutissement logique d’un genre dès le départ porté sur l’aspect graphique, au détriment parfois de leur scénario (Mario Bava n’en a pas été l’instigateur cinématographique par hasard). Et les premières minutes de ce film comptent sans conteste parmi les plus grands moment de bravoure de la carrière de réalisateur de Lucio Fulci. Les rêves de son personnage principal, de sa traversée du train à sa rencontre avec sa délurée voisine, résument à eux seuls toutes les meilleures choses du giallo : une atmosphère tendue, un enjeu énigmatique, un soin tout particulier porté à la mise en scène, aux décors, aux éclairages, à la musique (signée Morricone), une fusion totale entre la violence et l’érotisme… Ce condensé onirique, incluant le meurtre et la littérale descente aux enfers de Carol, suffira à lui seul à servir de base à un film qui évitera ensuite sagement de se répéter. Avec ces rêves et les doutes introspectifs qu’ils amènent chez l’héroïne, Fulci trouve suffisamment matière à construire un film qui n’aura ensuite plus guère recours à la violence. Ces premières minutes ont suffi à installer le malaise, et sans jamais se départir de ce sentiment, le spectateur suit l’héroïne, plongée dans sa propre tourmente psychologique. Les différents accessoires retrouvés sur le lieu du crime, les mêmes que ceux utilisés dans le rêve, indiqueront que Carol est l’auteur du meurtre. Ses proches et la police ne s’y tromperont pas, pas plus que le psychologue, qui s’oriente vers un cas de schizophrénie. L’une des grandes réussites du film tient dans ceci : le développement d’entrée de jeu d’une interprétation psychanalytique, à laquelle succède son application pratique. La première partie du film est ainsi guidée par ce jeu de reconstitution. La réalité colle si bien au rêve et au subconscient de Carol que celle-ci plonge donc dans la folie, transcrite à l’écran par les complexes mouvements de camera de Fulci, doublés de quelques visions macabres (des chiens aux entrailles ouvertes…) et d’une musique de Morricone qui n’a rien à envier aux futurs partitions des Goblins pour les films de Dario Argento. Justement, les gialli d’Argento sont ici annoncés, la conception du Venin de la peur semblant avoir été pensée dans les moindres détails. Cela retire une certaine part de spontanéité au film, que Fulci compense aisément en ne relâchant jamais la pression sur son personnage principal, y compris lorsque preuve aura été faite que celle-ci ne peut avoir été l’auteur du meurtre. Nous sommes alors dans la période post-psychédélique, et le réalisateur profite du mode de vie de la victime, Julia Durer, pour faire s’entrechoquer deux mondes : celui des hippies et celui de la bourgeoisie, incarnée par la famille Hammond. Tels la bande à Charles Manson, les hippies du Venin de la peur, s’ils sont bien les chantres de la liberté sexuelle et de l’usage des drogues, n’ont rien de plaisant. Ils sont au contraire inquiétants, et ce sera la présence de deux d’entre eux dans le rêve de Carol qui permettra en partie d’innocenter celle-ci. Leur présence dans les songes de l’héroïne avait été expliquée par le psychiatre, dont l’erreur sera avérée lorsque les deux hippies prouveront qu’ils existent en chair et en os, et qu’ils ne sont pas particulièrement bien intentionnés. Fulci n’est pas un adepte de la rationalisation, et son film est parfois tout proche du cinéma fantastique. L’univers des drogués lui permet ainsi d’utiliser le psychédélisme à bon escient et de le doter d’apparats oniriques effrayants. La bourgeoisie à la fois séduite et dégoûtée (telle que l’incarne l’inconscient de Carol ou même la fille de celle-ci) entretient des relations étranges avec ce milieu. Fulci, comme il le fera dans son excellente Longue Nuit de l’Exorcisme dès l’année suivante (toujours avec Florinda Bolkan) brocarde l’hypocrisie des conservateurs et prouve ici que leurs fantasmes secrets ne sont finalement entravés que par un écran de fumée, la bienséance, pouvant très vite s’écrouler. Dès lors que Carol est innocentée, tout peut arriver : les hippies comme la bourgeoisie sont des coupables potentiels. Les mensonges fusent de toute part, et le réalisateur ne se prive pas pour passer au peigne fin tous ses personnages principaux afin de trouver quel sont leurs vices. Le film réserve ainsi bien des surprises…

Le Venin de la peur est un règlement de compte. A l’entame des années 70, Fulci rejette le flower power, tout comme il réfute la respectabilité des bourgeois. Les deux sont renvoyés dos à dos, et la psychanalyse freudienne n’est finalement que la drogue des élites. Mais ce propos social très acide, inscrit avec logique dans ce que l’on peut appeler la “période politique” de Fulci (Beatrice Cenci, Perversion Story, La Longue Nuit de l’Exorcisme…), passe au second plan. Le Venin de la peur est avant tout un giallo psychologique dont la mise en scène refléte à la perfection l’état d’esprit de son héroïne persécutée, que cela soit par son propre subconscient ou par un assassin bien tangible. Et ce style, Fulci le maîtrise déjà totalement.

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