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Le Jour d’après – Roland Emmerich

jourdapres

The Day after tomorrow. 2004

Origine : États-Unis
Genre : Catastrophe
Réalisation : Roland Emmerich
Avec : Jake Gyllenhaal, Dennis Quaid, Emmy Rossum, Glenn Plummer…

Une série de catastrophes climatiques frappent le monde : Tokyo subit une averse de grêlons à la taille démesurée, Los Angeles est dévastée par plusieurs ouragans en même temps, New York est engloutie sous les eaux d’un raz de marée… Et bien ça y est, le climatologue Jack Hall (Dennis Quaid) avait raison : à force de polluer à tout va, les hommes ont fini par bousiller leur environnement, entraînant un rééquilibrage naturel qui va détruire la vie telle qu’on la menait jusqu’ici. Une nouvelle ère glaciaire s’installe à coup de tempête sur la majeure partie de l’hémisphère nord, incluant la moitié des Etats-Unis. Si tout le monde loue (à retardement, sinon on en serait pas là) ses qualités professionnelles, Jack estime qu’il a pourtant encore quelque chose à prouver. A savoir ses qualités de père, qu’il a trop souvent négligées par le passé. Il part donc à l’aventure direction le nord des États-Unis, et plus précisément la bibliothèque de New York, où son fils Sam (Jake Gyllenhaal) a trouvé refuge avec quelques autres malheureux qui se les gèlent comme des russes.

Chic, Roland Emmerich délaisse les films catastrophes fantaisistes (invasion d’extra-terrestres ou de Godzilla) pour un film catastrophe ancré dans son époque, relatif aux dérèglements climatiques. Un sujet qui a en outre le mérite de contenir un potentiel contestataire non négligeable alors que les Etats-Unis refusent toujours de ratifier le protocole de Kyoto (l’administration de George W. Bush s’y opposera une nouvelle fois en 2005). Quelle mouche a donc piqué le bon Roland, lui qui tournait encore Le Patriote quatre ans auparavant ? Et bien justement : la météo capricieuse sur ce même tournage, qui perturba les scènes d’extérieur. C’est du moins ce qu’il laisse entendre, encore qu’il s’agisse probablement plus d’une boutade. Toujours est il que Le Jour d’après ne badine pas sur les références : le film se base sur The Coming Global Superstorm, un livre co-écrit par l’animateur radio Art Bell et par l’écrivain de science-fiction Whitley Strieber, connu entre autres pour les liens qu’il prétend avoir avec les extra-terrestres. C’est d’ailleurs l’un de ces visiteurs (“le maître des clefs”) qui lui aurait parlé des problèmes environnementaux sur Terre, lui fournissant ainsi l’idée du livre. Ne pouvant en rester à ce seul livre, Emmerich eut également recours aux conseils du Dr. Michael Molitor, un scientifique impliqué dans le protocole de Kyoto. Et pour prouver sa bonne foi, le réalisateur mis de sa propre poche une somme d’argent destinée à contrebalancer la pollution générée par son tournage. Ainsi le carbone rejeté fut compensé par des investissements dans des énergies renouvelables et par la plantation d’arbres. Emmerich s’est donc mit à la page, et c’est tant mieux. Mais dans le cas présent, il ne serait pas non plus négligeable de le voir modifier ses conceptions du cinéma. Son point de départ scientifique est plutôt bon et reflète l’opinion de certains scientifiques : le réchauffement de la planète entraînera la fonte des glaces arctiques, ce qui va perturber l’équilibre salin de l’océan Atlantique et détruire les courants chauds (comme le Gulf Stream). Conséquence : privé de sa principale source de chaleur, l’hémisphère nord aura droit à une baisse drastique des températures. Une prédiction qui fait encore débat, principalement autour de l’Europe où il n’est pas sûr que le Gulf Stream ait une telle importance sur le climat tempéré du vieux continent, mais qui est réellement évoquée. Emmerich se base donc sur une hypothèse crédible… et s’empresse de la développer au-delà de toutes les prévisions scientifiques.

