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La Isla Minima – Alberto Rodríguez

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La Isla Minima. 2014

Origine: Espagne
Genre: Thriller, polar
Réalisation: Alberto Rodríguez
Avec: Javier Gutiérrez, Raúl Arévalo, Antonio de la Torre, Nerea Barros…

Début des années 80, l’Espagne est en pleine transition politique. La démocratie s’installe petit à petit mais les vieilles habitudes sont tenaces. Dans le sud de l’Andalousie, deux flics sont mandatés pour rechercher deux sœurs disparues. L’un est un jeune ambitieux, l’autre un vieux routard. Dans cette région de l’Espagne où vous pouvez trouver des croix catholiques avec les visages d’Hitler, Franco et Mussolini sur les murs des hôtels, le jeune flic est mal à l’aise. Il rêve de démocratie, de modernité, de changement dans son pays. Parallèlement à leur enquête, des ouvriers agricoles se mettent en grève, jugeant être mal payés.

La Isla minima est un polar bâti comme un véritable thriller. Si Alberto Rodríguez n’a pas l’ambition de renouveler le genre, on peut au moins lui reconnaître qu’il le sublime. Et ce grâce à trois éléments fondamentaux du film: le duo de flics, le lieu où se déroule le récit, le fond politique.

Un duo de flics dans un film n’a rien d’original. Cela fait partie des codes du genre. Là où cela devient intéressant, c’est qu’au-delà de la différence d’âge entre les deux protagonistes, c’est véritablement la différence de génération qui propose un enjeu politique à leur relation. Le plus vieux a fait partie de la police sous Franco, ses méthodes sont particulières, dures, violentes. L’autre, le plus jeune est un ambitieux mais aussi un idéaliste. Il hait le fascisme et ne s’en cache pas. Cela dit, Franco est mort, le pays se construit sur des bases démocratiques, il n’y a plus lieu de se cacher, à l’inverse des sympathisants franquistes qui ne tiennent plus les rênes du pouvoir.

Le lieu est aussi primordial. Il donne une ambiance particulière au récit. L’histoire se passe dans le sud de l’Andalousie, près du daleta du Guadalquivir. L’ambiance est chaude, humide, poisseuse et fait indiscutablement penser à Memories of Murder, le film du Coréen Bong Joon-ho. D’ailleurs, Alberto Rodríguez ne s’en cache pas, Memories of Murder a été une source d’inspiration pour lui. Faut dire que le film de Bong Joon-ho est vite devenu une référence en la matière. Tout y était: humour, suspense, personnages forts, ambiance au poil, le réalisateur coréen avait sorti le grand jeu. Du coup, le lieu du récit devient un personnage à part entière, il donne de la profondeur au récit, il impose une ambiance forte et particulière qui n’aurait pas été si spécifique dans une ville par exemple (entendons-nous bien, le lieu définit l’ambiance et lui octroie une certaine singularité ; dans une ville, ça aurait pu donner tout autre chose et être au moins aussi bien, les exemples ne manquent pas: au hasard, L’Année du dragon).

Et à tout cela, au duo de flics et au lieu se rajoute une portée politique. Ce n’est pas un film engagé, loin de là, c’est un film de contexte. Que ce soit pour le lieu, pour les personnages ou pour la lecture politique en fond, cet ensemble contextuel donne au film une identité propre. Si le scénario est un poil convenu, toute la force du film tient sur une interprétation au poil de tous les acteurs. Ils ont d’ailleurs de vraies gueules qui ont vécu, ce qui renforce le réalisme et l’immersion dans le film. Notons par ailleurs que la photographie d’Álex Catalán est tout particulièrement réussie.

Oui mais voilà, tout n’est pas si simple. On peut être un flic avec des principes, l’ambition prend parfois le dessus lorsqu’il s’agit de fermer les yeux sur la violence de son coéquipier, ou avoir recours soi-même à la violence. Car avant d’être des policiers, ils sont des hommes. Des hommes avec des failles et des faiblesses. L’un doit réfréner ses instincts, sa formation, lui qui a pu torturer et tuer sans rendre de comptes, l’autre franchit certaines frontières pour les besoins de son enquête. Rien n’est blanc ou noir dans cette histoire et personne n’en sortira grandi. Car lorsque les corps des deux sœurs sont retrouvés, torturés et violés, c’est toute une société qui s’entrechoque. Une société où des ouvriers s’élèvent contre le seigneur des terres, et une société qui peine à se libérer de ce même seigneur tout puissant.

La Isla minima est un excellent film couronné de nombreux prix qui récompensent à la fois le travail technique du réalisateur et de son équipe, les jeux des acteurs, et l’ambiance du film. On regrettera donc un scénario un peu en deçà, mais ça reste bien construit, clair et plutôt fluide. Avec La Isla minima, Alberto Rodríguez signe un film en tout point maîtrisé mais qui par le manque d’audace de son scénario n’arrive pas à s’élever au niveau d’un Memories of Murder.

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