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Le Chien des Baskerville – Terence Fisher

chiendesbaskerville

The Hound of The Baskerville. 1959

Origine : Royaume-Uni
Genre : Policier, Fantastique
Réalisation : Terence Fisher
Avec : Peter Cushing, Christopher Lee, André Morell, Marla Landi…

Le Chien des Baskerville est sans conteste l’une des plus célèbres aventures de Sherlock Holmes. Son entrecroisement de fantastique et de policier a séduit plus d’un lecteur, mais a aussi beaucoup inspiré les cinéastes, et pas seulement au Royaume-Uni. L’Allemagne a notamment fort prisé le roman de Conan Doyle, chaque régime politique (R.D.A. exceptée) depuis le début du vingtième siècle ayant vu défiler une adaptation : l’Empire en 1914, la République de Weimar en 1920, le Troisième Reich en 1937 et la R.F.A. en 1955. Tant et si bien qu’avec ses deux adaptations en 1921 et 1932, le pays d’origine de cette histoire se retrouvait débordé. Mais il est vrai qu’entre 1939 et 1946, les 14 films américains avec Basil Rathbone dans le rôle de Sherlock Holmes imposaient une forte concurrence. Le Chien des Baskerville avait d’ailleurs été le premier de cette saga. Il fallut donc attendre l’initiative de la Hammer pour essayer de reprendre les choses en main : elle qui s’était déjà réappropriée le patrimoine fantastique britannique ne demandait pas mieux que de relancer Sherlock dans son pays natal. Et pour cela, rien de mieux que Le Chien des Baskerville, qui entre sa parenté avec l’épouvante et son cadre rural s’inscrivait parfaitement dans le savoir-faire de la compagnie, qui en outre ne rata pas l’occasion de s’inscrire dans l’Histoire en tournant le premier film de Sherlock Holmes en couleurs. Mais c’était sans compter sur deux phénomènes qui allaient faire avorter cette saga en devenir : d’une part l’impact laissé par les films avec Basil Rathbone allait forcément jouer en défaveur d’une nouvelle version (Cushing fut effectivement critiqué) et d’autre part les fans de la Hammer allaient se montrer déçus de l’absence de monstres tels que Dracula, Frankenstein, la momie et autres icônes horrifiques. Il fallut attendre quelques années pour que la version Hammer du Chien des Baskerville ne soit réhabilitée, mais il était alors déjà trop tard pour que la Hammer se charge de nouvelles adaptations de Conan Doyle. En revanche, Peter Cushing pu reprendre le rôle de Holmes à la télévision à la fin des années 60.

Sir Charles Baskerville est retrouvé mort dans la lande jouxtant son manoir, apparemment d’une crise cardiaque. La terreur qui se lisait sur le visage du trépassé semble indiquer qu’une nouvelle fois, un Baskerville a été victime du chien de l’enfer, apparu pour la première fois deux siècles auparavant, lors de la mort de l’infâme Hugo Baskerville. Il n’y a désormais plus qu’un seul héritier familial, sir Henry (Christopher Lee), qui ne croit pas à ces superstitions. Mais mieux vaut s’assurer de sa sécurité, et c’est pourquoi Sherlock Holmes (Peter Cushing) et son fidèle docteur Watson (André Morell) acceptent de se rendre au manoir.

Alors, fantastique, Le Chien des Baskerville ? Pas dans son scénario en tout cas, puisque le fameux chien de l’enfer n’y joue aucun rôle, si ce n’est lors de l’introduction et du final. Le reste du temps, il n’est que l’argument avancé à Sir Charles pour qu’il ne se rende pas dans la lande. Rien n’est fait pour faire croire à sa véracité, et surtout pas que Sherlock Holmes se déclare sceptique vis à vis de son existence. Avec l’autorité dont il dispose et sur laquelle nous reviendrons, il serait étonnant que le plus célèbre détective du Royaume-Uni se trompe et doive faire face à une créature sur laquelle il n’aurait aucune emprise. Terence Fisher axe son scénario sur une intrigue purement policière, et pas vraiment des plus élaborées. S’appuyant sur les personnalités suspectes des divers voisins de Sir Charles, du pasteur entomologiste excentrique aux domestiques cauteleux en passant par le fermier antipathique, sa fille fougueuse, par un médecin querelleur et par un forçat évadé, le réalisateur et son scénariste ont recours à un classique éventail de suspects que l’on soupçonnera au gré des quelques fausses pistes parfois peu subtiles (et qui ne figurent pas dans le roman de Conan Doyle, comme pour le coup de l’araignée mortelle et celui de l’effondrement de la mine, portant respectivement les soupçons sur l’entomologiste et sur le médecin). L’une d’entre elles nous mènera jusqu’à la révélation finale, qui apparaîtra bien simple, ou en tout cas indigne du statut de Sherlock Holmes.

