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Le Retour de l’inspecteur Harry – Clint Eastwood

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Sudden Impact. 1983.

Origine : États-Unis
Genre : Héros increvable
Réalisation : Clint Eastwood
Avec : Clint Eastwood, Sondra Locke, Pat Hingle, Paul Drake, Albert Popwell…

Toujours en délicatesse avec sa hiérarchie, Harry Callahan est aussi devenu l’homme à abattre pour tous les malfrats de San Francisco. Il ne peut plus se déplacer en ville sans engendrer fusillades et autres poursuites en voitures. Le désordre occasionné pousse le supérieur de Callahan à l’envoyer à San Paulo enquêter sur George Wilburn, originaire de la petite bourgade et dont le cadavre a été retrouvé dans sa voiture en baie de San Francisco. A peine l’inspecteur a-t-il mis un pied en ville qu’un meurtre a lieu, au mode opératoire identique à celui de Wilburn : une balle dans les parties génitales, une autre en pleine tête.

Après un médiocre troisième épisode (L’Inspecteur ne renonce jamais de James Fargo, 1976), l’inspecteur Harry Callahan semblait voué à rester dans la mémoire collective comme étant un personnage pleinement ancré dans les années 70. Or contre toute attente, le “sale” flic fait son grand retour en ce début des années 80, avec nul autre que Clint Eastwood en personne à la réalisation. En un sens, il apparaissait comme une évidence que l’acteur reprenne en main la destinée d’un personnage qui a beaucoup fait pour sa popularité, et auquel il demeure attaché. Sans surprise, il prolonge “l’adoucissement” du personnage amorcé dès Magnum Force tout en amenant le film sur un terrain plus conforme à ses préoccupations personnelles.

Le Retour de l’inspecteur Harry se divise en deux parties bien distinctes, scindées par le mélancolique End titles de Lalo Schiffrin. Au début, on retrouve Harry tel qu’on l’a toujours connu : solitaire, cabochard, en butte à sa hiérarchie (personnalisée par le toujours aussi détestable Capitaine Briggs, assurant ainsi le lien avec le précédent épisode) ; super sensible de la détente ; et rentre dans le lard. Petite nouveauté cependant, ses supérieurs ne lui ont imposé aucun partenaire. Harry est désormais considéré comme un vestige du passé, un homme au code moral obsolète qu’il conviendrait de mettre au rebut tant ses méthodes d’un autre âge coûtent cher à la ville. Ce côté dinosaure mis en avant par les supérieurs de Callahan pourrait être rapproché de Clint Eastwood lui-même, dont la place au sein du paysage cinématographique commençait à changer. Décennie qui a vu l’émergence des gros bras et des gros films d’action à leur gloire, les années 80 ont amené Clint Eastwood à modifier son approche du cinéma. Désormais conscient du temps qui passe, il n’hésite plus à prendre du recul par rapport à sa propre image. Ainsi, une scène en particulier vaut profession de foi lorsque dès son arrivée à San Paulo, Harry Callahan prend un malfrat en chasse en réquisitionnant un car qui transporte des retraités. Au terme d’une course-poursuite peu spectaculaire, il parvient à coincer le contrevenant sous les vivats des vieux passagers, qui n’avaient jamais vécu quelque chose d’aussi trépidant. Alors, Clint Eastwood serait-il devenu le héros du troisième âge ? Tout de même pas, mais cette scène est symptomatique de l’ironie mordante dont peu faire preuve l’acteur – réalisateur. Une ironie que l’on retrouve jusqu’à l’identité de son nouvel équipier pour son enquête à San Paulo, un bouledogue anglais. A force d’avoir constamment traité ses précédents coéquipiers comme des chiens, il apparaissait logique qu’il finisse par faire équipe avec un vrai. Tous deux forment un duo peu avenant, le petit nouveau apportant néanmoins une once de décomplexion, source de grivoiseries (il pète et pisse n’importe où) et d’humour à répétition (à tous ceux qui lui demanderont si ce chien est à lui, Harry leur répondra d’un laconique « Pourquoi ? Vous le voulez ? »), là où Callahan demeure imperturbable en toute circonstance. Quoiqu’en délaissant ses costumes d’inspecteur de la grande ville pour une tenue plus décontractée, Callahan indique avec quel peu d’estime il appréhende l’affaire que son supérieur lui a confiée. Nous avons affaire à un inspecteur plus relâché dès lors qu’il arrive à San Paulo, symbole de l’Amérique profonde dans toute sa splendeur.

