CinémaPolar

La Peur règne sur la ville – Giuseppe Rosati

peurregnesurlaville

Paura in città. 1976

Origine : Italie 
Genre : Polar 
Réalisation : Giuseppe Rosati 
Avec : Maurizio Merli, Raymond Pellegrin, Silvia Dionisio, James Mason…

L’ignoble Lettieri (Raymond Pellegrin) et une dizaine de ses hommes s’évadent de prison, massacrent tous ceux qui les ont “donné” et recommencent leurs méfaits. La peur règne de nouveau sur la ville. Une seule solution : rappeler l’inspecteur Mario Murri (Maurizio Merli) des montagnes où ses supérieurs l’ont muté pour cause de méthodes par trop radicales. Encadré par un commissaire et par un substitut du procureur, Murri commence son enquête pour remontrer jusqu’à Lettieri et découvre un intrus dans la liste du gang évadé : le vieux Giacomo Masoni, un brave homme qui était sans histoires jusqu’à ce qu’il décide d’euthanasier sa femme atteinte d’un cancer. Que vient faire un tel personnage au sein d’une telle clique de pourris ? Sa présence est d’autant plus étrange qu’il ne lui restait que quelques jours à tirer… Fut-il emmené contre son gré ou bien aide-t-il Lettieri à préparer un mauvais coup ? Pour répondre à ces interrogations, Murri doit retrouver Laura (Silvia Dionisio), la nièce de Masoni, qui survit à la misère en travaillant comme prostituée de luxe pour une célèbre mère maquerelle.

Mais tout ce résumé n’est en fait qu’un vaste pléonasme. Associer le nom de Maurizio Merli et le genre polar aurait largement suffit à faire deviner la teneur de cette Peur règne sur la ville dont les forts relents “lenziens” s’expriment comme dans tout bon polar dès les premières images, peu avares en violences complaisantes parfois doublées d’un sens de l’humour à la limite du mauvais goût (le meurtre d’un ex associé de Lettieri devenu travesti prostitué). Le retour en ville de Murri / Merli se fait avec fracas, entre les coups d’éclats improvisés d’un Inspecteur toujours hors de lui à la moindre injustice et les divergences d’opinion qui l’opposent à ses deux supérieurs immédiats, le commissaire joué par James Mason et le substitut du procureur binoclard qui prônent le respect de la légalité. Et comme d’habitude, Merli s’emporte, passe outre les recommandations et envoie paître comme il faut ces empêcheurs de tourner en rond. “Nous avions déjà l’assassin qui se déclarait prisonnier politique, la bonne soeur avorteuse, l’anarchiste aux congés payés, le milliardaire populiste… Il ne manquait qu’une chose : le procureur allergique aux menottes !” déclare-t-il, tout prêt de retourner le bureau de son chef après avoir été contraint de s’expliquer sur le massacre à la mitrailleuse de trois bandits coupables d’un braquage et d’une prise d’otage.

Visiblement fort inspiré par Umberto Lenzi, le réalisateur Giuseppe Rosati n’y va pas dans la dentelle en ce qui concerne les fusillades, les courses-poursuites ou autres bagarres aux poings. Ça cogne sec, les sanglants impacts de balles ont droit à leurs gros plans et les cascades motorisées en imposent. La mise en scène est rudimentaire et se fait parfois à l’épaule, ce qui conforte l’aspect réaliste du film, tourné dans des rues au naturel, ni trop propres ni trop sales, et avec des véhicules du quotidien fort éloignés des grosses bagnoles à l’américaine. Guère gêné par l’étroitesse du cadre, Roseti tourne même une scène de bagarre entre une demie douzaine de personnes à l’intérieur d’un bus de ville. Le dynamisme du montage rend l’ensemble limpide et lui permet d’atteindre sans trop de mal la dimension spectaculaire faisant du “Poliziesco” des années 70 un genre aussi jubilatoire. Fort logiquement la surenchère d’action d’un coté et la modestie réaliste de l’autre (en partie due au manque de budget, et c’est bien là toute la différence entre les polars de série italiens et les polars à gros budgets américains) entraîne le développement de l’humour, bien plus efficace lorsqu’il se développe naturellement que lorsqu’il est amené par des gags ponctuels hasardeux. Comme beaucoup de ses congénères, La Peur règne sur la ville illustre la célèbre fable de La Fontaine sur la “grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf” et tente avec les moyens du bord (l’outrance) de surpasser les modèles américains en terme d’action. Ce qu’à un certain niveau il parvient à faire, encore qu’il s’agisse davantage d’une différence de style que d’une vraie confrontation victorieuse. En tête de liste des films singés figure L’Inspecteur Harry de Don Siegel, qui à l’instar de ce que sera Zombie pour les films d’horreur ou Mad Max 2 pour les post-nukes fut le film déclencheur de toute une vague de productions italiennes.