Fisher se montre plutôt léger sur son scénario, mais après tout, tout excellents qu’ils soient, ses Dracula ou Frankenstein n’étaient pas non plus des modèles d’élaboration. Leurs qualités tenaient essentiellement dans leur ambiance, dans leurs principaux personnages et dans leur modernisation du genre, devenu sous l’égide de la Hammer bien plus “méchant” qu’il ne le fut lors du règne de la Universal. Des atouts que l’on retrouve dans Le Chien des Baskerville, sauf peut-être en ce qui concerne la modernité car nous n’y trouvons rien qui soit capable de faire enrager les moralistes (ou peut-être le côté “femme fatale” de la fille du fermier ?). Ce qui tient peut-être à son appartenance au genre policier, où Fisher n’a pas le même esprit novateur. Par contre, le personnage de Peter Cushing, seul véritable personnage important puisque Christopher Lee joue un rôle très attentiste qui aurait davantage convenu à un jeune premier (en revanche, il aurait fait merveille dans celui du sadique Hugo Baskerville, mais sa présence n’aurait alors pas dépassé l’introduction), le personnage de Peter Cushing, disais-je, est très proche de son Van Helsing. Et au passage, le Holmes de Cushing se rapproche beaucoup de celui de Conan Doyle. Caractériel, vaniteux, condescendant et adoptant des méthodes parfois inquisitrices, y compris vis à vis de ses clients. Mais cette fois, à la différence du fanatique Van Helsing, tout cela n’est qu’une stratégie employée pour mener à bien son enquête, quitte à manipuler le monde si il le faut. Car en privé, principalement avec le transparent Watson, Holmes est un gentleman très “british”, fumant la pipe dans son salon victorien. Son intransigeance professionnelle bouscule la bienséance, focalise l’attention des clients et des suspects et leur dissimule la profonde intelligence de Holmes, qui maîtrise la situation de bout en bout.

L’autre grand atout du Chien des Baskerville version Hammer est sa beauté plastique, que Fisher utilise habilement en se basant sur la légende du chien. Car si l’existence du molosse manque de preuve matérielle, elle impose son aura sur la lande, ce que le réalisateur ne manque pas d’utiliser. Les intérieurs sont du même niveau très élevé que les films de Dracula, avec des éclairages très soignés et des points de vue minutieusement réfléchis (le manoir des Baskerville n’est d’ailleurs rien d’autre que le château de Dracula), et c’est donc essentiellement les extérieurs que l’on retiendra du présent film. Cette campagne du Dartmoor (bien que le film fut tourné dans le Surrey) désolée et automnale, est digne des peintres romantiques du XIXème siècle, d’autant plus que Fisher y incorpore une abbaye en ruine, une mine abandonnée et un marais, bref tout pour inspirer la mélancolie voire l’angoisse une fois que la nuit tombée et que l’on entend le cri du chien des Baskerville. La luminosité naturelle et magnifique des lieux ne nécessite pas forcément un travail très poussé de la part du directeur de la photographie Jack Asher (le spécialiste maison de la Hammer), mais en revanche Fisher se doit d’exploiter convenablement ce décor grandiose pour en retranscrire la désolation. Ce qu’il fait admirablement en ayant recours à des plans larges qui à l’instar des panoramiques du western permettent de rabaisser les personnages, insignifiants dans une telle nature, et par là même de renforcer la menace abstraite constituée par la légende du chien.

Si dans l’absolu Le Chien des Baskerville n’est pas le meilleur Hammer (un scénario trop chiche avec des ficelles trop grosses, un Christopher Lee trop peu à sa place), il impose en tout cas le respect sous la contrainte d’un Peter Cushing au sommet de sa forme. Mais pour tout dire, le plus important est pour moi la perfection de sa conception. Il s’agit tout simplement du plus beau film tourné par la Hammer… Fantastique ou non, c’est un peu le Barry Lyndon de l’épouvante gothique.

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