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Le Chat à neuf queues – Dario Argento

chatneufqueues

Il gatto a nove code. 1971

Origine : Italie / France / R.F.A.
Genre : Giallo
Réalisation : Dario Argento
Avec : Karl Malden, James Franciscus, Catherine Spaak, Pier Paolo Capponi…

Malgré le succès de L’Oiseau au plumage de cristal, Dario Argento n’aborde pas son second film en toute quiétude. Si le financement n’est plus trop un problème, pas plus que les questions artistiques, c’est cette fois au niveau du casting que le réalisateur doit faire face aux pressions. Pour satisfaire aux besoins d’une exportation à l’international, ses producteurs lui imposent un casting dominé par deux américains, Karl Malden et James Franciscus, dont il s’agit du premier et dernier giallo, et d’une paire d’autres acteurs aux origines diverses (la française Catherine Spaak et l’allemand Horst Frank, et puis bien entendu des italiens… ça tombe bien, puisque c’est une co-production franco-germano-italienne). Mais après tout, le réalisateur aurait pu tomber plus mal. Ses acteurs répondent tous aux besoins d’un film qui admettons le tout de suite marque un petit recul par rapport à L’Oiseau au plumage de cristal.

Alors qu’il marchait tranquillement dans la rue avec sa nièce Lori, l’ex-journaliste aveugle Franco Arno (Karl Malden) entend un homme dire à un autre qu’il ne veut pas le faire chanter, mais qu’il est obligé de tout dévoiler. Sentant une chose louche, Franco prétexte alors un lacet défait pour demander à sa nièce de discrètement regarder qui sont ces hommes. Elle n’en voit qu’un, qu’elle décrit à son oncle. Le lendemain, un institut de recherches génétiques géré par le Professeur Tanzi est victime d’une intrusion, mais le malotrus n’emporte rien. Le surlendemain, un homme est poussé sous un train. Il s’agit du docteur Calabresi, l’homme aperçu par Lori. Franco décide alors d’aller voir Carlo Giordani (James Franciscus), un journaliste rencontré le jour du vol à l’institut Tanzi, et de mener son enquête avec lui pour trouver le voleur / tueur avant que celui-ci n’ait pu tuer tous ceux capables de trahir son identité.

Toujours aussi fortement inspiré par la littérature anglo-saxonne que par les gialli, qu’ils soit cinématographiques ou “pulps”, Dario Argento s’en va cette fois frayer du côté des “armchair detectives” (détectives en fauteuil) pour rédiger son scénario en compagnie de Dardano Sachetti, mais aussi, de façon officieuse, de Bryan Edgar Wallace. Un romancier et scénariste à l’origine de quelques krimis allemands à base de Scotland Yard. C’est que le krimi emprunte beaucoup au policiers de la littérature britannique, dont les armchair detectives font partie. Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, tous deux se sont essayés dans ce domaine, bien que son vaillant emblème soit le Nero Wolfe de Rex Stout. Dans Le Chat a neuf queues, ce rôle incombe à Franco Arno, que la cécité empêche d’aller lui-même sur le terrain. Il est donc le cerveau, tandis que Carlo Giordani est les bras et les jambes. Ce qui ne veut pas dire que le personnage de Karl Malden reste dans son fauteuil durant tout le film : il peut lui aussi se déplacer à l’occasion, pour un interrogatoire. Il a également son rôle à jouer dans le final mouvementé… mais là, Argento use de sa cécité pour ressortir le fameux humour noir hitchcockien déjà en vigueur dans son précédent film. C’était bien le moins qu’il puisse faire (et en plus cela créera un précédent dans la filmographie d’Argento). Le réalisateur passe en revanche à côté d’une piste qu’il avait pourtant dégagée au début de son film : l’utilisation de l’ouïe comme pilier du thriller. Là où le héros de L’Oiseau au plumage de cristal était un témoin oculaire obsédé par le spectacle d’une scène de crime, Franco Arno partait pour être travaillé par ce qu’il entend, à commencer par le dialogue au début du film entre Calabresi et celui qui est certainement son assassin.

Le Chat a neuf queues pouvait alors s’orienter dans la voie d’un giallo sensoriel mettant le son au cœur de l’enquête, ce qui avec le talent d’un compositeur comme Ennio Morricone semblait prometteur. Hélas Argento dédaigne cette orientation, se contentant d’une seule scène abordant vraiment le sujet, celle d’un médaillon glissé sur sa chaîne par sa propriétaire stressée. Morricone compose bien une très bonne BO, dans la lignée de celle de L’Oiseau au plumage de cristal, mais elle n’intervient pas dans le récit comme elle aurait du, se contentant d’illustrer et de créer l’ambiance. La cécité de Franco n’est pas utilisée à sa juste valeur. Argento essaie de recréer le penchant de ses personnages pour les enquêtes mettant leur vie en danger, comme il le faisait dans son film précédent, mais il pêche cette fois par excès de grandeur : non seulement il y a désormais deux personnages principaux (ce qui l’empêche de dresser complètement leur portrait psychologique), mais en plus l’enquête se divise en neuf pistes différentes (les neuf queues du chat), que le réalisateur ne peut toutes illustrer. Le film semble ainsi fait d’ellipses, certains des scientifiques soupçonnés étant oubliés en cours de route. Le scénario semble quelque peu tiré par les cheveux, servant de support aux idées éparses du réalisateur, tel que la présence d’une femme fatale jouée par Catherine Spaak, mais aussi et surtout les quelques scènes de meurtres, aussi mal intégrées au récit (les victimes sont ainsi systématiquement assassinées dans la minute précédant l’arrivée des enquêteurs) que techniquement très bien foutues (superbe, l’étranglement du photographe dans sa chambre noire -qui est en fait jaune- ! magnifique, la scène du lait empoisonné !). Il n’y a pas à dire : Argento reste un metteur en scène talentueux, le final sur un toit en pente est par exemple un grand moment, mais il cède ici à la tentation du film facile, tout juste bon à prouver son talent de metteur en scène. Or, sans scénario capable de justifier ses effets de style (par exemple ses effets de montage en plans subliminaux, ou encore cette très belle vision subjective dans un couloir plongé dans le noir), difficile d’accrocher vraiment au résultat. Et puis l’histoire du fameux gène de la criminalité, c’est quand même n’importe quoi !

Le Chat a neuf queues n’est pas un mauvais giallo. C’est un film plutôt sympathique, bien conçu, mais dépourvu de profondeur. Argento s’y regarde filmer et oublie le reste, comme le premier réalisateur de giallo venu disposant d’un minimum de talent. Puisqu’il est capable de faire bien mieux (son premier film l’a démontré), cela entraîne forcément la déception. Pas celle des producteurs, toutefois, puisque ce film fut un autre grand succès.

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