CinémaFantastique

Le Passe-muraille – Pierre Tchernia

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Le Passe-muraille. 1977

Origine : France 
Genre : Réalisme magique 
Réalisation : Pierre Tchernia 
Avec : Michel Serrault, Andréa Ferréol, Roger Carel, Pierre Tornade…

Lorsque Dutilleul, petit fonctionnaire ultra-routinier sans aucune ambition ni envergure, découvre par hasard le don qu’il possède : celui de traverser les murs, il ne change pas ses habitudes pour autant. Le terne mais ponctuel employé du ministère de l’enregistrement poursuit sa tâche de scribe au style administratif et ampoulé sans penser un seul instant que traverser les murs pût être une chance ou une aubaine. Se pensant même d’abord malade, il va consulter, inquiet, un médecin un peu fantasque « qui en a vu d’autres, vous pensez ! », aux colonies, notamment. Nous sommes en 1938.
C’est lorsque débarque un nouveau chef de bureau que les événements se précipitent. Ce moustachu colérique et froid étant bien décidé à faire évoluer le style épistolaire de Dutilleul, leur affrontement devient vite inévitable. D’abord humilié devant ses pairs, puis relégué dans un réduit faisant office de débarras, Dutilleul se voit même insulté par son directeur de « vieille chose malpropre » et de « cancrelat routinier » ! Pour le modeste mais fier petit fonctionnaire, c’en est trop. Profitant de ce que son placard est attenant au bureau de son petit chef, il passe la tête à travers les murs et lui déclare tout de go qu’il est « un voyou, un butor et un galopin ! » A partir de ce moment-là, avec la prise de conscience de son pouvoir et de son usage possible, la vie de Dutilleul change du tout au tout et il entame une vie de gentleman cambrioleur pillant les banques et ridiculisant tous les systèmes de sécurité, signant ses forfaits du nom de Garou-Garou. Pour ce quadragénaire sans charme ni relief, la métamorphose est presque totale, au point que l’amour, à son tour, pointe son joli nez sous les traits d’une femme mariée…

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26 ans après Garou-Garou, le passe-muraille de Jean Boyer avec Bourvil, Pierre Tchernia s’attaque à son tour à cette nouvelle de Marcel Aymé et à son héros de circonstances. Et, tout comme Le Nain voyait sa vie changer après qu’il eût soudain grandi, ou Duperrier la sienne transformée après que Dieu lui eût fait don d’une auréole (La Grâce), une fois encore, c’est à un homme pétri d’habitudes et bien intégré à son milieu qu’arrive quelque chose d’inimaginable, l’obligeant à quitter son costume habituel et conforme à sa place dans la société pour en endosser un autre jusqu’à devenir un autre.
Ce prétexte donne l’occasion de rire ou de sourire, les aventures de Dutilleul pouvant faire écho à nombre de rêves éveillés de ses contemporains : se venger d’un chef tyrannique, s’enrichir sans effort en ridiculisant les puissants, atteindre par ce biais une aura quasi-mythique, séduire une femme mariée et s’introduire dans sa chambre malgré les murs d’enceintes, les façades inamicales et les portes verrouillées… Dutilleul, lorsqu’il se décide à user de son pouvoir, se découvre lui-même plus grand qu’il n’était, plus beau aussi, plus téméraire, et s’offre une vie un peu plus exaltante que celle qu’il menait avant, même si celle-ci lui convenait cependant tout à fait bien.
Hélas, trois fois hélas, cet opus-ci est réalisé pour la télévision française et cela se voit… La pauvreté des décors est consternante et on a terriblement l’impression d’assister à du théâtre filmé. Les effets spéciaux sont sommaires mais, somme toute, correspondent à l’époque et à l’ambition qui présida à la réalisation de ce téléfilm. Plus gênant, les tentatives de faire s’envoler littéralement Dutilleul et sa belle dans le lit d’icelle pour les intégrer dans un monde unicolore traversé de couvertures de revues de cinéma sont assez ridicules, tout comme leur tango sur un air chanté par Tino Rossi dans un décor d’émission de variétés tapissé de pochettes de disques du chanteur corse… Les quelques scènes en extérieur ne sauvent pas la mise, platement réalisées, chichement tournées, avec leurs figurants mal préparés et qu’on dirait plus posés là qu’autre chose.

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Et pourtant, l’ensemble se laisse finalement regarder. Pierre Tchernia se fait le narrateur de l’histoire, et sa voix calme et lente introduit sereinement les personnages, intervenant de temps en temps pour faire avancer l’intrigue, sans que cela soit trop gênant. On sent chez lui un amour certain pour l’univers de Marcel Aymé et ce n’est d’ailleurs que la première adaptation qu’il fera de l’écrivain français (les autres, outre La Grâce, déjà mentionnée, étant Lucienne et le boucher, en 1984, Héloïse, en 1990, et L’Huissier, en 1991).
Deuxième atout du film, son interprétation. Le rôle-titre est joué par un Michel Serrault parfaitement à l’aise dans ses oripeaux de petit fonctionnaire. Et c’est peut-être dans les quelques scènes où l’on voit sa maniaquerie de parfait routinier, plaçant et replaçant son sous-main plusieurs fois jusqu’à atteindre la position parfaite de celui-ci, avant de sucer sa plume, de caler ses feuilles, d’agencer ses autres petits ustensiles de bureau encore et encore, que le format télévisuel se fait le plus acceptable. A ses côtés, un Pierre Tornade vibrionnant en chef de bureau finissant par virer dingo, un Jean Obé étonnant en médecin blasé, une Andréa Ferréol aux yeux vibrant de passion refoulée, sans oublier un Roger Carel en chef de prison survolté que, pour ma part, je trouve toujours aussi horripilant dans ses excès grimaciers.

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Fût un temps où France 2 s’appelait Antenne 2. De ce temps il reste donc quelques téléfilms, dont ce Passe-muraille finalement sympathique mais purement télévisuel et très daté. On peut prendre à sa vision un plaisir manifeste, à condition de ne pas en attendre de trop et d’accepter son format bon marché. Un peu comme Duperrier dans la bigoterie ou Dutilleul au ministère de l’enregistrement, Pierre Tchernia est un bonhomme modeste, sympathique et raisonnable qui a fait carrière à la télévision. Dommage qu’il n’ait pas bénéficié d’un don lui permettant de transcender ses œuvres et de les rendre plus mémorables. En attendant, elles continuent à vivre grâce à l’Ina (l’Institut national d’audiovisuel) et restent, à leur niveau, d’aimables divertissements.

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