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La Nuit des assassins – Adriano Bolzoni

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Appuntamento col disonore. 1970

Origine : Italie / R.F.A. / Yougoslavie 
Genre : Action géopolitique 
Réalisation : Adriano Bolzoni 
Avec : Michael Craig, Eva Renzi, Adolfo Celi, Klaus Kinski…

Histoire difficile que celle de l’île de Chypre. Dès l’antiquité, elle change de nombreuses fois de mains : d’abord indépendante, elle devient ensuite perse, grecque, égyptienne, romaine… Elle passe au moyen-âge sous contrôle génois puis vénitien, puis byzantin. De part sa position stratégie entre l’Afrique du nord, l’Europe et le moyen-orient, Chypre est convoitée. Il faut attendre le XVIème siècle pour que s’instaure une certaine stabilité politique, avec le contrôle turc. Il durera trois siècle, jusqu’à ce que le pouvoir en place confie l’administration de l’île aux britanniques, qui finiront par la transformer en colonie après la première guerre mondiale. Cependant la population chypriote, à majorité grecque, accepte mal ce manque de souveraineté. S’ensuivit donc une lutte pour l’indépendance, terminée en 1960. Les soucis ne sont pourtant pas réglés : la minorité turque de l’île n’acceptera jamais de se soumettre à la majorité grecque, et réciproquement. La question des représentations politiques pose problème, et les chypriotes grecs jugent être sous-représentés eu égard à leur poids démographique. Les tensions sont fortes, tant et si bien que les anglais ont bien pris soin de laisser une présence militaire pour assurer la paix. Ce qui n’empêche pas les deux communauté de se livrer à de violents combats tout au long des années 60.

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Voici un bref résumé historique pour mieux cerner La Nuit des assassins (également connu sous le titre de Rendez-vous avec le dishonneur), film méconnu qui ne paye pas de mine mais qui est autrement plus développé que ce que peut laisser penser ses éditions VHS laissant croire à un traditionnel film d’action à petit budget. Son réalisateur, Adriano Bolzoni, est un ancien journaliste ayant fait ses armes de documentariste durant la seconde guerre mondiale et qui vint au cinéma en temps que scénariste (7 collaborations avec Sergio Corbucci, dont Le Mercenaire). Et peut-être du fait de sa formation, Bolzoni n’hésite pas à prendre à bras le corps toute la complexité de Chypre pour composer un film finalement bien plus axé sur les questions politiques que sur l’action cinématographique. Bien sûr, il ne réalise pas un documentaire, et à ce titre il ne peut faire l’impasse sur une certaine personnalisation des camps en lutte, mais globalement il essaye autant que faire se peut de coller au plus près des enjeux de la question chypriote.
A la suite d’une énième révolte de la communauté grecque, les anglais ont emprisonné un gamin retrouvé une arme à la main. Sa mère Helena (Eva Renzi) cherche bien entendu à obtenir sa libération auprès du Colonel Mallory (Michael Craig). Son cas est une aubaine pour plusieurs personnes : le général Hermes (Adolfo Celi), leader de la communauté grecque, veut utiliser la charmante Helena comme espionne auprès des anglais. Ces derniers veulent l’utiliser comme médiatrice avec Hermes, dans le but de négocier un cessez-le-feu coïncidant avec la venue prochaine du secrétaire général des Nations Unies. Parallèlement, le pope Evagoras (Klaus Kinski), grec jusqu’au boutiste, se verrait bien utiliser cette affaire comme un prétexte pour envenimer la situation. Lassé des méthodes de Hermes, trop conciliantes à son goût, il projette d’assassiner le secrétaire de l’ONU. Quant aux turcs de l’île, ou du moins leur leader, ils espèrent que leur collaboration avec les anglais, alliée avec l’activisme des grecs, jouera en leur faveur.

