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La Vallée perdue – James Clavell

The Last Valley.1970.

Origine : États-Unis/Royaume-Uni
Genre : Guerre de religions
Réalisation : James Clavell
Avec : Michael Caine, Omar Sharif, Nigel Davenport, Florinda Bolkan…

Alors que la Guerre de Trente Ans fait rage, Vogel, un ancien instituteur, fuit les carnages à la recherche d’un endroit paisible où se requinquer. Une quête désespérée qui aboutit à la découverte inespérée d’un village sis au sein d’une vallée luxuriante et paisible. Il a enfin trouvé son eldorado. Mais sa joie est de courte durée. Un groupe de soldats fait irruption, tout enclin à piller les richesses du village sans même dire merci. Grâce à sa faconde, Vogel parvient à convaincre le capitaine des soldats de profiter de cet endroit magnifique, tout en collaborant avec les villageois, ces derniers s’étant cachés aux alentours du village. Une collaboration qui ne se fera pas sans heurts.

Plus réputé en tant que scénariste (La Mouche noire, La Grande évasion) qu’en tant que réalisateur, James Clavell parvient toutefois à se faire remarquer en 1967 en réalisant Les Anges aux poings serrés avec Sidney Poitier. Une reconnaissance bienvenue qui lui permet de se lancer dans un projet autrement plus ambitieux, La Vallée perdue. L’intrigue prend pour cadre la Guerre de Trente Ans, un conflit qui s’éternisa de 1618 à 1648. Il s’agit d’un grand conflit religieux et politique qui ravagea l’Europe, et surtout le Saint Empire. Il opposa une grande partie des pays européens, principalement autour de l’antagonisme des protestants et des catholiques, mais aussi à cause des inquiétudes suscitées par la maison d’Autriche, autrement dit, la dynastie des Habsbourg. Le conflit éclata en Bohème suite à une rébellion menée par les protestants contre l’autorité des Habsbourg. Durant une si longue période, le conflit a inévitablement dégénéré, et les soldats eux-mêmes ne savaient plus trop ni pour qui, ni pour quoi ils luttaient. Plutôt que s’orienter sur des faits guerriers à consonnances historiques, James Clavell choisit justement de traiter de cette confusion des esprits. Pour se faire, il regroupe tous ses personnages dans un village bâti au creux d’une forêt enchanteresse, point de chute d’hommes éreintés par la guerre.

Le personnage de Vogel, interprété par Omar Sharif, nous sert de référent. La guerre a brisé sa vie d’homme, tuant tous les membres de sa famille et l’obligeant à fuir. Il n’est plus que ça, un homme en fuite qui maudit la guerre de toutes ses forces. Une guerre omniprésente qui touche même les coins les plus reculés. Personne ne peut lui échapper bien longtemps, et Vogel sait cela mieux que quiconque, lui qui tente désespérément de la laisser derrière lui une fois pour toute. Tout n’est que mort et désolation. Et les pauvres villageois qui réchappent aux soldats, succombent sous les assauts de la peste. A croire que ce paysan croisé subrepticement avait vu juste, Vogel porte malheur. Il suffit de quelques minutes à James Clavell pour nous plonger en plein chaos. Un village mis à sac, la découverte de charniers humains, autant de scènes qui placent le film sous l’égide de la mort. Et jamais celle-ci ne cessera de planer sur les personnages, même lors des périodes d’accalmie. Contre toute attente, et alors qu’il a tout perdu, Vogel développe un solide instinct de survie. La fuite en constitue le premier signe. Lorsque celle-ci devient impossible, il rassemble toute son intelligence et son énergie à des buts persuasifs. C’est de cette manière qu’il parvient à un consensus entre la troupe des soldats dépareillés ayant découvert la vallée et les habitants du village. Trop heureux d’avoir enfin déniché un endroit paisible où se reposer, il se fait l’ambassadeur d’une paix des braves. Un statut honorifique qui cache mal la triste réalité : le brave Vogel n’est qu’un pion aux mains des deux fortes personnalités que sont le Capitaine et Gruber.