Les partisans eux-mêmes de la théorie du refroidissement sont encore très loin d’évoquer une nouvelle ère glaciaire : étant à peu près sur la même latitude que le Canada (Bordeaux est en fait sur la même ligne que Montréal), l’Europe connaîtrait au pire une baisse des températures de 10°C, ce qui fait tout de même une bonne marge d’avec les -60°C que Emmerich relève en Écosse. Encore plus catastrophiste : Emmerich étale l’arrivée de cette nouvelle ère glaciaire sur une période n’excédant pas les 2 semaines… Une telle soudaineté est rejetée unanimement : les plus pessimistes jugent que la baisse des températures commencerait à se faire vraiment ressentir vers 2020, tandis que d’autres parlent de plusieurs siècles. Bref Emmerich a cédé au spectaculaire, ce qui n’est guère étonnant de sa part. La bonne idée scientifique de départ ne tient pas longtemps face aux velléités hollywoodiennes du réalisateur, qui préfère de loin en mettre plein les mirettes qu’étudier les répercussions réalistes de la théorie qui lui sert de base. Cette dernière se limite donc à un postulat assez simple. Pour plus d’explications et pour plus de réalisme, prière d’aller voir ailleurs. En revanche, Emmerich bénéficie d’une “idée collatérale” plutôt étonnante : la moitié de leur territoire étant inhabitable, les Etats-Unis sont obligés de faire des courbettes au Mexique pour pouvoir déplacer sa population. Eux qui réprimèrent longtemps l’immigration mexicaine sont obligés d’émigrer au Mexique. D’où un certain discours sur l’actuelle arrogance de l’Amérique face aux pays émergents et du tiers-monde. Mais bon, cela ne va pas chercher bien loin non plus : les dirigeants américains passent en un claquement de doigts auto-critique du stade de vilains capitalistes pollueurs à celui de gentils démocrates miséricordieux sans passer par les cases diplomatique et économique. En d’autres termes, il n’y a pas d’interlocuteurs mexicains, il n’y a pas d’évocation de la dépendance économique mexicaine vis-à-vis des Etats-Unis (ceux-ci annulent la dette… la belle affaire !). Bref, c’est de la politique sommaire. Tout comme pour le propos écologique, le propos politique se fait rudimentaire, exploitant un constat avéré en jouant sur le côté “choc” plutôt qu’en analysant vraiment la situation. Emmerich n’a finalement pas beaucoup changé.

Une fois cette désillusion passée, prenons donc le film pour ce qu’il est, c’est à dire un mastodonte hollywoodien. Les scènes de catastrophe sont il est vrai impeccables. La dévastation à très grande ampleur de Los Angeles et surtout celle de New York (en deux temps : pluie puis neige) donnent des images impressionnantes. A ce titre, le choix d’avoir condensé la durée d’installation de la nouvelle ère glaciaire s’explique largement : tout va très vite, tout ce que l’on connaît est balayé, englouti sous les eaux ou la neige, et la réaction des badauds est adaptée. La fin du monde semble imminente. Le hic, c’est qu’une fois passée ces réjouissances il ne subsiste plus que les personnages et leurs péripéties dans cet environnement hostile. Et c’est principalement là qu’Emmerich saccage son film. La famille Hall répond exactement aux clichés horripilants d’Hollywood : le père courageux qui veut prouver son amour pour son fils, le fils introverti mais intelligent au point d’organiser la survie de quelques personnes, et la mère qui faute de mieux attend le retour de ses hommes en s’occupant d’un enfant gravement malade… Tous risquent leur vie, tous sont généreux, tous sont profondément humains. On rajoute à cela une sous-intrigue amoureuse entre le fils Hall et sa camarade Laura, qui passe par un stade de jalousie avant de bifurquer par l’étalage de bravoure pour sauver la demoiselle de plusieurs périls (le froid, la maladie) où le gentil Sam gagnera définitivement les faveurs de la donzelle. Le Jour d’après est alors un vrai catalogue de stéréotypes hollywoodiens. On y trouve même l’alibi ethnique en la personne d’un SDF noir amusant réfugié à la bibliothèque en compagnie de son chien (bien entendu, ni le maître ni le chien n’ont de rôle à jouer). La palme de l’agacement revient quand même à Jack Gyllenhaal et à Emmy Rossum, le premier au faciès de Droopy et la seconde aux yeux de biche, qui incarnent la niaiserie dans toute sa splendeur. Et vas-y que je te prends dans mes bras pour te réchauffer (et certainement pas à la façon de Baby Cart), et vas-y que je t’avoue mon amour au coin du feu, et vas-y que je fais des cascades pour te sauver… Le mythe conservateur misogyne (voire réactionnaire, après tout nous sommes au XXIème siècle) du héros romantique a encore de beaux jours devant lui. Emmerich ne s’en prive pas : c’est tellement facile et ça fait pleurer dans les chaumières.