Il est tout de même rare d’y retrouver toutes les composantes du film de Siegel. En général, le flic dur à cuire se contente de s’ouvrir la voie à coup de poings jusqu’au méchant en chef et les réalisateurs (Lenzi en tête) oublient bien souvent de se réferrer au côté humain qui animait le personnage de Clint Eastwood. Dans La Peur règne sur la ville, Giuseppe Rosati s’y risque malgré tout. Il attribue déjà un passé à Murri, dont la femme et l’enfant sont morts dans un attentat. Ainsi, avant chaque coup de sang, l’inspecteur se remémore quelques images de ce triste évènement, motivant à chaque fois son envie de tuer. Son caractère bien trempé et sa gâchette facile reflètent en fait l’amour qu’il éprouve pour les gens, dont la gentillesse et la faiblesse sont des cibles de choix pour des brutes telles que Lettieri et ses hommes. Le prêtre pris en otage et sauvé par la mitraillette de Murri est l’exemple parfait de l’homme trop gentil qui ne souhaite pas la mort des autres, même pas de ses agresseurs. Mais comme le dit à peu près Murri “c’est pour des gens comme vous que je fais ce que je fais”. Murri est un ange gardien risquant sa peau et son poste pour défendre les honnêtes citoyens, son collaborateur Esposito le comparant même au Christ… Ce à quoi Murri répond en déclarant qu’il n’est pas le Christ, mais que celui-ci “est à chaque coin de rue, et qu’il suffit de lui marcher sur les pieds pour qu’il se manifeste”. Sans en avoir l’air, Murri se voit donc bien comme le Christ, ou du moins comme un de ses apôtres. Ben voyons… Un peu de plus, et l’Inquisition est de retour !

Ces scènes révélant l’humanité de Murri sonnent vraiment faux entre tous les débordement festifs et ultra-violents qui constituent la majorité du film. D’autant plus que si Merli est parfait dans un créneau physique, il l’est beaucoup moins dans celui de l’homme brisé par la vie démarrant une romance avec Laura Masoni, dont le parcours n’est pas non plus très réjouissant. Il faut bien dire que malgré son look de gendre idéal avec costard, moustache finement taillée et sa coiffure blonde toujours bien en place, il n’est pas acteur à regarder l’océan en dissertant sur la vie. Le voir affirmer gravement qu’un test psychologique l’a défini comme psychopathe fait plus rire que pleurer. Tabasser une poignée de voyous dans le bus entre un repas en tête-à-tête et une soirée romantique chez sa douce (Silvia Dionisio y effectue d’ailleurs un superbe strip-tease dans une ambiance feutrée) n’aide pas non plus à faire naître l’empathie pour ce couple uni dans la tourmente dont la mission est de sauver le vieux Masoni, injustement condamné pour avoir laissé parler sa sensibilité à fleur de peau via l’euthanasie de sa femme (sa présence auprès de Lettieri s’expliquant par les manipulations de celui-ci, qui a fait mine de compatir avec le vieil homme pour le faire cracher le moyen d’obtenir un gros paquet de fric). Le pire reste encore cette terrible question posée par Murri à Laura, censée décider du futur de leur relation : “Est-ce que tu sais cuisiner le poisson ?”. Une question qui ne sort pas de nul part, puisque Murri passait son temps libre à pêcher pendant sa période de disgrâce, redevenant ainsi un humain comme un autre, mais qui tombe vraiment comme un cheveu sur la soupe au moment où elle est posée. L’humanité de Murri permet certes de donner une raison autre qu’idéologique à son comportement, mais elle est très loin de lui rendre grâce. Quand bien même Merli parviendrait-il à retranscrire ses émotions, la prépondérance de l’action serait toujours telle qu’il resterait impossible de prendre au sérieux ce qui relève des sentiments fleurs bleues de l’Inspecteur psychopathe, qui n’hésite pas à participer à une fusillade en plein cimetière. Le même genre de raisonnement s’applique au raisonnement sécuritaire véhiculé par le sujet du film. Il n’est pas niable que Rosati ait fait un film pro-sécuritaire, soulignant la faiblesse des gentils exploitée par l’immoralité des méchants. Mais les solutions extrêmes incarnées par Merli sont justement trop extrêmes et trop dépendantes de la volonté de tourner un polar d’action pour que le film soit accusé de propagande. Pour cela, il existe des films bien plus pernicieux, et qui ne sont d’ailleurs pas aussi spectaculaires que celui-ci, bien beau spécimen de polar “lenzien”.

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