On ne connaît pas d’autre identité au Capitaine que celle de son grade. Son nom, il l’a perdu à la mort des siens. A ce titre, il partage la souffrance de Vogel, mais c’est bien là le seul point qui les rapproche. Homme aguerri au combat, il assume complètement son côté sanguinaire, et fait preuve d’un profond cynisme teinté de désenchantement. Il ne croit plus en la cause pour laquelle il est censé se battre, s’il y a un jour jamais cru. Néanmoins, il ne cesse jamais d’être un soldat. C’est son métier, il est fait pour ça et il en a pleinement conscience. Il goûte peu au prêchi-prêcha religieux qui sert à justifier les pires agissements. Lui ne biaise pas, il dit toujours ce qu’il pense, quitte à blesser ses interlocuteurs aussi profondément qu’avec son épée. D’une grande justesse, Michael Caine rend attachant un personnage pour qui la vie humaine n’a que peu de prix, et qui pourtant se prend à rêver d’une vie emplie de bonheur dans les bras de Erica, l’ex compagne de Gruber. Las des combats, il se laisse griser par ce retour à une vie normale. Une griserie qui ne dure guère, tant il reste un soldat jusqu’au bout des ongles, prompt à remplir sa tâche jusqu’au bout.
Comme le Capitaine, Gruber jouit d’une autorité certaine auprès de ses ouailles. Après dieu, c’est lui qui dirige le village et qui se porte garant de la sécurité des villageois. Il s’adapte rapidement à l’incursion des soldats dans la vallée. Il profite de la situation et de l’opportune protection que ceux-ci apportent au village contre d’éventuels assaillants. Perdre de son autorité ne l’inquiète nullement, pas plus qu’il ne prend ombrage du choix délibéré de sa compagne Erica de rejoindre le Capitaine. Gruber se révèle sournois et calculateur, et à défaut de témoigner d’une grande foi en dieu, il démontre une incroyable foi en lui. Deux ans après Enfants de salauds, Nigel Davenport et Michael Caine se donnent à nouveau la réplique avec brio. Ici, ils représentent les deux faces d’une même pièce, le Capitaine agissant en pleine lumière alors que Gruber se complaît dans l’ombre. De l’occupant ou de l’occupé, le plus détestable n’est pas celui qu’on croit.

James Clavell se sert du village comme d’un microcosme sur lequel il échafaude un film qui, bien que pleinement ancré dans une époque bien précise, se révèle intemporel. La Vallée perdue se fait l’écho de tous les conflits passés et à venir, auscultant de manière très juste les rapports ambigus qui se tissent entre les occupants et les occupés. Certains, par lâcheté, attendent que le temps passe, souhaitant qu’un jour prochain, ils retrouveront leur petite vie sans histoires. D’autres, s’acoquinent avec l’occupant, trouvant là l’occasion rêvée de s’affranchir d’un environnement confiné et finalement peu propice au libre arbitre. D’autres encore, comme Gruber, jouent un double jeu : conciliants au grand jour, conspirateurs en coulisse. Là dessus se greffe une vision peu angélique de la religion. James Clavell fustige l’aveuglement dont font preuve les croyants, un aveuglement prompt à leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Que le Capitaine réclame huit filles pour satisfaire la libido de ses hommes, et les villageois s’exécutent sans renâcler, donnant leurs propres filles bien volontiers puisque l’essentiel à leurs yeux a été préservé : leurs enfants ne brûleront pas dans les flammes de l’enfer grâce au pardon que le prêtre leur a accordé au nom du seigneur. Soldats, comme villageois, tous vivent prisonniers de leurs croyances, un emprisonnement symbolisé par cette vallée perdue au milieu des montagnes. Même le Capitaine, qui n’a pourtant pas l’esprit phagocyté par une quelconque croyance, s’avère tout aussi prisonnier que les autres. Il est prisonnier de sa fonction, et c’est à cause d’elle qu’il abandonnera la petite vie qu’il s’était bâti dans cette vallée.

La religion a servi, et sert encore, de justification à trop d’atrocités de par le monde. James Clavell dénonce cela au sein d’un film parfaitement maîtrisé et qui n’en fait jamais trop, à l’image des tortures infligées à la sorcière Erica par le prêtre du village. Des cris et des plans fugaces sur ses pieds brûlés suffisent à rendre compte de l’horreur de la situation, des horreurs commises au nom d’un dieu soi-disant rédempteur. Croire, c’est bien. Réfléchir, c’est mieux. C’est ce que semble nous suggérer James Clavell dont La Vallée perdue reste l’ultime incursion au cinéma. Son film n’en prend que plus de valeur.

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