En parlant facilité, l’action post-déluge n’est pas en reste et donne des scènes franchement grotesques. Voir un bateau russe débarquer à New York et s’immobiliser pile devant la bibliothèque laisse songeur. Les russes en profiteraient-ils pour faire main basse sur les Etats-Unis ? Que nenni. Les russes font face à leurs propres problèmes, qu’Emmerich se garde bien d’aborder (les pays étrangers ne sont bons qu’à être démolis avant d’être oubliés). L’explication viendra plus tard, non pas tirée par les cheveux mais avec le scalp arraché : Sam a besoin de médicaments pour Laura, et il va donc fouiller le bateau. La coïncidence est belle ! Cela donne l’occasion au réalisateur de magnifier son héros via une scène d’action menée tambour battant. Car des loups affamés se sont justement échappés et ont trouvé refuge sur le bateau. Car la tempête amène une soudaine nouvelle chute des températures, qui risque bien de geler Sam et ses amis explorateurs sur place. C’est donc une course contre la montre complètement idiote : voir les clampins se faire poursuivre par le gel est aussi ridicule que de les voir fuir des loups numériques atrocement mal réalisés (autant ILM et les autres compagnies d’effets spéciaux ont réussi à montrer les catastrophes climatiques d’ampleur, autant ils n’ont pas su réussir trois misérables loups). Si cet exemple du bateau est le plus frappant de la haute débilité à laquelle Emmerich en est réduit après avoir trop rapidement éclusé les changements climatiques, il n’est pourtant pas le seul. Toute la deuxième partie est dominée par ce genre de remplissage où l’héroïsme (et tout ce qui en découle : amour, amitié, sens du sacrifice…) se tire la bourre avec des scènes d’actions improbables. On retiendra également le périple du père Hall, qui si il est géographiquement incompréhensible (malgré les conditions météo et son équipement encombrant, il semble mettre trois jours pour aller à pied de Philadelphie à New York) propose lui aussi des scènes d’action / émotion typiquement hollywoodiennes. Avec la famille Hall, l’Amérique de propagande reste debout envers et contre tout. Emmerich a encore recours aux symboles de l’Amérique, qu’il détruit parfois (le drapeau gelé) mais qui se maintiennent d’autre fois et finissent par être sauvés. Ainsi a-t-il avoué que si la statue de la liberté restait debout malgré les lois de la physique qui auraient dû la faire s’écrouler, c’était pour mieux symboliser les valeurs américaines résistant face à l’adversité.

Tout avait pourtant bien démarré dans ce Jour d’après : hypothèse prometteuse et d’actualité, sujet politique, scènes d’action impressionnantes. Avec toute le consensus qui le caractérise, Emmerich a réussi l’exploit de tout rendre affligeant. Il est en fait le vrai fléau du film.

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