Par ailleurs, en reprenant la destinée de son rôle phare, Clint Eastwood amène l’univers du célèbre inspecteur à se féminiser. Cantonnant jusqu’alors les personnages féminins à la portion congrue –même la jeune inspectrice Kate Moore dans le précédent épisode n’avait pu infléchir cette tendance, se bornant à un rôle d’admiratrice béate devant les méthodes musclées d’Harry Callahan–, la série effectue un sérieux virage sous son impulsion. Depuis Sierra torride de son mentor Don Siegel, Clint Eastwood écorne régulièrement l’image du héros viril et infaillible qu’il pouvait véhiculer jusque-là pour celle nettement moins glorieuse de la pauvre poire qui se fait constamment rouler dans la farine. Sans aller jusqu’à être le dindon de la farce comme avant lui Hogan (Sierra torride – 1970) ou Ben Shockley (L’Épreuve de force – 1977), Harry Callahan cède néanmoins sous l’emprise insidieuse de Jennifer Spencer. Face à son naturel désarmant, et une vision de la société identique à la sienne, la carapace de l’inspecteur se fendille au point de laisser transparaître une humanité qu’on ne lui connaissait que trop peu. Le talent de la jeune femme est de l’amener à penser qu’il dispose de toutes les cartes en main alors que c’est en vérité elle qui tire les ficelles. En soi, elle n’a rien de machiavélique. A l’instar de Callahan, il s’agit d’une personne profondément seule et meurtrie qui éprouve inconsciemment le besoin de confronter sa croisade vengeresse à l’approbation de l’inspecteur, le seul qui « a les couilles de faire ce qu’il faut pour rendre la justice ». L’inévitable affrontement final ne s’effectue alors plus tant sous l’office de la justice à rendre que de la volonté de l’inspecteur à venir en aide à une personne qui lui est cher. Plus encore que lors des précédents épisodes, ce Retour de l’inspecteur Harry se teinte de western. Avec cette bourgade au lourd secret enfoui impliquant différentes strates de sa population, cette manière de manier le flashback comme autant de visions cauchemardesques, et cet inventaire non exhaustif de la pourriture humaine, Sudden Impact n’est pas sans évoquer L’Homme des hautes plaines, le western au relent apocalyptique de Clint Eastwood. D’ailleurs, il n’hésitera pas à conférer à Callahan des allures de spectre vengeur lors du final, l’espace d’un plan aussi iconique qu’évocateur.

La saga aurait dû en rester là. Rachetant la médiocrité du précédent épisode sans non plus égaler L’Inspecteur Harry et Magnum Force, Sudden Impact fournissait la conclusion idéale pour un personnage en constante, quoique légère, évolution. Toujours aussi inflexible à l’encontre des voyous, Harry témoigne ici d’une plus grande ouverture d’esprit propre à l’enjoindre à fermer les yeux sur quelques faits délictueux lorsqu’il s’agit de corriger les manquements de la justice. Le changement dans la continuité, en somme. Ironie de la chose, que la fin cautionne à demi-mot l’auto justice ne soulèvera aucun tollé au sein des médias. Clint Eastwood s’est depuis acheté une respectabilité (sa prochaine réalisation –Pale Rider-, aura même droit à un passage par le festival de Cannes), et ce qui pouvait choquer tantôt suscite désormais une certaine bienveillance. La force de Clint Eastwood réside dans sa capacité à être toujours resté fidèle à lui-même, creusant imperturbablement le même sillon avec conviction et un savoir-faire grandissant.

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