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La Voie lumineuse – Grigori Aleksandrov

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Светлый путь. 1941

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Comédie socialiste 
Réalisation : Grigori Aleksandrov 
Avec : Lyubov Orlova, Yevgeni Samojlov, Yelena Tyapkina, Vladimir Volodin…

Tania Ivanovna Morozova (Lyubov Orlova) est une jeune fille solitaire, employée comme bonne à tout faire auprès d’une mégère aisée. Après avoir été surprise en train de tourner son employeuse en ridicule auprès du sympathique ingénieur de passage Aleksei Nikolaïevich Lebedev (Tevgeni Samojlov), Tania est mise à la porte. Elle trouve refuge auprès de Mariya Sergeyevna Pronina (Yelena Typakina), une communiste qui lui trouve un emploi dans une usine de textile. Pour son plus grand bonheur, Tania y retrouve Aleksei, et pour le plus grand bonheur de tous elle se révèle une employée modèle, laissant bientôt tomber le balai pour manier les machines à coudre. Son rendement est tel qu’elle bat les records, qu’on la compare au mineur Stakhanov et qu’elle se retrouve décorée de l’Ordre de Lénine !

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Après avoir travaillé étroitement pendant une dizaine d’année avec Eisenstein en tant qu’acteur (Stachka, Le Cuirassé Potemkine) co-réalisateur (pour Octobre, La Ligne générale, Que viva Mexico !) et co-scénariste (tous les films cités), Grigori Aleksandrov est devenu l’un des favoris de Staline, tout comme son épouse l’actrice Lyubov Orlova que d’aucuns en occident considèrent comme l’émule soviétique de Marlene Dietrich. Autant dire qu’en 1940, peu après les purges et peu avant une guerre jugée inévitable et que le pays préparait d’arrache-pied (en pleine période de répit par le truchement du pacte Molotov-Ribbentrop), lorsqu’il démarre La Voie lumineuse, sa liberté créatrice est pour le moins réduite. On ne s’étonnera donc pas de voir qu’un couple aussi réputé que celui composé par Aleksandrov et Orlova donne jour à ce qui est un pur film de propagande à peine mis en formes par une intrigue de fiction extrêmement minimaliste. Ce qui n’est pas un gage de médiocrité : nous sommes après tout en compagnie d’un proche d’Eisenstein, qui avec ce dernier a réussi à prouver que cette forme de cinéma n’était pas dépourvu d’intérêt. Par le fond et la forme Le Cuirassé Potemkine ou Octobre se servaient d’une mise en scène révolutionnaire pour expliquer la ferveur populaire militant pour la cause du socialisme. Hélas, rien de tout cela dans La Voie lumineuse où la mise en scène est loin d’être géniale et où la propagande s’auto caricature en évitant soigneusement de se baser sur du réel. L’aspect humain propre à l’émulation socialiste qu’incarne Tania ne repose sur rien, en partie parce que ladite Tania se montre bien trop cruche pour pouvoir se laisser convaincre de la nécessité et des bienfaits du socialisme. Jeune femme extrêmement fantasque au comportement enfantin, au point d’être proche de l’arriération mentale au début du film, elle devient stakhanoviste d’une façon artificielle, qui ne reçoit pas l’ombre d’un début d’explication. Une fois mise à la porte de la maison où elle était employée (et où la question de ses conditions de vie est réduite à la personnalité de sa patronne), elle se retrouve balayeuse à l’usine puis couturière, puis ingénieure décorée de l’ordre de Lénine. L’origine de cette progression ? Inconnue au bataillon ! Tout est parti de sa proposition soudaine d’augmenter le nombre de machines, proposition avalisée par Molotov lui-même depuis le Kremlin. Ce n’est en tout cas pas pour les beaux yeux d’Aleksei qu’elle a pris cette initiative, car bien que ce dernier soit impressionné par sa dulcinée, sa relation avec elle se limite à quelques discussions dans un cadre romantique (la fête du nouvel an sous la neige, par exemple) et très dépolitisé. C’est encore moins par conscience socialiste : Tania ne parle jamais politique. Et comme lui fait justement remarquer Mariya, son amie cadre du Parti, pleurer parce que son record personnel est battu (peu après qu’elle l’ait décroché) n’est pas la marque d’un esprit particulièrement collectiviste. A ce sujet, Aleksandrov ne replace jamais les efforts de son héroïne dans la perspective globale de la construction du socialisme, sans parler de la finalité collective des bénéfices du travail. Il se contente de placer de nombreuses chansons à la gloire de l’U.R.S.S., dont les textes sont d’ailleurs très faiblards, et qui de toute façon ont bien moins d’impact que n’en aurait eu une intrigue comportant elle-même cette dimension politique. L’impression que donnent ces chansons est justement qu’elles sont là pour ajouter avec de gros sabots ce versant politique qui manque dans les non-aventures de Tania. Et il en va de même pour les références réelles, celles faites à Molotov, à Ordjonikidze, au Sovnarkom (plus ou moins équivalent au gouvernement), à Lénine (via un buste)… De la propagande mécanique et somme toute fumeuse.

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De quoi parle donc La Voie lumineuse ? Il s’agit tout simplement de montrer le “rêve soviétique”, en montrant avec de grosses ellipses (plusieurs années se passent, c’est du moins ce qu’on apprend lorsque les dates sont évoquées dans les dialogues) comment une simple femme de ménage illettrée se retrouve portée au pinacle par le pays. Sans aucun contexte politique, sans la greffe des figures classiques du marxisme soviétique, ce sujet pourrait aussi bien se retrouver dans n’importe quel cinéma national, l’américain en tête. Du reste, le destin de Tania est souvent comparé par ses camarades à celui de Cendrillon. Un conte. C’est dire s’il souffre d’une grande vacuité. A l’époque de sa sortie au plan national, bien entendu, les efforts de Tania ne pouvaient être perçus par son public que dans le cadre de l’U.R.S.S. d’avant guerre. 50 ans plus tard, dans un pays différent, le film en lui-même ne signifie plus grand chose si ce n’est aux yeux des férus d’histoire ou de soviétologie, qui pour les raisons évoquées sont également en droit de ne pas se montrer très convaincus. Dès lors, difficile de pardonner à Aleksandrov, alors que non seulement Eisenstein mais aussi d’autres cinéastes ont réussi à faire de la propagande “durable”. Et ce ne sont pas les quelques idées de mises en scène qui réussiront à tirer le tout vers le haut : il y a certes de bien beaux plans (la poussière balayée qui s’élève pour se transformer en neige, puis en pluie, puis dans le jet d’une douche) mais ils sont totalement superflus. Et que dire de cette emphase caractérisant la dernière partie du film, qui en fait des tonnes et des tonnes sur le rêve éveillé que vit l’héroïne, un peu plus mature mais toujours bien cruche alors que Aleksandrov provoque toujours aussi artificiellement l’emballement des images propagandistes, finissant même son film devant la statue de L’Ouvrier et la Kolkhozienne servant de logo à la Mosfilm et de monument au pavillon soviétique de l’exposition universelle de 1937 ? Cela tourne à l’indigence, et ce n’est assurément pas cela qui servira la cause marxiste-léniniste. Avec La Voie lumineuse, nous sommes clairement dans du très mauvais cinéma de propagande exacerbée et, c’est là la clef de l’échec, totalement creuse.

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