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La Maison du diable – Robert Wise

maisondudiable

The Haunting. 1963

Origine : Etats-Unis 
Genre : Epouvante 
Réalisation : Robert Wise 
Avec : Julie Harris, Claire Bloom, Richard Johnson, Russ Tamblyn…

Le docteur Markway (Richard Johnson) décide de recruter quelques personnes réceptives au surnaturel pour passer quelques jours d’expérimentations dans la “Hill House”, une maison réputée hantée, à l’histoire funeste. Parmi les conviés du Dr. Markway se trouvent Luke Sanderson (Russ Tamblyn), futur héritier de la bâtisse, Théodora (Claire Bloom), une jeune femme pourvue du don de seconde vue, et enfin Eleanor Lance, autre jeune femme, une névrosée au passé tumultueux.

La Maison du diable est tout simplement le meilleur film de maison hantée jamais fait. Même le Shining de Stanley Kubrick lui doit tout, ce qui s’explique en partie par le fait que l’auteur original de Shining, Stephen King, ait été lui-même influencé par le roman de Shirley Jackson, sur lequel le film de Robert Wise est basé. Mais le cinéma n’est pas la littérature, et si Shining -le film- s’inspire tant de La Maison du diable, ce n’est pas pour rien. C’est que le film de Robert Wise n’est pas un spectacle outrancier digne des manoirs de Disney comme le fut par exemple La Nuit de tous les mystères (William Castle, 1959). C’est un film très froid, très sérieux, très intelligent, dans lequel l’épouvante n’est pas rendue par le biais d’éléments visuels tapageurs. Elle prend ici la forme d’un noir et blanc extrêmement travaillé, permettant au réalisateur de jouer sur les zones d’ombres de sa maison (une véritable maison et non une construction de studio) comme rarement un réalisateur ne s’est permis de le faire. Wise déforme les perspectives, utilise pour cela des lentilles spéciales qui d’emblée font de l’extérieur de la maison quelque chose de véritablement effrayant. Quoique silencieuse, la maison, de style gothique typiquement anglais, semble en effet attendre, ses fenêtres semblent être des yeux scrutant les nouveaux arrivants (Amityville retiendra la leçon). Elle semble dotée d’une âme et la voix off qui ouvre et clôt le film entretient encore son aura, avec des phrases insistant sur l’immuabilité de Hill House, sur le silence qui y règne…

Mais c’est bien entendu surtout à l’intérieur que Wise utilise son style de mise en scène atypique et ses superbes éclairages. La maison est ancienne quoiqu’en parfait état. Elle est étouffante, labyrinthique, sombre, et l’usage du noir et blanc contribue à ne pas donner à la maison la lumière excessive qui aurait pu l’envahir durant les journées. C’est pourtant la nuit qu’elle prend toute son ampleur, lorsque les personnages, principalement les deux femmes, sont témoins des étranges choses qui s’y produisent. De grands moments de cinéma d’épouvante, qui ont fait école et qui continuent à faire office de référence (Sam Raimi repris notamment l’idée de la “main fantôme” dans Evil Dead 2). Les zones de froid intense, les battements dans les couloirs, les faux répis, les lambrissages des murs qui dessinent des figures menaçantes, les chuchotements macabres, les sanglots d’enfant, et bien sûr cette main fantôme qu’un personnage croit être celle de sa comparse. Tout ceci n’est pas franchement très original, de nos jours, mais le film de Wise ne perd aucune intensité grâce au talent du réalisateur. Ses lentilles déformantes, ses décadrages, ses zooms aussi furieux que soudains, ses secondes d’attentes brusquement interrompues…

Jamais des fantômes ne nous sont montrés : tout tient dans les mouvements de caméra, dans les lumières, dans la bande-son, et y compris dans les dialogues et dans les personnalités des personnages qui nous sont présentés. Car Wise ne se repose pas sur sa mise en scène : il a également un véritable scénario à présenter, et l’épouvante ne naît pas des manifestations surnaturelles qui sont suggérées. Du reste, il fait clairement dire au Docteur Markway dès le début du film qu’il ne faut pas s’attendre à des mains coupées traînant dans les assiettes. La peur est quelque chose d’irraisonné, et les traces de surnaturel, aussi impressionnantes puissent-elles être, sont dues à l’inconnu séparant la science humaine de ces phénomènes. Il n’y a pas de fantômes tueurs, il y a juste des impressions pouvant conduire les esprits les plus fragiles (mais aussi les plus obtus : ceux qui refusent en bloc la possibilité de surnaturel risquent de voir leurs certitudes s’effondrer violemment) à la folie. Et justement, le personnage de Eleanor est très fragile. La jeune femme est en quête d’affirmation : brimée par sa mère souffrante jusqu’à la mort de celle-ci (dont elle se croit responsable), puis locataire de sa propre soeur, envahissante, elle n’a pas de vie sentimentale, elle n’a pas de vie du tout. C’est pour en trouver une qu’elle est venue à Hill House. Elle croiera trouver l’amour avec le Docteur Markway, avant de se rendre compte que celui-ci est marié et que son intérêt pour elle n’est que purement scientifique. Elle croira trouver l’amitié avec Théodora, laquelle se révèlera en réalité une lesbienne sophistiquée (formidable Claire Bloom), exacte opposé de Eleanor, qu’elle prend plaisir à tourmenter en devinant systématiquement ses mensonges, ses secrets, et en lui rappelant indirectement son manque de vie. Eleanor est donc la proie la plus facile pour la maison, et effectivement plus la jeune femme sera confrontée au surnaturel, plus elle plongera dans l’introspection (ses pensées nous sont révélées en voix off) puis dans la folie destructrice. La maison utilisera ses peurs et ses souvenirs difficiles, qui d’ailleurs coïncident avec un évènement passé de la maison elle-même (une vieille femme morte parce que son aide domestique n’avait pas répondu à son appel : echo de la mort de la mère d’Eleanor).

Puis la jeune femme sera manipulée par la maison : toutes les manifestations surnaturelles ou découlant de la folie naissante de Eleanor feront échos au passé de Hill House, présenté dans une rétrospective tout au début du film. Tous les lieux de la maison où des drames se sont autrefois déroulés seront à nouveau visités et ainsi Eleanor apprendra à connaître la maison, à fusionner avec… L’épouvante de La Maison du diable est ici non seulement extraordinairement efficace, mais elle est aussi très intelligente et ne se limite pas au simple frisson d’un film de maison hantée classique. La psychologie accompagne la peur, l’une se nourrie de l’autre, et Robert Wise réussit un mariage total entre ces deux éléments rarement aussi bien associés dans le cinéma fantastique. Sur un même créneau, il faudra attendre 10 ans et L’Exorciste pour voir aussi bien… Et, niveau maisons hantées, La Maison du diable est le meilleur film du genre depuis plus de 40 ans, et dans plus de 40 ans il le sera probablement encore…

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