Un énorme piège parcourt La Nuit des assassins : la magnification du rôle des anglais comme force de paix. Ce point de vue extrêmement maladroit, en plus d’être assez simpliste, se doublerait forcément d’un paternalisme colonialiste arrogant, laissant entendre que seul l’occident est assez sage pour éviter un drame. Et lorsque l’on voit le colonel Mallory, on se dit que Bolzoni plonge dans ce piège la gueule ouverte… Humaniste, Mallory ne déteste personne, pas mêmes les grecs qui le combattent les armes à la main. Intelligent, il sait que les turcs ne lui lèchent pas les bottes sans arrière-pensées. Gentleman, il veut éviter à Helena d’être manipulée. Et au final, toutes ses qualités lui valent l’amour de cette mère de famille célibataire, qui s’en ira gambader avec lui sur la plage au risque d’être considérée comme une traître. Bref, c’est la figure parfaite, celle qui est capable de sauver le pays par sa seule présence, et ce sans même avoir à sortir les armes comme Rambo. Il est vrai que le personnage est agaçant, et que la romance est très caricaturale… Cependant, et c’est ce qui fait la qualité principale du film, Bolzoni ne va jamais trop loin et ne conçoit ces deux personnages que comme des pions au milieu d’un conflit. Aussi parfait que soit l’anglais dans ses raisonnements et ses motivations pacifistes, il n’est cependant pas le maître du jeu. Le contexte politique est plus fort que l’individu, qui à la fin du film sera revenu de son idéal pacifiste. L’Angleterre s’est bel et bien perdue dans un conflit où on ne lui demande rien, et où même ses alliés (de la communauté turque) sont prêts à la doubler. Cette critique de la politique interventionniste se fait sans la hargne des films militants (par exemples les westerns du communiste Corbucci) et ne s’aventure jamais dans une critique de l’impérialisme, qui n’est du reste même pas mentionné. Les bonnes intentions des “gendarmes” que représentent les britanniques ne sont jamais remises en question, ce que l’on peut regretter. Mais si il ne va pas très loin dans son raisonnement, reconnaissons au réalisateur d’être conscient de l’inutilité voire la contre-productivité d’une force tierce (surtout l’ancien colonisateur) dans un conflit local.

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Les anglais ne font donc que complexifier la situation, leur simple présence faisant naître un antagonisme du côté des forces grecques, incarnées d’un côté par le modéré Hermes, qui privilégie l’alliance avec les turcs pour se débarrasser des britanniques, et de l’autre par le pope fanatique Evagoras, qui souhaite mettre les turcs et les anglais dans le même sac. Ajoutons à cela que les turcs optent pour stratégie qui n’est symétrique ni à celle de Hermes ni à celle de Evagoras, puisqu’ils veulent s’appuyer sur les anglais (probable conséquence d’une situation démographique qui les affaiblit) pour s’imposer. L’évolution de ces positions est un autre point fort du film, qui si il use bien des traîtrises et autres retournements de situation ne le fait jamais sans les avoir justifiées de façon logique. Reposant sur des personnages incarnant des positions stratégiques (le peuple en lui-même n’intervient pratiquement pas), le scénario est parfaitement bien articulé. Il n’y a pas de “deus ex machina”, ce qui confère à La Nuit des assassins des allures de documentaire que même l’amourette Mallory / Helena ne saurait remettre en cause. A travers eux, et principalement, à travers Helena, Bolzoni démontre que toute la vie civile reste liée au sort politique de l’île, et que le refus de prendre position est concrètement impossible. Le seul point véritablement “cinématographique” est concentré dans les agissements d’Evagoras qui lorsqu’il prend le pouvoir se livre à quelques actes de tortures dignes de son Klaus Kinski d’interprète. Mystique, le personnage agit en véritable barbare médiéval, et le pauvre Mallory de se mettre à halluciner dans des filtres rougeâtres. Une scène bien conçue, dans laquelle le talentueux Kinski est fidèle à lui-même, mais jure tout de même avec le reste.

La Nuit des assassins n’est pas un film historique en ce sens qu’il ne repose sur aucun fait réel. En revanche, la situation qu’il met en scène, fictive, est parfaitement crédible et met grosso modo en lumière la situation chypriote de son époque (depuis, de l’eau a coulé sous les ponts). Tel était probablement le but de Adriano Bolzoni. Dommage qu’il n’ait pas bénéficié d’un budget plus conséquent pour son audacieuse -et fort peu commerciale- entreprise, ce qui lui aurait peut-être permis d’aller plus loin dans les détails, notamment du point de vue turc, bien trop limité, et des implications étrangères autres que britanniques (avec la Grèce et la Turquie, parties prenantes de la question chypriote).

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