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Le Salaire du diable – Jack Arnold

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Man in the shadow. 1957

Origine : Etats-Unis 
Genre : Film noir 
Réalisation : Jack Arnold 
Avec : Jeff Chandler, Orson Welles, Colleen Miller, Ben Alexander…

Ben Sadler est le shérif d’un coin paumé d’Amérique, perdu au milieu de vertes prairies s’étendant à des lieues à la ronde et appartenant à Virgil Renchler, le big boss du Golden Empire, un ranch florissant faisant travailler près de 500 wetbacks, ces immigrants clandestins mexicains venus travailler aux États-Unis.
Un soir, Ed Yates, le contremaitre de Renchler, et Chet Huneker, son second, viennent chercher Juan Martin dans un baraquement d’immigrés et l’emmènent pour le tabasser. Comme il se défend, Yates s’empare d’un manche de pioche et lui défonce le crâne.
Juan Cisneros, un ranchero caché dans l’ombre, a tout vu. Juan était son ami. Il le considérait même comme son fils. Il s’enfuit, et le lendemain, il file à la police. Ben Sadler l’écoute et c’est là que les ennuis commencent…

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Le Salaire du diable pourrait être un western, tant son histoire et son environnement en relèvent : un patelin au milieu de nulle part, un homme riche qui abuse de son pouvoir et impose sa loi, une population silencieuse par peur (les clandestins) ou par nécessité (les habitants de la ville, à qui ce ranch gigantesque assure la prospérité) et un shérif intègre, grain de sable qui va venir gripper la machine… Les décors, les paysages et les costumes sont du même acabit : grandes et vastes prairies (mais clôturées et gardées !), maison bourgeoise du sud des États-Unis (propriété du tycoon local), saloon, Stetson sur la tête et Smith et Wesson à la ceinture pour la plupart des hommes, chevaux pour les gardiens qui surveillent la propriété (mais voiture pour tous les autres – à l’exception des migrants, bien sûr, qui n’ont pas d’argent pour ça).
On s’attend presque à voir un duel opposer les deux principaux personnages et c’est ce qui arrive mais de façon plus feutrée, plus insidieuse, plus en concordance avec l’époque : la deuxième moitié du 20ème siècle. D’un côté, le shérif, bien embêté par cette histoire de meurtre mais résolu à éclaircir tout ça et à aller jusqu’au bout. De l’autre, Renchler et ses hommes, brutes épaisses qui se croient tout permis et n’ont pas encore compris que le Far West, c’était du passé. Ils n’ont pas tout à fait tort, ceci dit, puisque la population semble plutôt se ranger de leur côté, la majorité silencieuse pestant intérieurement contre ce représentant de l’ordre qui fait le travail pour lequel il est payé au lieu de fermer les yeux ou de détourner le regard comme ils le font tous.
Après tout, un wetback de moins, ce n’est rien, pas grand-chose en tout cas, pas assez pour se mettre à dos le nabab derrière tout ça… Et puis d’abord, le témoin, là, ce Cisneros, qui dit qu’il ne ment pas ? Qui dit qu’il est fiable ? Et si c’est le seul témoin, s’il n’est plus là, qui ira témoigner de la mort de Juan Martin ?

Tout le nœud du problème est là, dans cette tension qui crée les antagonismes, dans cette loi à géométrie variable qui se fait implacable ou indulgente, « selon que vous soyez riche ou misérable »… Et dans cette acceptation passive de la brutalité, de la violence et du non-respect de la loi par la population. Et cette privatisation de la justice par les plus aisés.

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Rien de vraiment nouveau sous le soleil, donc, mais plutôt une thématique universelle et qui pourrait encore servir de trame à un film aujourd’hui. Il ne manque en effet pas d’endroits dans le monde où de riches magnats vivent sur le dos de pauvres hères qu’ils exploitent dans le silence complice des autorités et des populations.
En extrapolant à ce village global qu’est devenu le monde, on peut même s’identifier à cette population muette, qui préfère garder ses œillères mais continuer à recueillir les fruits du sang et de la sueur des autres, parfois très loin, mondialisation oblige… mais c’est un autre débat. Et en bon spectateur lambda, on préfèrera largement s’identifier au héros intègre et juste au poitrail marqué d’une étoile qui brille au soleil…

Pour revenir au long-métrage lui-même, Le Salaire du diable en VF, Man in the Shadow en VO, il faut reconnaître qu’il est habilement mené par son réalisateur, Jack Arnold (pas un manchot, c’est vrai, et dont on se souvient peut-être plus de Tarantula, de L’Homme qui rétrécit, de L’Étrange créature du lac noir ou du Météore de la nuit). L’intrigue est rondement menée et le ton très vite donné : poisseux et collant, brûlant aussi, aidé par la chaleur accablante qui règne sur la ville et les environs.
Du côté des acteurs, on a Jeff Chandler, grand, un peu trop monolithique à mon goût mais incarnant peut-être idéalement, de ce fait, le flic borné et jusqu’au-boutiste, le seul qui pouvait en effet se lever et se battre contre une injustice flagrante et tant pis pour les conséquences… Chandler, en 57, a déjà une belle filmographie derrière lui, dont La Flèche brisée, pour lequel il reçut l’Oscar du meilleur second rôle, mais il mourra peu de temps après, en 1961, âgé de 42 ans, suite à une septicémie due à une erreur médicale…
En face de lui, en potentat cigare aux lèvres et sentiment de supériorité chevillé au corps : Orson Welles, l’homme de Citizen Kane, La Splendeur des Amberson, La Soif du mal, et pas mal d’autres et pas mal d’emmerdements et de controverses, aussi…

Au final, un film noir presque contemporain (en tout cas contemporain de sa période de tournage) au fort goût de western. La critique affichée d’une situation qui perdure (l’exploitation des wetbacks n’était-elle pas l’un des ressorts scénaristiques du récent Machete ?). Un film qui vise à travailler (un peu) les consciences et, l’air de rien, peut-être à en réveiller quelques unes. Qu’est-on prêt à accepter ? Jusqu’à quel point peut-on renier les règles et les lois qui régissent notre société ? Et combien de morts faut-il pour que les vivants réagissent ? Voilà quelques unes des questions que peut amener à se poser le film de Jack Arnold.

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